V

Maintenant reportons-nous au moment où Ralph, le petit Irlandais, cet enfant sur la tête de qui, disait-on, reposait l’espoir de l’Irlande était entré à Cold Bath field.

À Londres, comme à Paris, le transport des prisonniers se fait en voiture cellulaire.

Chaque jour une sorte d’omnibus à fenêtres grillées et prenant le jour par en haut fait le tour des cours de police et y prend les prisonniers, pour laisser les uns à Bath square, les autres, à Mil bank, ou à Clarcken weld, et, ce qui est plus grave à Newgate.

Après sa condamnation, Ralph n’avait vu, n’avait entendu, n’avait compris que trois choses :

D’abord que sa mère tombait à demi-morte en jetant un cri.

Ensuite qu’on allait le séparer d’elle de nouveau.

Enfin que quelque chose d’épouvantable l’attendait, puisque, au mépris du respect dû à la justice en général et à M. Booth en particulier, la foule qui se trouvait dans le prétoire avait murmuré hautement.

Cependant Ralph ne poussa pas un cri, ne versa pas une larme.

L’héroïque enfant, les mains étendues vers sa mère qu’un homme emmenait et qui lui jeta un regard mourant, se laissa entraîner hors du prétoire par deux policemen qui le reconduisirent dans son cachot.

Sur son passage, il trouva Katt tout en larmes qui le prit dans ses bras avec effusion et l’y pressa longtemps.

Ce ne fut que lorsqu’il se trouva seul que Ralph sentit ses nerfs se détendre et qu’il se mit à fondre en larmes.

Puis une sorte de prostration morale et physique s’empara de lui, et il tomba épuisé sur la paille de son cachot, où il s’endormit, peu après, de ce sommeil profond qu’amène le désespoir arrivé à sa limite suprême.

Quand le bruit de la porte qui s’ouvrait l’en arracha, plusieurs heures s’étaient écoulées.

Ralph avait dormi, Ralph avait rêvé.

Son rêve l’avait transporté dans cette verte Erin, sa patrie, pour laquelle il était déjà martyr.

Il avait retrouvé sa pauvre chaumière, et sa mère qui lui souriait, et le vieil Irlandais, pêcheur de morue, son aïeul, qui lui enseignait à prier Dieu.

Tout le reste s’était évanoui comme un cauchemar.

Hélas ! Ralph fut bientôt rendu au sentiment de la réalité.

Les deux policemen qui faisaient le service de la cour de police de Kilburn se représentaient à ses yeux de nouveau et, cette fois, l’un d’eux lui disait :

– Allons, lève-toi et suis-nous.

Ralph obéit sans mot dire.

Maintenant qu’on l’avait séparé de sa mère, que lui importait d’être en prison là ou ailleurs.

On lui fit remonter les marches de cet escalier tortueux et sombre que le prétendu lord Cornhill avait rempli la veille de ses exclamations d’étonnement et d’admiration.

L’enfant eut un dernier espoir, celui de rencontrer miss Katt, une dernière fois.

Mais M. Booth s’était laissé aller, par extraordinaire, à gronder sa fille, à l’issue de l’audience, trouvant inconvenant qu’une personne décente et bien élevée comme elle s’apitoyât ainsi sur le sort d’un petit vagabond que la loi venait de frapper.

Miss Katt était allée s’enfermer dans sa chambre et y pleurer tout à son aise.

Comme Ralph traversait un des corridors, il rencontra Toby, le secrétaire de M. Booth.

Toby, pour plaire sans doute à miss Katt, ou plutôt par les ordres de cette dernière, lui jeta un plaid sur les épaules.

La nuit était venue, une bise aigre et froide se dégageait du brouillard que perçait la lueur des deux fanaux de la voiture cellulaire.

La libre Angleterre fait voyager ses prisonniers la nuit, autant qu’elle le peut.

Il est inutile de dire à un peuple qui se croit le plus libre du monde qu’il y a chez lui des prisons, des bourreaux et des geôliers.

Un policeman prit Ralph sous les bras et le monta dans la voiture.

Ralph n’avait jamais vu, ou ne croyait avoir jamais vu cet homme.

Cependant il tressaillit des pieds à la tête et s’arracha à la torpeur morale qui l’étreignait quand celui-ci lui eut murmuré à l’oreille ces paroles pleines d’espoir :

– Ne crains rien, et prend courage, ta mère et les amis de ta mère veillent sur toi.

Ces paroles avaient été prononcées dans ce patois de son pays dont s’était déjà servi lord Cornhill.

Il sembla même à l’enfant que c’était le même son de voix.

Mais il eut beau regarder le policeman, qui avait de gros favoris roux ; il lui fut impossible de reconnaître en lui le fringant gentleman qui était descendu la veille dans son cachot.

Néanmoins l’espoir monta subitement du cœur à la tête de l’enfant.

On lui avait parlé de sa mère !

Il se laissa mettre sans résistance dans la cellule qui lui était destinée et dont la porte se referma sur lui avec un grand bruit de verroux.

Puis il entendit retentir le fouet du cocher, et le lourd véhicule s’ébranla et roula bruyamment sur le macadam détrempé.

Le trajet fut long.

De quart d’heure en quart d’heure la voiture s’arrêtait.

Ralph ne pouvait rien voir ; mais il entendait.

Il entendait qu’on ouvrait la porte de ce corridor roulant, puis une autre cellule et qu’un compagnon d’infortune sans doute y prenait place.

La voiture faisait le tour des différentes cours de police et prenait son chargement avec le moins de bruit et de scandale possible.

Enfin, elle s’arrêta pour tout de bon.

Cette fois on ouvrit la porte de la cellule où se trouvait Ralph.

Et le même policeman qui lui avait parlé la langue de son enfance, en prononçant le nom de sa mère, lui dit durement en anglais.

– Allons ! petit gibier de potence, descends !

Ralph obéit encore.

Il se vit alors entouré d’une demi-douzaine d’hommes à la figure patibulaire ou sinistre.

C’était les voleurs recrutés en chemin.

Eux-mêmes étaient entourés d’une escorte de policemen.

Enfin la voiture n’était plus dans la rue, mais bien dans une cour entourée de hautes murailles.

C’était la première enceinte de Bath square.

Le policeman aux gros favoris roux alla sonner à une porte qui se trouvait au fond de cette cour.

Une cloche répondit de l’intérieur avec un bruit lugubre.

Le son de cette cloche avait quelque chose de rauque et de fêlé qui remplissait le cœur d’une mystérieuse épouvante.

Les pas lourds et mesurés de plusieurs hommes se firent entendre derrière la porte qui s’ouvrit.

Alors les policemen qui avaient escorté la voiture s’arrêtèrent dans la cour.

Seul, celui qui avait parlé à l’oreille de Ralph franchit le seuil de cette porte, qui donnait sur la salle du greffe.

Celui-là était ce que nous pourrions appeler le chef du convoi.

C’était lui qui remettait un à un les prisonniers aux guichetiers de la prison.

Il prit Ralph par la main et lui dit d’une voix dure :

– Marche !

Mais cette grosse voix n’épouvanta point l’enfant, et il marcha la tête haute et d’un pas résolu.

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