XI

Le Français, M. Harris et sir Robert M… regagnèrent le préau.

À l’autre extrémité est une porte qui ouvre sur un étroit passage.

Quand on a franchi cette porte, on se demande quelle peut être la destination de cet endroit bizarre.

Il a dix pieds de large et trente pieds de long.

Si vous levez la tête, vous voyez le ciel.

Mais vous le voyez au travers d’un grillage formé par des barres de fer énormes.

Les voleurs de Londres ont, comme ceux de Paris, leur argot pittoresque :

Ils ont surnommé ce passage la cage aux oiseaux.

Au fond de ce passage est une autre porte, toujours en chêne ferré, pourvue d’un guichet et d’énormes verrous.

Qu’est-ce que cette porte ?

Sir Robert M… était un metteur en scène consciencieux.

Il ne négligeait aucun détail.

Lorsque les deux visiteurs furent entrés dans la cage aux oiseaux, ils virent bien deux détenus qui travaillaient à enlever une des dalles, qui couvraient le sol, lesquelles dalles, disposées sur la largeur du passage, ont une dimension de dix pieds de long sur trois de large, mais ils n’y firent aucune attention, et ils continuèrent à suivre sir Robert M…, qui ouvrit la porte du fond.

– Voici la cour d’assises, dit le sous-gouverneur en entrant.

La cour d’assises ressemble à toutes les cours de justice possibles, et n’offre rien de curieux.

Sir Robert M… se contenta de montrer le siége de l’attorney général, celui du juge et ceux des jurés, le banc du solicitor et le banc des prévenus.

Puis se retournant vers M. Harris :

– Si le prévenu est acquitté, dit-il, il sort par cette autre porte que vous voyez là-bas.

– Ah ! fit M. Harris, et s’il est condamné ?

– Il fait en sens inverse le chemin que nous avons parcouru.

En même temps, sir Robert regagna la porte de la cage aux oiseaux.

Alors M. Harris qui l’avait suivi tressaillit tout à coup.

Les deux détenus qui travaillaient sous la surveillance d’un gardien venaient de soulever la dalle et l’avaient dressée contre le mur.

Puis ils s’étaient mis à creuser un trou, rejetant la terre à droite et à gauche.

– Que font ils donc là ? demanda le banquier.

Alors sir Robert qui montrait sa chère prison comme on montrerait une lanterne magique aux enfants, se reprit à sourire et dit :

– Écoutez-moi bien.

– Parlez, dit M. Harris.

– En France, on condamne à mort ; mais la loi française, plus humaine que la nôtre, j’en conviens, laisse le condamné dans l’incertitude de l’heure et du jour de son supplice, ce qui lui permet d’espérer encore, soit sa grâce, soit une commutation de peine, soit un événement quelconque qui l’arrache à sa destinée.

Chez nous, le prévenu apprend en même temps que sa condamnation, le jour et l’heure de son supplice. Il sait en outre qu’il ne sera point gracié, et quand il a repassé le seuil de cette porte, il frisonne et se dit : c’est là !

– Que voulez-vous dire ? fit M. Harris.

– Savez-vous ce que font ces hommes ?

– Non.

– Ils creusent une tombe, la tombe du Français qu’on a pendu ce matin. Vous êtes dans le cimetière des suppliciés.

M. Harris jeta un cri.

Quant au Français, il parut visiblement surpris lui-même, et manifesta une grande émotion.

Alors sir Robert, qui avait toujours le sourire aux lèvres, appuya sur la droite et posa un doigt sur le mur.

Au-dessus de chaque dalle, il y avait une initiale.

– Voici, disait-il, Witgins qui a tué sa femme. Voilà Henriette Stameton qui a empoisonné sa maîtresse. Voici Barthélemy, un Français, et Drury un Écossais, et l’Américain Butter, et l’Irlandaise Mary.

M. Harris ne pouvait s’empêcher de frissonner, à mesure que, passant d’une dalle à l’autre, le joyeux sous-gouverneur racontait l’histoire du supplicié qu’il avait sous les pieds.

Ils arrivèrent ainsi à la fosse que l’on creusait.

– Voilà où on va mettre Olivier, dit sir Robert.

– Quand ? demanda M. Harris.

– À la nuit tombante.

– Monsieur, dit le Français à M. Harris, demandez donc au gouverneur quelques détails sur la manière dont se fait l’inhumation.

Sir Robert ne demandait qu’à causer, et lorsque M. Harris lui eut transmis la question, il s’empressa de répondre :

– L’inhumation se fait très-simplement : on a mis le cadavre dans un cercueil de chêne qu’on a cloué ensuite.

Le cercueil est descendu dans la fosse en notre présence et en présence de deux gardiens, car ce sont des détenus qui l’ont apporté jusqu’ici.

Alors, un ministre presbytérien, si c’est un Anglais, un prêtre catholique, si c’est un Français ou un Irlandais, fait une courte prière un bord de la fosse ouverte.

Après quoi on rejette la terre sur la bière, on replace la dalle, et avec un peu de plâtre et une truelle, on la cimente.

En même temps, le fossoyeur prend un ciseau à froid et grave sur le mur, en face, la première lettre du nom du supplicié.

– Et c’est tout, dit M. Harris.

– Ah ! j’oubliais encore un détail.

– Voyons ?

– Le cercueil renferme un mélange d’hydrochlorure de chaux et de potasse destiné à détruire les chairs en un court espace de temps, de façon à éviter la corruption du corps.

– Passons, dit M. Harris, qui avait hâte d’être hors de ce lieu sinistre.

Et ils sortirent tous trois de la cage aux oiseaux.

Là, ils tournèrent à droite, suivirent un nouveau couloir et les visiteurs se trouvèrent au seuil d’une salle qui n’était autre que la cuisine.

Les fourneaux étaient allumés ; une marmite gigantesque chantait dessus, et les cuisiniers paraissaient fort affairés. L’heure du repas approchait.

Sir Robert ouvrit alors une armoire de chêne blanc qui se trouvait en face de la cheminée.

– Qu’est-ce que cela ? demanda M. Harris, qui vit reluire tout à coup, cette armoire ouverte, des cuivres, des aciers, et aperçut des courroies, des sangles et des fouets.

On aurait pu croire, à première vue, que c’était l’armoire à sellerie d’un gentleman-rider et qu’elle contenait des mors de bride, des étriers, des étrivières, des gourmettes et des cravaches.

Sir Robert répondit :

– C’est ici qu’on tourmente les prisonniers.

Et il étala complaisamment et plus souriant que jamais les fers qu’on met aux prisonniers insubordonnés, et les courroies qui anéantissent le mouvement et la volonté chez le condamné à mort, le boulet qu’ils traînaient autrefois, des carcans d’un autre âge qui servaient pour les expositions, les fouets qui servaient à fustiger les détenus indociles ; enfin, la fameuse ceinture qu’on met à celui qui va monter sur l’échafaud et finalement la corde et le crochet de la potence.

Un amateur de curiosités et de chinoiseries ne montre pas ses bibelots avec plus de grâce et d’orgueil tout à la fois.

– Mais enfin, dit M. Harris, pourquoi tout cela se trouve-t-il dans la cuisine ?

– Levez les yeux, dit sir Robert.

– Bon !

– Voyez-vous ces quatre crochets dans le mur, deux au-dessus de la porte que nous venons de passer, deux au-dessus de celle que vous voyez vis-à-vis ?

– Oui.

– À ces crochets, on suspend deux immenses draps qui forment comme un corridor, au milieu de la cuisine et vont d’une porte à l’autre ?

– Oui.

– C’est un passage qu’on fait pour le condamné à mort. C’est par là qu’il sort pour aller mourir.

– Ah ! vraiment ? dit le Français impassible, tandis que M. Harris sentait ses cheveux se hérisser et que le bon sous-gouverneur le regardait avec son sourire jovial et paternel.

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