XXXVII

Et pendant ce temps-là à quoi songeait John Colden, le condamné ?

Apôtres ou fanatiques, les hommes qui se sont voués à une cause ou à une idée, savent être martyrs.

On avait bien dit à John Colden qu’on le sauverait. Il l’avait même espéré un moment, alors qu’il était encore à Cold Bath fields.

Mais depuis qu’on l’avait transféré à Newgate, cette espérance était devenue de plus en plus faible, et elle avait fini par s’évanouir.

Depuis qu’il était condamné, depuis surtout qu’il avait appris l’exécution de Bulton, John Colden se faisait peu à peu à cette idée que sa dernière heure approchait et qu’il irait dormir du dernier sommeil dans la Cage aux oiseaux, tout à côté de l’amant de la pauvre Suzannah.

Et les jours passaient, et John comptait maintenant les heures.

Il recevait tous les matins la visite de sir Robert, le sous-gouverneur, qui lui témoignait de l’amitié et ne cessait de lui dire qu’on s’exagérait beaucoup l’importance du dernier supplice et que cela n’avait absolument rien d’effrayant.

John Colden souriait avec mélancolie et se bornait à répondre :

– Je saurai mourir.

Enfin la veille de l’exécution était arrivée.

La dernière journée d’un condamné est peut-être moins lugubre et moins monotone que celles qui la précèdent.

Dès huit heures du matin, il reçoit la visite du prêtre d’abord, ensuite du gouverneur ; puis, dans le courant du jour, ce sont les dames des prisons qui viennent lui apporter des consolations.

Enfin, vers le soir, les deux élèves de Christ’s hospital, chargés de remplir le vœu du roi Édouard VI, viennent à leur tour.

Cette dernière visite est peut-être celle qui touche le plus le malheureux qui va mourir.

L’enfance a des accents, des paroles et des sourires qui vont droit à l’âme la plus endurcie.

À huit heures, John Colden avait donc reçu la visite d’un prêtre.

Mais ce prêtre n’était point l’abbé Samuel.

C’était un ministre protestant.

Car si la loi anglaise accorde au condamné catholique la grâce de voir un ministre de sa religion, ce n’est que lorsqu’il a refusé inflexiblement les secours d’un prêtre anglican.

Le ministre savait que John Colden était catholique.

Aussi, n’était-il entré dans sa cellule que pour la forme et en était-il ressorti aussitôt.

Le gouverneur était venu ensuite, accompagné du shérif, qui avait demandé à John si, au moment suprême, il ne voulait pas dénoncer ses complices.

John avait répondu négativement.

À midi, le prêtre catholique s’était présenté.

Celui-là, c’était l’abbé Samuel.

John avait, en le voyant, perdu son impassibilité, et quelques larmes avaient subitement roulé dans ses yeux.

Le jeune prêtre était demeuré enfermé avec le condamné pendant plus d’une heure, et il l’avait préparé à la mort.

Cependant, depuis quinze jours, le prêtre travaillait avec ses amis à sauver John Colden.

Comment donc, alors qu’on était presque sûr des amis, ne lui avait-il pas laissé entrevoir le salut ?

Ceci tenait à la prudence de l’homme gris.

Celui-ci avait dit la veille :

– L’homme qui se noie s’accroche souvent à ceux qui essayent de le sauver, d’une façon si malheureuse, si désespérée, si maladroite, qu’il les fait périr avec lui.

Ainsi de John.

Il est résigné à mourir ; il faut même qu’il n’espère plus, car il pourrait nous trahir par son attitude confiante, éveiller l’attention de l’autorité, et faire échouer tous nos projets.

Le prêtre quitta donc John en lui parlant du ciel et de Dieu, qui n’abandonne jamais ses serviteurs.

Il le quitta en lui promettant de revenir le soir et de passer la nuit en prières auprès de lui.

Après l’abbé Samuel, ce fut le tour des dames des prisons.

Puis enfin, comme la nuit venait, la porte de la cellule s’ouvrit.

Le gardien-chef lui dit :

– John, voici deux jeunes clercs du collége de Christ’s hospital qui vienne vous visiter, selon la coutume établie par le roi Edward.

Et John vit apparaître d’abord un grand jeune homme, le plus ancien des élèves, et un enfant, le dernier venu et le plus jeune.

Et soudain, en regardant celui-ci, John poussa un cri et se demanda si Dieu ne faisait pas un miracle en sa faveur.

Dans cet enfant, John Colden venait de reconnaître l’enfant de Jenny l’Irlandaise, le petit Ralph, celui pour qui il allait subir le dernier supplice, le rédempteur enfin que la pauvre Irlande attendait.

Mais l’enfant avait posé un doigt sur ses lèvres, et John maîtrisa sa joie.

Ralph, car c’était bien lui, apparaissait à John Colden comme un ange descendu sur la terre.

L’enfant, on l’a vu plusieurs fois déjà, avait la raison et le courage d’un homme.

Quand il eut fait un signe à John Colden, il se tourna vers son compagnon, le grand écolier :

– George, lui dit-il, cet homme est Irlandais, n’est-ce pas ?

– On nous l’a dit, répondit l’écolier.

– Veux-tu que je lui parle, le langage de son pays ?

– Mais, dit le grand camarade avec étonnement, Anglais ou Irlandais, ne parlons-nous pas la même langue ?

– Non, répondit Ralph, les pêcheurs de l’Irlande ont un idiome que je sais.

John Colden écoutait et regardait toujours l’enfant avec une muette extase.

Alors Ralph dit au condamné, en patois irlandais :

– Je suis bien heureux qu’on m’ait choisi pour venir te voir, mon bon John, toi qui m’as sauvé du moulin.

– Ah ! dit John dans la même langue, Dieu a donc fait un miracle ?

– Pourquoi ? fit naïvement l’enfant.

– Il a donc fait un miracle pour que je vous voie sous cet habit, continua le condamné.

– C’est Shoking et ma mère, et notre ami l’homme gris qui m’ont mis à Christ’s hospital, répondit Ralph. Et je vois tous les jours ma mère et mon amie Suzannah.

– Suzannah ! murmura John, dont les yeux s’emplirent de larmes.

Et l’enfant raconta au condamné comment il était entré à Christ’s hospital, sous le nom de Ralph Waterley, et comment Shoking était devenu lord Vilmot.

Et en l’écoutant, John ne pensait plus à lui-même, et il ne songeait plus qu’il allait mourir.

N’avait-il pas devant lui l’enfant promis à la délivrance de l’Irlande ?

– Mon bon John, dit encore le petit Ralph, ils disent tous que tu seras pendu demain.

– À sept heures, dit John.

– Mais je suis sûr que non, moi.

John tressaillit et regarda l’enfant.

– Je suis bien sûr qu’on te sauvera, moi, répéta l’enfant.

Et à ces dernières paroles, il s’éleva dans l’âme du condamné une voix confuse qui lui dit :

– La vérité est dans la bouche des enfants.

Et son âme, où venait de se faire entendre cette voix mystérieuse, s’emplit tout à coup d’une vague espérance.

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