XIX

Transportons-nous maintenant dans la Cité et dans une maison de Sermon Lane.

Cette même maison où nous avons vu naguère l’homme gris surprendre miss Ellen au moment où elle s’affublait de la robe et du capuchon noir des « Sœurs de la dernière heure. »

Londres, nous l’avons dit, possède une institution admirable entre tant d’autres.

Des femmes de la plus haute noblesse se sont liées par un vœu ; elles ont formé une association, et, tirées au sort chaque fois, elles vont porter aux condamnés à mort les consolations de la religion, et prient avec eux pendant la nuit qui précède leur supplice.

On se souvient encore qu’une nuit le sort ayant désigné miss Ellen, et la jeune fille ayant reçu le pli mystérieux marqué dans le coin d’une croix noire, elle s’était arrachée à son lit, vêtue à la hâte, était montée en voiture et avait couru à Sermon Lane.

C’est une ruelle, on le sait, qui descend infecte et noire des hauteurs de la Cité jusqu’à la Tamise.

Dans cette ruelle, au troisième étage d’une maison plus que modeste, miss Ellen avait alors une chambre dans laquelle elle renfermait son costume de « dame des prisons » ou « de la dernière heure » car le peuple de Londres leur donne les deux noms.

Miss Ellen était partie précipitamment de Londres, elle n’avait donc pas prévenu de son absence la présidente de l’œuvre, qui avait, on s’en souvient encore, ses bureaux dans la rue Pater-Noster.

Par conséquent elle avait conservé sa petite chambre de Sermon Lane.

Or, le lendemain matin de son retour à Londres, miss Ellen, qui était descendue avec Vanda dans un hôtel modeste, auprès de la poste, dit à sa compagne :

– Madame, nous n’allons pas rester ici, moi du moins.

– Pourquoi donc ? demanda Vanda.

– Parce que je me défie de la police et du révérend Patterson, et que j’aime autant me servir de mes armes.

– De quelles armes parlez-vous ! dit Vanda étonnée.

Miss Ellen eut un sourire.

– Vous connaissez la vie anglaise et l’Angleterre, dit-elle, mais pas comme moi.

– Que voulez-vous dire ?

– L’Angleterre est la terre des inviolabilités par excellence, il est des maisons, dans lesquelles la police n’a pas le droit de pénétrer, des costumes sous lesquels on peut circuler librement.

– Un élève de Christ-Hospital est inviolable, par exemple, dit encore miss Ellen.

– Bon !

– Le policeman qui oserait arrêter une dame des prisons ne sortirait pas vivant de la rue où il aurait commis ce forfait.

La populace le mettrait en pièces.

– Eh bien ?

– Eh bien ! dit miss Ellen, je suis sœur des prisons.

– Vous ?

– Moi, et par conséquent, je vais revêtir mon costume.

– Mais où cela ?

– À deux pas d’ici, dans le Sermon Lane. Voulez-vous m’accompagner ?

Vanda suivit miss Ellen.

La jeune fille la conduisit dans cette chambre que nous connaissons.

– Ici, dit-elle je brave la haine du révérend Patterson.

– Et le courroux de votre père ? dit Vanda.

– Oh ! fit miss Ellen qui eut un superbe sourire, avec mon père le dernier mot n’est pas dit.

– Ah !

– Mon père m’idolâtrait ; il m’idolâtre encore, j’en suis sûre.

– Et il doit être bien malheureux.

– J’en suis très persuadée, mais je le convertirai à mes idées.

– Vous oserez revoir votre père ?

– Sans doute, et j’irai en plein jour chez lui.

– Et s’il vous retient ?

– Revêtue de cet habit je vous le répète, je suis inviolable.

Puis miss Ellen ajouta après un silence.

– J’aime l’homme gris à présent ; je l’ai perdu, je le sauverai.

Il y avait une énergie sauvage ; une conviction profonde dans l’accent de la jeune fille.

– J’ai accepté tout d’abord votre plan et celui de vos amis, dit-elle ensuite, mais que ce plan vienne à échouer, et vous verrez…

Vanda retourna à son hôtel.

Miss Ellen demeura installée dans la chambre de Sermon Lane.

Une petite servante Irlandaise qu’elle s’était procurée lui apportait ses repas de la maison voisine.

Deux jours s’écoulèrent.

Milon était venu annoncer à Vanda que Marmouset était à Newgate.

Vanda avait porté elle-même cette nouvelle à miss Ellen.

Enfin, le surlendemain, Marmouset se présenta lui-même à l’hôtel de Vanda.

Celle-ci eut un cri de joie en le voyant.

Marmouset avait aux lèvres un sourire qui disait clairement que la campagne avait été bonne.

– As-tu vu le maître ? demanda Vanda.

– Pardieu !

– As-tu pu lui parler ?

– J’ai passé deux nuits et un jour avec lui.

– As-tu ses instructions ?

– Ses instructions complètes. Où est miss Ellen ?

Vanda mit Marmouset au courant.

– Eh bien ! dit celui-ci, allons dans Sermon Lane.

Et tous deux rejoignirent miss Ellen.

La belle patricienne eut un moment de violente émotion.

Elle voulut apprendre de la bouche de Marmouset mille détails sur cet homme qu’elle adorait après l’avoir haï.

Lui avait-il parlé d’elle ? Était-il ému en prononçant son nom ?

Et l’atmosphère pesante de Newgate, la maison aux murs sinistres, n’avait-elle pas brisé sa vaillante énergie ?

Marmouset répondait en souriant :

– Nous le sauverons, miss Ellen, nous le sauverons !

Alors Marmouset confia aux deux femmes qu’il avait mission de voir l’abbé Samuel. Mais où le trouver ?

Depuis l’arrestation de l’homme gris, le jeune prêtre qu’on avait essayé de compromettre, se cachait.

– Je sais où vous le trouverez, dit miss Ellen.

– Ah !

– Allez-vous-en dans le Southwark.

– Bon !

– Entrez à l’église Saint-George, adressez la parole au sacristain et dites-lui :

– C’est l’espoir de l’Irlande qui m’envoie.

Vous pouvez lui parler français, vous achèveriez ainsi de gagner sa confiance.

– Et il me dira où est l’abbé Samuel ?

– C’est probable, surtout si vous lui parlez de l’homme gris.

– J’y vais à l’instant même, dit Marmouset, car nous n’avons plus de temps à perdre maintenant, d’autant plus que l’homme gris demande une réunion des principaux chefs fénians.

– Allez, dit miss Ellen, qui avait retrouvé tout son calme, moi aussi je vous dis avec confiance : Nous le sauverons !

– Comme elle l’aime ! murmura Vanda. Ô la jeunesse !

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