Que devenait John Colden pendant tout ce temps-là ?
John Colden avait été transféré, la veille de Noël, à Newgate.
Sa blessure n’était pas complétement fermée, mais elle était en voie de guérison et le chirurgien philanthrope de Cold Bath field avait déclaré qu’il n’y avait nul inconvénient à envoyer ce misérable prendre possession de sa cellule dans la prison d’où on ne sort plus.
C’était le bon et jovial sous-gouverneur, sir Robert M…, qui avait reçu le nouvel arrivant et assisté à son inscription sur les registres d’écrou.
– Vous deviez bien vous ennuyer, mon garçon, à Cold Bath field, c’est une vilaine prison pour les malades. Le bruit du moulin est insupportable et devait vous empêcher de dormir.
Ici, rien de pareil, vous serez comme chez vous et vous n’entendrez pas le moindre bruit.
D’ailleurs, vous savez, l’Angleterre est pleine de clémence, elle ne fait pas souffrir inutilement le pauvre monde.
Si j’en crois le certificat que me transmet le chirurgien de Bath square, vous pourrez très-bien supporter les fatigues de la cour d’assises d’ici à quatre ou cinq jours.
Il est même probable que le président du jury prendra en considération votre état, et qu’il vous condamnera à être promptement exécuté.
Car, voyez-vous, mon garçon, acheva le bon sous-gouverneur, croyez-en ma vieille expérience, quand on a un mauvais quart d’heure à passer, autant vaut que ce soit le plus tôt possible. Après, on est bien tranquille, allez !
John Colden eut un sourire pour cette lugubre facétie.
On le conduisit à sa cellule, et on lui mit les fers.
L’Irlandais avait fait le sacrifice de sa vie, et bien que M. Bardel, en l’embrassant, lorsqu’il avait quitté Bath square, lui eût dit à l’oreille, « Courage, on te sauvera ! » John Colden n’y croyait guère.
L’enfant était sauvé.
Pour lui, c’était l’essentiel. Peu lui importait de mourir.
Il dormit comme un homme que n’assiége aucun remords.
Le lendemain, le sous-gouverneur entra dans sa cellule de bonne heure et lui dit :
– Vous êtes Irlandais ?
– Oui, répondit John Colden.
– Catholique, par conséquent ?
– Oui.
– Mon cher ami, reprit sir Robert M…, il nous arrive si rarement d’avoir des catholiques à Newgate que nous n’avons pas d’aumônier.
Hier matin, on a pendu un Français : il était catholique aussi. Un prêtre de ce culte s’est présenté, il a été admis à lui donner des consolations.
Lorsque vous aurez été condamné, on fera demander ce même prêtre, si vous le désirez.
Mais, pour le moment, la chose est impossible.
Cependant, c’est aujourd’hui Noël, la plus grande fête du monde chrétien. Voulez-vous aller à la chapelle ?
– Soit, dit John Colden.
– Vous entendrez l’office comme les autres détenus. Après tout, c’est toujours prier Dieu.
John Colden fit un nouveau signe d’assentiment, et le sous-gouverneur se retira.
Une heure après, on vint chercher John pour le conduire à la chapelle.
Le dimanche, à l’heure de l’office, les détenus sont assis les uns à côté des autres, la face tournée vers la chaire du prédicateur.
Mais le condamné à mort, s’il y en a un, a une place spéciale : un prie-Dieu placé tout au bas de la chaire.
John Colden tressaillit en entrant.
Il vit un homme revêtu de la camisole de force, et dans cet homme qui occupait le banc du condamné à mort, il reconnut Bulton.
Bulton, l’amant de Suzannah, sa sœur, à lui, John Colden.
Bulton, qui avait été condamné à être pendu le 2 janvier prochain.
Celui-ci le reconnut et lui fit un signe de tête amical.
John Colden, si brave et si résigné qu’il fût, ne put s’empêcher de faire cette réflexion que dans huit jours il occuperait certainement la place où était Bulton, et il sentit quelques gouttes de sueur mouiller la racine de ses cheveux.
Quand l’office fut fini, Bulton passa près de lui.
– Bonjour, frère, lui dit-il.
– Dieu te garde ! répondit John.
Les deux gardiens qui ne quittaient jamais le condamné à mort ne s’opposèrent pas à ce qu’il échangeât quelques mots avec John.
Bulton, à force de vivre avec Suzannah, avait appris cet idiome des côtes d’Irlande que les Anglais ne comprennent pas.
– As-tu des nouvelles de Suzannah ? dit Bulton dans cette langue.
– Oui.
– Elle est sans doute à Milbanck ?
– Non, elle est libre.
– Libre !
– Oui, c’est l’homme gris qui l’a sauvée.
Bulton parut rassembler ses souvenirs :
– Ah ! dit-il, c’est cet homme qui courait après le petit Ralph.
– Oui.
– Je l’ai reconnu, il est venu ici.
– Quand ?
– Hier. Je ne sais pas ce qu’il venait faire, peut-être était-ce pour toi.
– Je ne sais, dit John Colden.
– Pauvre Suzannah ! murmura Bulton, si je pouvais la voir une dernière fois, je serais résigné.
Les gardiens s’approchèrent et poussèrent Bulton en avant, le séparant ainsi de John Colden.
Celui-ci rentra dans sa cellule, et les jours et les nuits s’écoulèrent.
Personne ne le visitait, aucun bruit du dehors ne parvenait jusqu’à lui, et le sous-gouverneur ne le visitait plus.
Matin et soir un gardien lui apportait à manger.
Dans la journée, il se promenait une heure dans le préau, et il rentrait ensuite dans sa cellule jusques au lendemain.
Un soir, cependant, il y avait juste huit jours qu’il avait rencontré Bulton à la chapelle, le sous-gouverneur reparut.
– Eh bien ! mon garçon, lui dit-il, c’est pour demain.
John le regarda.
– Demain la cour d’assises vous jugera, et vous serez fixé. Cela vaut toujours mieux, voyez-vous.
– Vous avez raison, répondit John impassible.
Il commençait à être de l’avis de sir Robert M…, que, quand on a un mauvais quart d’heure à passer, autant vaut que ce soit tout de suite.
Ce fut donc avec une sorte de joie que John Colden accueillit la communication du sous-gouverneur.
Il mangea et s’endormit ensuite comme à l’ordinaire.
Mais il fut éveillé dans son premier sommeil.
Était-ce une illusion ? était-ce la réalité ?
Mais John croyait entendre à travers les murs épais de sa cellule un bruit sourd et mystérieux qui croissait sans cesse et qui ressemblait au clapotement de la mer se brisant sur les falaises.
Ce bruit dura toute la nuit.
Le jour vint.
Avec le jour, il parut s’accroître un moment, puis il cessa tout à coup.
À huit heures, la porte de la cellule s’ouvrit, et un gardien parut.
– John ! dit-il, c’est aujourd’hui la cour d’assises.
– Je suis prêt, répondit John en sortant de son lit.
Puis, comme le gardien allait se retirer :
– J’ai entendu un bruit étrange cette nuit, dit-il.
– Ah ! fit le gardien.
– Et je n’ai pu dormir.
– Vous n’êtes pas le seul.
– Quel était donc ce bruit ?
Le gardien hésita.
– À quoi bon vous le dire ? fit-il.
Et il sortit.
John tomba dans une rêverie profonde.
Puis tout à coup il se souvint que dans la nuit qui précède l’exécution, les abords de Newgate sont envahis par une foule immense, qui trépigne et murmure toute la nuit, et que, jusqu’à l’heure de l’expiation suprême, cette foule grandit, grandit toujours…
Et John Colden pensa à Bulton…
À Bulton qui peut-être était mort.
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