Marmouset et Milon revinrent donc dans Old Bailey et prirent possession de leur nouvelle propriété.
Alors Marmouset regarda Milon en souriant :
– Ton vendeur, dit-il, comptait beaucoup sur le revenu de ses fenêtres pour les jours d’exécution.
– Je le vois bien, répondit Milon, qui jeta un coup d’œil dédaigneux sur les marchandises qui se trouvaient dans le magasin ; tout ce qu’il y a ici est avarié et ne vaut pas cinq cent franc.
– C’est une maison qu’il faut relever, mon ami.
– Hein ? fit Milon.
– Il faut acheter d’abord de la belle et bonne marchandise.
– Ah !
– Installer une jolie femme au comptoir.
– Plaît-il ?
– Avoir deux commis et un teneur de livres.
– Ah çà ! fit Milon stupéfait, vous voulez donc que je devienne sérieusement épicier ?
– Très sérieusement.
– Mais pourquoi ?
– Parce que nous avons besoin de tout notre personnel.
– La Mort-des-Braves et Jean seront commis.
– Bon !
– Polyte, notre nouvelle connaissance, sera teneur de livres.
– Et puis ?
– Sa petite femme Pauline, qui est fort gentille, ma foi ! tiendra le comptoir.
Tout à l’heure, je croyais comprendre, pourtant, murmura le bon Milon.
– Et maintenant tu ne comprends plus ?
– Oh ! mais là… plus du tout.
Marmouset haussa les épaules :
– Il faut toujours te mettre les points sur les i, dit-il.
– Cela m’est plus commode, toujours.
– Eh bien ! écoute. Le libraire nous a dit que cette maison, – et certes le brave homme ignorait qu’elle fût à nous, – avait dû être dans un temps le point de départ des souterrains creusés, lors de la conspiration des poudres.
– Oui, dit Milon.
– Ces souterrains aboutissaient probablement dans les caves.
– Eh bien ?
– Mais ils ont été comblés au moins à leur orifice.
– Après ?
– Il faudra donc, notre plan à la main, retrouver l’entrée d’abord.
– Bon ! dit le colosse.
– Et la déblayer.
– C’est juste.
– Or, pour cela, il faut des bras et des outils.
– C’est vrai.
– Or, que penserais-tu si nous aillions faire venir de braves ouvriers de Londres, terrassiers de leur état, que nous mettrions à cette besogne et qui, le soir, raconteraient dans les tavernes la singulière besogne dont on les a chargés ?
– C’est impossible, cela !
– Il faut donc, alors, que nous ayons nos ouvriers à nous.
– Vous avez raison.
– Et nos ouvriers sont la Mort-des-Braves, Jean le Boucher, Polyte et toi. Sais-tu que quatre hommes font de la besogne, la pioche à la main ?
– Excusez-moi, dit Milon, mais je ne suis qu’une brute, j’aurais dû comprendre ça tout de suite.
– Le jour, continua Marmouset, ils seront épiciers, et la nuit ils seront mineurs.
– Pardon, un mot encore, dit le colosse.
– Parle.
– En admettant que ces souterrains existent, pensez-vous qu’il y en ait un qui pénètre dans Newgate ?
Marmouset déplia de nouveau le plan qu’il venait d’acheter et le posa sur une table.
Puis il mit son doigt sur une des petites lignes rouges que le libraire disait indiquer les souterrains en question.
Et Milon vit que ce filet s’éloignait en droite ligne de la maison et se dirigeait à travers Old Bailey vers Newgate.
– Ah ! fort bien, dit-il encore, mais… Newgate est grand.
– Oui, certes.
– Où aboutit le souterrain et à quelle profondeur est-il ? Voilà ce que nous ne savons pas.
– Voilà ce que nous saurons.
– Quand ?
– Mais d’ici à deux jours.
– Comment cela ?
– Ah ! mon ami, dit Marmouset avec un léger mouvement d’impatience, il faut tout t’expliquer d’avance. Nous avons bien autre chose à faire ce soir.
Milon courba la tête, résigné.
Il était habitué, du reste, à ces façons de Marmouset, qui avait hérité des brusqueries et des franchises de Rocambole.
Marmouset consulta sa montre.
– Il est huit heures du soir, dit-il. C’est à onze heures que j’irais chercher miss Ellen. Allons dîner à Evans-Tavern. Puis tu te mettras en quête de nos compagnons.
– Ils sont descendus dans Haymarket et dans Liviston square.
– Ah !
– La Mort-des-Braves et Jean sont dans un boxeding où descendent les marchands de chevaux français.
– Et Polyte ?
– Polyte et sa femme sont à Sablonnière hôtel.
– Alors, dit Marmouset, allons dîner à Sablonnière ; c’est à eux d’abord que j’en ai.
*
* *
Pendant que Marmouset et Milon dînaient et convoquaient leurs compagnons de route pour le lendemain, Vanda était auprès de miss Ellen.
La jeune fille s’apprêtait à aller à la réunion des fénians.
Elle regardait Vanda en souriant et lui disait :
– Comme on change pourtant, madame.
– Quelquefois, en effet, miss Ellen.
– Il y a deux mois, le seul nom d’Irlandais révoltait tout mon sang.
– En vérité !
– Je regardais tous ces gens-là comme une vermine humaine, comme une lèpre vivante dont il fallait à tout prix débarrasser l’Angleterre.
– Et maintenant ?
– Maintenant, les Irlandais sont mes frères.
– Du reste, observa Vanda, n’êtes-vous pas, miss Ellen, d’origine irlandaise ?
– Certainement, répondit la jeune fille ; mais l’Angleterre nous avait adoptés, et mon père et moi l’avions, en revanche, considérée comme notre véritable patrie.
– Et il a suffi de l’homme gris ?…
– Oh ! dit miss Ellen avec enthousiasme ; puisque vous le connaissez, vous devez savoir avec quelle éloquence sa voix pénètre au fond des cœurs.
– Je le sais, dit Vanda, qui étouffa un soupir.
– Quand nous l’aurons sauvé, reprit miss Ellen, quand il sera libre, si vous saviez comme je serais fière de marcher à ses côtés dans le chemin qu’il s’est tracé, la liberté de l’Irlande !
– Comme elle l’aime ! pensait Vanda.
Et celle qui, elle aussi, avait tant aimé Rocambole, essuya furtivement une larme.
En ce moment on frappa à la porte de la chambrette, et Marmouset parut.
– Miss Ellen, dit-il, êtes-vous prête ?
– Oui ! répondit miss Ellen qui avait revêtu son costume de sœur des prisons.