Chapitre XXVI

Près de la ville de Pi-Bast se dressait le grand temple de la déesse Hator.

Un soir d’avril, deux prêtres et un pénitent s’arrêtèrent devant la porte du sanctuaire. Le pénitent allait pieds nus et avait le visage couvert.

Arrivé devant le temple, il se prosterna face au sol et pria longuement. Puis il frappa vigoureusement à la porte. Le bruit se répercuta dans les couloirs et entre les murailles, et courut jusqu’au Nil tout proche. Après un long moment, un murmure répondit :

– Qui vient nous tirer ainsi du sommeil ?

– L’esclave des dieux, Ramsès, répondit le pénitent.

– Pourquoi viens-tu ?

– Je viens chercher la sagesse.

– Quels droits y as-tu ?

– J’ai reçu certaines consécrations religieuses.

La porte s’ouvrit, découvrant un prêtre vêtu de blanc, qui tendit la main à Ramsès.

– Entre, dit-il, et, ce seuil franchi, que la paix divine soit sur toi et que tes désirs se réalisent.

Il prit le prince par la main et le conduisit à sa chambre. C’était en fait une petite cellule éclairée par une torche. Il y avait de la paille sur le sol, une galette et un cruchon d’eau dans un coin.

– Cela me changera des banquets royaux, dit le prince en souriant.

– Tu es ici pour penser à l’éternité, dit le prêtre, et il s’éloigna.

Cette réplique avait désagréablement frappé Ramsès. Il n’avait pas envie de manger cette galette ni de boire cette eau et, regardant ses pieds meurtris, il se demandait ce qu’il venait faire dans ce lieu.

Cette cellule et cette austérité lui rappelaient ses années d’études chez les prêtres et les coups reçus. La haine et la crainte le reprirent contre ces hommes qui répondaient à ses questions par une phrase immuable :

« Pense à l’éternité ! »

Après l’agitation des derniers mois, après les fêtes, les femmes, la musique dont il s’était enivré, cette solitude l’écrasait. Il aurait voulu quitter le temple sur-le-champ, mais il craignait qu’on ne lui ouvrît pas la porte. Il n’avait même pas son glaive ; d’ailleurs aurait-il osé s’en servir en un tel lieu ?

La peur le reprit, et cela lui fit du bien. Il savait qu’elle était le premier pas vers la sagesse.

Il se leva et sortit de sa cellule. Il se trouva dans une grande cour entourée de colonnes. Les étoiles brillaient si fort au ciel qu’il vit distinctement, à sa gauche, les deux immenses pylônes et, à sa droite, l’entrée du temple. Ce fut par là qu’il dirigea ses pas, et il pénétra dans le sanctuaire. Il y faisait sombre et seules quelques lampes vacillantes brillaient dans le fond, éclairant faiblement l’immense statue de la déesse.

L’ambiance du lieu saint le pénétrait lentement. Il se mit à prier comme il ne l’avait jamais fait, avec foi et abandon. Il priait pour lui, pour sa gloire. Il suppliait la déesse de lui accorder le pardon et la lucidité qui font les grands rois. Cette sorte de transe dura un long moment. Petit à petit, Ramsès sentit fondre sur lui une paix immense, une douceur inconnue, un apaisement total. Il regagna sa cellule comme en rêve, et, lorsque le lendemain il se réveilla, il sentit qu’un autre homme en lui était né, plus proche des dieux et de leur grâce.

À partir de ce jour, il s’adonna volontiers aux pratiques religieuses. Il passait de longues heures en prières, s’était fait raser le crâne et avait revêtu l’habit des prêtres. La vie, pleine de débauches et de plaisirs, qu’il avait menée jusqu’alors, lui apparaissait vaine et lui faisait horreur et, par moments, il sentait qu’entre la prêtrise et le trône, il aurait de la peine à formuler un choix.

Un jour, le grand prêtre le fit venir et lui rappela qu’il n’était pas seulement là pour prier, mais aussi pour apprendre. Il le félicita pour sa piété et lui ordonna de s’initier aux enseignements prodigués dans le temple.

Le prince assista donc en spectateur à des leçons de lecture et d’écriture, à des cours de géométrie et de médecine. Il vit que l’on soignait les patients en fonction de leur appartenance astrologique, qu’on leur administrait plus de formules magiques que de médicaments. Il aspira à une connaissance plus utile et plus proche de son rôle futur de pharaon. C’est pourquoi il se rendit auprès du grand prêtre et lui demanda :

– Vous m’avez promis de m’apprendre des secrets d’État. Or, ce que j’ai vu ne semble avoir aucun rapport avec l’art de gouverner.

– Nous ignorons tout des choses du gouvernement, répondit le prêtre ; mais tu sauras tout dès l’arrivée du grand savant Pentuer.

Le prince se mit donc à attendre avec impatience l’arrivée de cet homme qui lui ouvrirait les portes du savoir.

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