XIX

La porte à barreaux de fer étant ouverte, le prétendu lord Cornhill se trouva au seuil d’un escalier tournant et noir.

– Aoh ! fit-il, plein de caractère ! très-curieux !

Et il prit une nouvelle note.

Miss Katt ne put réprimer un sourire, tant le noble lord lui paraissait original.

Elle passait la première, un flambeau à la main, et au bout d’une trentaine de marches, elle s’arrêta.

L’homme gris se vit alors dans une sorte de corridor souterrain qui avait toute la vulgarité d’un corridor de cave bourgeoise, et il vit une autre porte, également à barreaux de fer, et dont la solidité défiait les plus robustes efforts.

– C’est ici, dit-elle.

– Pauvre petit ! dit l’homme gris, on a pris des précautions pour lui comme pour un condamné à mort.

Miss Katt ouvrit la porte.

On n’entendait aucun bruit derrière.

Mais quand les verroux eurent grincé dans leurs anneaux, un gémissement parvint jusqu’à l’homme gris.

Alors ce personnage mystérieux eut un tressaillement et son cœur battit violemment.

Il allait voir enfin cet enfant qu’il cherchait avec tant de persistance. Cet enfant dans les mains de qui l’Irlande devait mettre ses destinées et que lui, son précurseur, il n’avait jamais vu.

Miss Katt entra encore la première et dit :

– Mon petit Ralph, n’ayez pas peur… c’est moi…

L’homme gris avait un moment oublié son rôle de lord excentrique.

Il était pâle et une sueur abondante perlait à son front.

Ralph était couché sur un peu de paille ; sous ses vêtements délabrés, qu’on avait entr’ouverts, on apercevait des linges sanglants.

Quand la lumière pénétra dans son cachot, le petit Irlandais se souleva à demi et regarda miss Katt.

La jeune fille avait été bonne pour lui, le matin, quand le médecin était revenu, et la reconnaissance est ce qui tient le plus au cœur des enfants.

– Ah ! c’est toi, madame ? dit-il.

– Oui, mon enfant, répondit miss Katt. Souffres-tu toujours ?

– Un peu moins, répondit-il d’une voix douce et triste.

– As-tu toujours soif ?

– Oh ! oui, madame…

L’homme gris se tenait à l’écart, dans l’ombre, et de grosses larmes roulaient dans ses yeux.

– Oh ! reprit le petit Irlandais, tu as pourtant l’air bien bonne, madame. Pourquoi ne veux-tu pas me laisser sortir, pour que j’aille retrouver ma mère ?

Alors l’homme gris fit un pas et entra dans le cercle de lumière décrit par la lampe de miss Katt.

L’enfant eut un geste d’effroi ; mais il ne pleura pas.

– Miss Katt, dit l’homme gris, voulez-vous que je lui parle la langue de son pays ?

– Mais, dit miss Katt en souriant, la langue des Irlandais est la même que celle des Anglais.

– Les gens du peuple ont un dialecte.

– Ah !

– Vous allez voir…

Et soudain cet homme, qui savait tout et qui parlait toutes les langues, se mit à parler une sorte de patois qui n’est compréhensible que pour les pêcheurs des côtes d’Irlande.

Aux premiers mots, l’enfant jeta un cri.

La langue maternelle vibrait tout à coup à son oreille, comme si la patrie absente fût venue jusqu’à lui.

– Ralph, disait l’homme gris, je suis un ami de ta mère.

L’enfant jeta un nouveau cri.

– De ta pauvre mère Jenny qui t’a cherché et pleuré si longtemps, et à qui je te rendrai.

Depuis trois jours, on s’était bien joué du malheureux enfant ; bien des gens lui avaient promis de lui rendre sa mère, et tout le monde l’avait trompé.

Et cependant sous le regard affectueux et dominateur de cet homme étrange, l’enfant frissonna d’une joie secrète et une confiance absolue emplit son âme.

– Oh ! dit-il, vous ne me tromperez pas, vous, je le sens.

Alors, toujours dans ce dialecte que miss Katt ne comprenait pas, et dans lequel l’enfant s’était mis à lui répondre, l’homme gris lui parla de sa mère, de son pays, de leur chaumière au bord de la mer, et du bon Shoking qui l’avait porté sur ses épaules, à son arrivée à Londres.

Ralph l’écoutait, plongé en une sorte d’extase.

– Écoute, lui dit encore l’homme gris, tu dois être un homme et avoir du courage.

L’enfant le regarda.

– Demain, reprit l’homme gris, on te jugera, parce que tu as été le complice de Suzannah et de Bulton.

– Oh ! monsieur, dit Ralph en joignant les mains, je vous jure que je ne savais pas ce qu’ils allaient me faire faire.

– Je le sais bien, dit l’homme gris, mais les juges ne te croiront pas.

L’enfant eut un accès de désespoir.

– Ô mon Dieu, dit-il, est-ce que l’on me laissera en prison ?

– Pas ici, mais on te conduira dans une autre.

– Et ma pauvre mère ?

– Quand tu seras dans l’autre prison, je te délivrerai.

– Vous ?

– Oui, et regarde-moi bien…

L’enfant regarda et dit :

– Je vous crois, monsieur.

– Par conséquent, mon enfant, acheva l’homme gris, prends patience jusqu’à demain.

– Mais je ne verrai donc pas ma pauvre mère ?

– Si, dit l’homme gris.

– Quand ?

– Demain.

– Vous me le promettez, monsieur ?

– Je te le jure.

Alors l’homme gris se tourna vers miss Katt.

– Je ne veux pas abuser de vos moments, miss, dit-il.

– Oh ! mylord…

Et puis, miss Katt ajouta avec une curiosité naïve :

– Mais que lui avez-vous donc dit ? Il paraît tout content de vous voir.

– Je lui ai dit que demain un noble lord viendrait le réclamer à la justice.

– Ah !

– Et qu’on le rendrait à sa mère.

Et l’homme gris dit encore à Ralph :

– Écoute bien ce que je vais te dire, mon enfant. Si tu veux revoir ta mère, il faut te garder de répéter à personne, même à miss Katt, ce que je viens de te dire.

L’enfant eut un sourire d’homme.

– Je ne dirai rien, répondit-il.

Et il se recoucha, résigné, sur la paille fétide qui lui servait de lit.

Alors miss Katt sortit du cachot, l’homme gris la suivit, et elle referma la porte.

Arrivé en haut de l’escalier, le prétendu lord Cornhill se remit à prendre des notes.

– Ah ! vous voilà enfin, dit Toby en les voyant reparaître. Dieu soit loué !

– Nous croyais-tu donc perdus ? fit miss Katt en riant.

– Non, mais j’avais peur que M. Booth ne revînt.

– Ah ! vraiment ?

– Et tenez, mamzelle, si vous m’en croyez, mylord s’en ira et nous ne dirons rien à M. Booth.

– Soit, dit miss Katt.

. . . . . . . . . . . . . . .

Quelques minutes après, l’homme gris remontait à cheval et murmurait :

– Allons ! voici la bataille engagée… À nous donc ! miss Ellen et lord Palmure !

Et il rejoignit l’Américain qui l’attendait, au coin de la rue, assis sur une borne.

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