John Colden regardait toujours Ralph, cherchant à lire sur son visage la cause de cette assurance avec laquelle il parlait de son salut.
L’enfant était calme, il souriait.
– Oui, mon bon John, disait-il, on te sauvera. Notre ami l’homme gris l’a promis à ma mère, et tu sais bien que tout ce qu’il a promis, il le tient.
– Ah ! cher enfant de Dieu, répondit John, puisque vous n’êtes plus au moulin, que m’importe à présent de mourir !
– Tu ne mourras pas, j’en ai la conviction.
John Colden secoua la tête :
– Le prêtre est venu, dit-il.
– L’abbé Samuel ?
– Oui.
– Et il t’a dit comme moi que tu ne mourrais pas ?
– Non, fit John, il ne m’a pas dit cela.
– Alors c’est que l’homme gris ne lui a pas promis, comme il l’a promis à ma mère.
– Mon Dieu ! mon Dieu ! murmurait le condamné, j’avais fait le sacrifice de ma vie, j’attendais avec calme ma dernière heure, et voici que cet enfant vient ébranler mon courage.
Le grand écolier de Christ’s hospital écoutait sans la comprendre cette conversation du condamné et de son petit camarade.
D’ailleurs, ce jeune homme, – il avait près de vingt ans, – était peu intelligent.
Anglais de pur sang, indifférent et froid, il était venu là comme il eût assisté à un cours.
De temps en temps, pendant que Ralph et John Colden continuaient à causer, il tirait sa montre et paraissait trouver le temps long.
De temps en temps aussi, un œil s’appliquait au trou vitré pratiqué dans la porte.
C’était le surveillant qui avait le droit de voir, mais non pas d’entendre.
Enfin, des pas retentirent dans le corridor et la porte de la cellule s’ouvrit de nouveau.
Cette fois, c’était l’abbé Samuel qui revenait.
En même temps, le gardien chef dit aux deux élèves de Christ’s hospital :
– Messieurs, il est temps que vous vous retiriez.
Ralph se jeta au cou de John Colden.
– Adieu, mon jeune maître, dit celui-ci.
– Au revoir, mon bon John, répondit l’enfant.
John secoua la tête.
Il avait regardé l’abbé Samuel et celui-ci lui avait paru triste et résigné.
– Non, dit-il encore, je sais bien que je vais mourir… adieu, mon jeune maître, je meurs pour l’Irlande et pour vous.
– L’Irlande n’abandonne point ses enfants, dit alors le prêtre d’une voix grave et douce.
Et John tressaillit encore, et ce vague espoir qui avait déjà envahi son âme, l’emplit de nouveau.
Les deux écoliers se retirèrent et le prêtre demeura seul avec le condamné.
Ce bruit sourd comme celui d’une tempête lointaine que John avait entendu déjà dans la nuit qui avait précédé l’exécution de Bulton, commençait à se faire entendre et perçait les murs épais de Newgate.
– John, dit l’abbé Samuel, on dresse votre échafaud.
– Ah ! dit-il en pâlissant, je savais bien que l’enfant me berçait d’un fol espoir.
– Que vous disait-il, John ?
– Qu’on travaillait à me sauver.
– C’est vrai, dit le prêtre.
John attacha sur lui un œil éperdu :
– Ah ! dit-il, je m’étais résigné… ne me donnez donc pas une espérance qui pourrait affaiblir mon courage. Ce matin, d’ailleurs…
– Ce matin, interrompit l’abbé Samuel, je ne pouvais pas rester avec vous jusqu’à la dernière heure.
– Je ne comprends pas, dit John.
– Ce matin, reprit l’abbé Samuel complétant sa pensée, la joie que vous auriez éprouvée en apprenant que nos frères d’Irlande espèrent vous sauver, pouvait vous trahir et tout perdre.
– Et… maintenant ?
– Maintenant, John, j’ai obtenu la permission de demeurer avec vous cette nuit ; et comme je ne vous quitterai plus, je puis vous dire : on a l’espoir de vous sauver.
John avait des battements de cœur terribles à mesure que le prêtre parlait.
Celui-ci continua :
– Nos frères travaillent : mais la Providence a quelquefois des vues secrètes, et le plan le mieux combiné peut échouer. À tout hasard, mon ami, il faut me faire votre confession et vous préparer à mourir saintement et noblement, comme un digne fils de l’Irlande que vous êtes.
– Mais, mon père, dit John, comment pourrait-on me sauver ? Les murs de Newgate sont épais et les soldats veillent.
Le prêtre ne répondit pas.
Le sourd murmure du dehors grandissait de minute en minute, pénétrant l’enceinte massive de la prison, comme une vibration de cloche gigantesque.
John se mit à genoux ; il se confessa, il écouta les exhortations du prêtre qui lui parlait toujours de la vie éternelle, comme si lui-même il eût perdu cette espérance qu’il avait mise tout à l’heure au cœur du condamné.
Les heures passaient, et les bruits du dehors devenaient de plus en plus stridents.
L’abbé tira sa montre.
– Cinq heures, dit-il, ils vont venir.
– Ah ! fit John Colden, que l’angoisse reprit un moment à la gorge, nos amis ont échoué, vous voyez bien.
Le prêtre ne répondit pas.
Mais il se mit à réciter en latin les vêpres des morts.
À cinq heures et demie, la porte de la cellule s’ouvrit et le lord gouverneur, le bon et jovial sir Robert M…, entra.
– Allons, mon ami, voici l’heure… Vous n’avez plus que quelques mauvais instants à passer.
Derrière le sous-gouverneur se tenait le shériff.
Celui-ci s’approcha de John.
– Au dernier moment, John Colden, lui dit-il, je vous adjure, au nom de Dieu et de la justice, de nommer vos complices, si vous en avez.
– Je n’en ai pas, répondit-il.
– Habillez-vous, dit le sous-gouverneur, on va vous conduire à la chapelle.
Et il appela deux gardiens, qui débarrassèrent le condamné de ses entraves et l’aidèrent à s’habiller.
L’abbé Samuel récitait toujours les vêpres des morts.
Quand John fut prêt, il regarda de nouveau le jeune prêtre.
Celui-ci était d’une pâleur mortelle.
– Allons, pensa le condamné, il est comme moi, il a perdu tout espoir.
Appuyé sur le bras de l’abbé Samuel, escorté par le sous-gouverneur, le shériff et une escouade de gardiens, John monta à la chapelle.
Le prêtre avait obtenu la permission de célébrer la messe.
Dans les pays protestants, il arrive souvent que les catholiques, qui sont en minorité, n’ont point d’église et célèbrent dans le temple, à de certains jours et à de certaines heures, les cérémonies de leur religion.
Ainsi fait-on à Newgate, où il n’y a pas de chapelle catholique.
Les gardiens, le sous-gouverneur et le shériff demeurèrent en dehors, le prêtre revêtit ses habits sacerdotaux et dit la messe devant un autel improvisé.
Comme il achevait, un bruit domina tous les autres bruits et vint frapper l’oreille du condamné prosterné sur les dalles.
C’était le tintement lugubre des cloches de l’hôpital Saint-Barthélémy, qui sonnent des glas funèbres, une demi-heure auparavant et pendant tout le temps ensuite que dure l’exécution et que le corps du supplicié demeure accroché au gibet.
Et John se releva, murmurant :
– Il faut mourir… Que Dieu protège et sauve l’Irlande !