L’homme gris soulevait le marteau de la porte d’entrée de la cour de police quelques minutes après.
L’homme d’aspect misérable, qui n’était autre qu’un des quatre qui avaient eu rendez-vous à Saint-Gilles, le 26 octobre dernier, avait obéi.
Il avait dit à la servante de M. Thomas Elgin qu’il reviendrait, et il s’en était allé.
Seulement, il avait suivi l’homme gris à distance.
La jolie miss Katt Boot avait donc un peu dérangé le rideau de la croisée et regardait dans la rue.
La tournure élégante du visiteur produisit sur la curieuse jeune fille une telle expression qu’au lieu d’appeler Toby, le secrétaire de M. Booth, elle alla ouvrir elle-même.
– Bonjour, ma belle enfant, dit l’homme gris. Je crains bien de me tromper. Une aussi jolie personne que vous ne saurait être une geôlière et on m’a mal indiqué sans doute.
– Que cherchez-vous, mylord ? demanda miss Katt.
– La cour de police de Kilburn.
– C’est bien ici.
L’homme gris entra.
– Et je désirerais parler à M. Booth, ajouta-t-il.
– C’est mon père.
– En vérité ! par saint George, ma mignonne, il doit être fier d’avoir une fille aussi jolie que vous.
Katt rougit jusqu’au blanc des yeux, elle ne put s’empêcher de songer que le visiteur était charmant.
L’homme gris poursuivit :
– J’ai pour M. Booth une lettre…
– Ah !
– De M. Thomas Elgin.
– Celui qu’on a failli assassiner la nuit dernière ?
– Précisément.
Et l’homme gris suivit Katt, qui avait poussé une porte et était entrée dans le bureau particulier de M. Booth.
Là-dessus, il recommença son petit discours.
– Je suis un lord excentrique, fit-il, je collectionne des crimes curieux, et j’ai un album que le lord chancelier de l’échiquier payerait vingt-cinq mille livres, si je voulais m’en défaire.
– Mais c’est que mon père est absent, dit miss Katt.
– Ah ! fit l’homme gris qui parut visiblement désappointé.
– Cependant, reprit la jolie fille, j’ai le pouvoir d’ouvrir ses lettres.
L’homme tendit le billet de M. Thomas Elgin.
Miss Katt en prit connaissance.
Puis comme si elle eût eu besoin de prendre conseil de quelqu’un, elle dit :
– Je vais appeler Toby ?
– Qu’est-ce que Toby.
– Le secrétaire de mon père.
Elle avança un siége au gentleman, alla se placer en bas de la rampe de l’escalier et cria :
– Toby ! laissez votre Bible, descendez au bureau, on a besoin de vous.
Puis, revenant vers l’homme :
– Ah ! mylord, dit-elle, si vous saviez comme il est intéressant et joli, ce pauvre petit malheureux !
– Vraiment ?
– Et beau comme un petit ange !
– Ah !
– M. Thomas Elgin a eu beau dire. Ce n’est pas un voleur, poursuivit miss Katt, et je crois à son histoire.
– Il a donc raconté son histoire ?
– Oui, mylord. Une histoire bien touchante, allez.
– Je vais en prendre note, dit l’homme gris, qui tira de nouveau son calepin.
Alors miss Katt ne se fit pas prier ; elle raconta tout ce que l’homme gris ne savait que trop bien ; et celui-ci ne tarit pas en exclamations de surprise et de contentement.
– Oh ! très-curieux, disait-il, très-curieux !
– Mais, continua miss Katt, je ne vous dis pas tout, mylord, et je crois bien que le pauvre petit sera sauvé demain.
– Sauvé !
Et l’homme gris tressaillit.
– Oui, dit miss Katt.
– Par qui ?
– Par un noble lord comme vous, qui se propose de le réclamer.
L’homme gris eut un battement de cœur ; mais son visage demeura impassible.
– Et quel est ce noble lord ? fit-il.
– Lord Palmure, dit miss Katt.
L’homme gris ne sourcilla pas.
Miss Katt, qui jasait volontiers, lui parla alors de la note de police émanée de la cour de Marlborough, et elle termina son récit en disant que M. Booth, son père, s’était empressé d’aller chez lord Palmure.
Elle achevait de donner ces détails à l’homme gris, lorsque Toby parut enfin.
M. Booth, en l’appelant imbécile, n’avait rien exagéré.
C’était un gros garçon aux cheveux jaunes, avec des yeux ronds à fleur de tête, un rire bête qui faisait voir de vilaines dents.
– Toby, lui dit miss Katt, c’est vous qui avez la clef du cachot.
– Oui, certainement.
Et le bélître fit sonner un trousseau de clefs qu’il avait à sa ceinture.
– Je vous présente lord Cornhill, dit miss Katt.
Toby salua.
– Un lord excentrique.
– Et riche, dit l’homme gris.
– Qui fait une collection de crimes, poursuivit la jolie Katt, qui n’avait qu’à regarder Toby pour le faire rougir.
Toby était amoureux de Katt, et Katt se moquait de lui du matin au soir.
– Eh bien ! fit le secrétaire, que désire milord ?
– Il voudrait voir le petit Irlandais.
– Ah ! c’est impossible, dit Toby.
– Pourquoi donc ?
– Parce que M. Booth…
– M. Booth est mon père…
– Je ne dis pas non.
– Et il trouve bien tout ce que je fais.
– Je ne dis pas… mais…
– Mais quoi ?
Et miss Katt prit un petit ton impérieux.
– Mais, dit Toby, qui se raidissait dans le sentiment du devoir, si mylord qui… est… excentrique…
– Eh bien ! fit l’homme gris.
– Que voulez-vous dire ? demanda miss Katt, qui plissa son joli front.
– Si mylord, qui est excentrique… voulait… délivrer le prisonnier ?…
L’homme gris se mit à rire et miss Katt fit chorus avec lui.
– Excusez-le, mylord, dit la jolie fille. Mon père a bien raison de dire que vous êtes un imbécile, Toby.
Ces mots vexèrent le secrétaire de M. Booth.
– Ma foi, mademoiselle, dit-il, vous êtes la maîtresse, après tout ; ordonnez, j’obéirai. Je suis un pauvre secrétaire, aux appointements de soixante-quinze livres, et si M. Booth me chasse pour vous avoir obéi…
– Vous êtes un insolent, dit miss Katt. Donnez-moi les clefs.
Tobby prit le trousseau à sa ceinture, poussa un gros soupir et tendit les clefs à miss Katt.
– Mylord, dit alors celle-ci, si vous voulez me suivre, je vais vous conduire.
– Au cachot ?
– Oui, mylord.
– Et je verrai le petit voleur ?
– Sans doute.
– Aoh ! fit le prétendu lord avec une satisfaction visible.
Et il tira de sa poche un billet de cinq livres, qu’il mit dans la main de Toby pour le consoler.
Miss Katt avait allumé une chandelle et elle se dirigeait vers une porte à barreaux de fer qui se trouvait au fond du bureau de M. Booth.