Chapitre IV

Depuis que l’armée du prince avait quitté Pi-Bast, l’archiprêtre Mentésuphis, qui accompagnait Ramsès, envoyait et recevait quotidiennement plusieurs dépêches. Il restait en contact avec le ministre Herhor qu’il informait de la marche de l’armée et des agissements de l’héritier du trône ; Herhor lui répondait en recommandant chaque fois que la plus grande latitude possible fût laissée au prince.

Une légère défaite, écrivait Herhor, donnerait une excellente leçon de modestie et de prudence au prince qui se croit déjà un grand guerrier…

Comme Mentésuphis avait répondu qu’une défaite semblait peu probable, Herhor lui fit comprendre que de toute façon le triomphe ne devait pas être trop éclatant.

Il serait bon pour l’État que Ramsès demeurât quelques années à la guerre… Cela l’occuperait, et ses soldats avec lui…

En outre, Mentésuphis correspondait avec Méfrès qui le tenait au courant de l’enquête sur l’assassinat du fils de Sarah ; il accusait ouvertement Ramsès d’être le meurtrier et lorsque l’innocence du prince devint évidente, Méfrès, hors de lui, persévéra dans ses accusations d’impiété vis-à-vis de l’héritier du trône.

Ainsi, tout un réseau de messages enserrait Ramsès, occupé uniquement par sa tâche de stratège. Le 14 septembre, la concentration de toutes les troupes se fit près de la ville de Phérénutis ; à sa grande joie, le prince retrouva là Patrocle et ses régiments grecs. Pentuer, désigné par Herhor comme adjoint de Mentésuphis, était là aussi. Cet afflux de prêtres dans le camp n’enchantait d’ailleurs guère Ramsès ; il résolut de les ignorer et il ne demandait même pas leur avis lors des conseils de guerre.

La véritable guerre commençait. En premier lieu, Ramsès fit répandre dans la région frontalière la nouvelle que les Libyens avançaient en masse, pillant et tuant. Effrayée, la population des villes et des campagnes de cette région se mit à fuir vers l’Est, et elle tomba sur l’armée égyptienne. Le prince fit alors prendre tous les hommes et les chargea de porter les bagages des soldats, et il laissa repartir les femmes et les enfants vers l’intérieur du pays. Ensuite, il envoya des espions chargés d’observer les mouvements de l’armée ennemie et d’évaluer son importance. Ils revinrent porteurs d’informations précises quant à l’emplacement de l’ennemi, mais fort exagérées quant à son nombre. De plus, ils affirmaient – à tort – que Musavassa lui-même, accompagné de son fils Téhenna, se trouvait à la tête de l’armée libyenne. Ramsès rougit de plaisir à l’idée d’affronter un guerrier aussi fameux que Musavassa. Il surestimait l’importance de la bataille à venir et redoublait de précautions. Il eut même recours à la ruse : il chargea des espions de s’introduire parmi les régiments libyens qui avaient été auparavant au service du pharaon et de les engager à changer de camp ; en retour, il leur promettait le pardon et une récompense en argent. Patrocle et les autres généraux jugèrent le moyen ingénieux ; les prêtres, eux, ne dirent rien et Mentésuphis en référa à Herhor, qui lui fit aussitôt parvenir sa réponse.

La région où allait se dérouler la bataille était une étroite vallée de plusieurs dizaines de kilomètres de long, fermée à ses deux extrémités par une ligne de collines escarpées. Des marécages d’eau salée la parsemaient, et la végétation y était rare. Une chaleur intense régnait continuellement dans cette vallée à l’aspect sinistre et désolé. Les Libyens comptaient traverser rapidement cette région hostile et, le soir du 14 septembre, ils se trouvèrent au pied des collines qui cachaient la vallée marécageuse.

Au cours de la même nuit, les troupes égyptiennes avaient pris possession des ravins de la région et s’y dissimulaient, attendant l’ennemi qui allait se jeter dans le piège mortel qui lui était tendu.

Le plan de Ramsès était simple : il voulait couper aux libyens la retraite et les repousser vers le désert, où ils ne manqueraient pas de périr de faim et de soif. À cet effet, il avait disposé son armée le long de la limite nord de la vallée, et l’avait divisée en trois parties : l’aile droite, commandée par Patrocle, devait couper la retraite aux Libyens ; l’aile gauche, sous les ordres de Mentésuphis était chargée d’arrêter la marche de l’ennemi ; le prince, assisté de Pentuer, s’était réservé le centre.

À l’aube du 15 septembre, un groupe de Libyens à cheval pénétra dans la vallée. Ils la traversèrent au galop et, ne voyant rien de suspect, ils retournèrent vers les leurs. Vers dix heures du matin, au moment où la chaleur devenait déjà insupportable, Pentuer dit au prince :

– Les Libyens se sont engagés dans la vallée et ils ont dépassé les positions de Patrocle. Ils seront ici dans une heure.

– Comment le sais-tu ? demanda le prince, étonné.

– Les prêtres savent tout ! répondit Pentuer en souriant.

Il monta sur un rocher, tira de sa trousse un objet brillant et l’agita au bout de son bras en direction des positions de Mentésuphis.

– Maintenant, Mentésuphis est déjà averti lui aussi, dit-il.

Le prince était stupéfait.

– J’ai de meilleurs yeux que toi et mes oreilles sont aussi bonnes que les tiennes, dit-il ; pourtant, je n’ai rien vu ni rien entendu ! Comment fais-tu pour voir d’ici l’ennemi et pour communiquer avec Mentésuphis ?

Pentuer lui dit de fixer le regard sur la colline d’en face ; Ramsès obéit et dut baisser les yeux aussitôt : un éclair, venant des broussailles, au loin, l’avait ébloui.

– Quelle est cette clarté insupportable ? s’écria-t-il.

– C’est le prêtre accompagnant Patrocle qui nous adresse des signaux, répondit Pentuer. Tu vois, seigneur, que nous pouvons nous rendre utiles en temps de guerre…

Il se tut, et ils entendirent une rumeur croissante s’élever dans la vallée. Les soldats égyptiens éparpillés sur les collines vérifièrent leurs armes. La rumeur s’amplifiait, se précisait, se faisait tumulte. On commençait à distinguer des éclats de voix, des chants d’hommes, le hennissement des chevaux, le grincement des chariots. N’y tenant plus, Ramsès escalada un rocher d’où il pouvait découvrir la vallée. Le cœur battant, il y vit le long serpent bariolé de l’armée libyenne avançant dans un immense tourbillon de poussière jaune. Des cavaliers marchaient en tête ; ils étaient suivis par des frondeurs en tuniques grises ; derrière eux avançait une litière surmontée d’un grand parasol. Ramsès vit un régiment de lanceurs de javelot, en tuniques bleues et rouges et, après eux, une grande troupe d’hommes presque nus, armés de frondes. Suivaient encore, en désordre, des fantassins, des archers, des hommes armés de haches et de faucilles. Tous marchaient sans discipline ni ordre aucun. Les soldats quittaient leur rang, s’asseyaient pour se reposer, puisaient avec leurs mains dans l’eau des marais.

Des vautours planaient au-dessus de la vallée.

Une pitié immense et la peur de ce qui allait suivre s’emparèrent de Ramsès. Il lui semblait qu’il aurait renoncé au trône pour ne pas être là et ne pas assister au déroulement de la bataille imminente. Il descendit de son rocher, le regard vague. Pentuer courut vers lui et lui secoua l’épaule.

– Calme-toi, seigneur, dit-il. Patrocle attend tes ordres.

– Patrocle ? demanda le prince d’une voix absente.

Il vit, debout à côté de lui, Pentuer, un peu pâle mais calme et Tutmosis, pâle lui aussi, tenant dans ses mains tremblantes un sifflet d’argent. Plus loin, des officiers, visiblement émus, attendaient ses ordres.

– Erpatrès, répéta Pentuer, l’armée attend.

Le visage du prince se crispa, mais il retrouva soudain son calme et dit, d’une voix sourde :

– Commencez !…

Pentuer fit tournoyer dans l’air l’objet brillant qu’il tenait en main, Tutmosis porta le sifflet à ses lèvres et émit un son strident. D’autres sifflements lui firent écho dans les ravins, à droite et à gauche, et les frondeurs égyptiens se mirent à escalader les collines au pas de course.

Il était environ midi. Ramsès, calme maintenant, observait autour de lui ses archers et ses frondeurs, conduits par leurs officiers, escaladant les rochers. Il savait qu’aucun de ces hommes ne voulait mourir, et que même aucun n’avait envie de se battre ni de courir sous la chaleur atroce. Soudain, une voix puissante fit trembler la vallée :

– Soldats de l’immortel pharaon, taillez en pièce ces chiens libyens ! Les dieux sont à vos côtés.

C’était Patrocle qui haranguait ses troupes.

Deux cris immenses répondirent : celui, prolongé, de l’armée égyptienne, et un autre, tumultueux, des Libyens pris au piège.

Ramsès escalada une fois de plus le rocher d’où il pouvait observer la bataille. Il vit, déployés en ligne, les frondeurs égyptiens, face au front désordonné des barbares où les officiers essayaient de ramener la discipline. Les Libyens, attaqués par surprise, s’efforçaient de reformer une ligne de bataille efficace.

Cependant, comme à l’exercice, les frondeurs de Ramsès lançaient une pluie de projectiles. Leurs officiers leur désignaient les cibles à atteindre. Après chaque salve, Ramsès voyait la ligne ennemie reculer, s’éparpiller, se dégarnir. Toutefois, malgré la grêle de pierres qui s’abattait sur eux, les Libyens réussirent à reformer une ligne de bataille et, après avoir reculé hors de portée du tir ennemi, ils commencèrent à riposter avec énergie. À chaque Égyptien qui tombait, les Libyens poussaient de grands cris. Bientôt, le plomb et les pierres se mirent à pleuvoir autour du prince. Un officier de sa suite tomba, l’épaule fracassée, un autre perdit son heaume ; une pierre rebondit aux pieds mêmes de Ramsès, projetant du sable brûlant sur le visage du prince. Les Libyens hurlaient de joie, lançaient des injures au chef ennemi. Immédiatement, toute pitié abandonna le prince. Il n’avait plus devant lui des hommes risquant la mort, mais un troupeau de bêtes féroces qu’il fallait exterminer. Il tira son glaive pour conduire ses fantassins à l’attaque, puis il se ravisa. Pourquoi se salirait-il du sang de ces barbares ? Les soldats étaient là pour cela !

Cependant, la bataille faisait rage, et les frondeurs libyens avaient réussi même à avancer quelque peu. Les projectiles volaient dans l’air, s’entrechoquaient parfois et éclataient avec bruit. Des deux côtés, des hommes tombaient, morts, ou s’écroulaient en gémissant, mais leurs compagnons n’en combattaient qu’avec plus d’acharnement.

Soudain, au loin, sur l’aile droite, retentirent les trompettes et s’éleva un grand cri. C’était Patrocle qui, ivre depuis l’aube, attaquait l’arrière-garde ennemie.

– En avant ! cria Ramsès.

Une trompette répéta l’ordre, puis une autre, puis une autre encore, et de tous les ravins sortirent, en ordre de bataille, les fantassins égyptiens allant à l’attaque. Les frondeurs redoublèrent d’ardeur pour protéger leur marche, cependant que dans la vallée les lanceurs de javelots se rangeaient posément face à l’ennemi et s’ébranlaient eux aussi.

– Renforcez le centre ! dit Ramsès.

La trompette répéta le commandement. Derrière les deux colonnes de la première ligne vinrent se ranger deux autres colonnes. En face, les libyens renforçaient eux aussi leur front.

– Faites donner les troupes de réserve ! ordonna le prince. Vois aussi si l’aile gauche est prête, dit-il à un de ses lieutenants.

Celui-ci dévala aussitôt la crête pour remplir l’ordre et s’écroula, frappé d’une pierre. Un autre officier le remplaça et revint bientôt, disant que les régiments que commandait le prince étaient prêts.

Du côté de Patrocle, le tumulte allait croissant et, soudain, une fumée s’éleva. Un officier vint annoncer que les Grecs avaient mis le feu au camp ennemi.

– Attaquez au centre ! ordonna Ramsès.

Les trompettes résonnèrent une fois de plus et, lorsqu’elles se furent tues, on n’entendit plus que le pas cadencé de l’infanterie marchant à l’attaque.

– Une, deux, une, deux, une, deux… résonnait le commandement.

Les tambours retentirent à l’aile gauche et à l’aile droite et de nouvelles colonnes s’ébranlèrent. Les frondeurs libyens se mirent à reculer tout en couvrant de pierres les rangs ennemis. Mais les Égyptiens avançaient toujours, malgré les trous qui s’ouvraient, de plus en plus nombreux, dans leurs rangs. Les frondeurs avaient cessé leur tir, craignant d’atteindre les leurs, et une sorte de silence interrompu seulement par des cris de douleur régna sur le champ de bataille.

– Rarement ils se sont si bien battus ! dit le prince à son état-major.

– C’est que, aujourd’hui, ils ne craignent pas le bâton… murmura un vieil officier.

La distance entre le front libyen et l’infanterie égyptienne diminuait rapidement ; les barbares demeuraient inébranlables et des troupes fraîches vinrent renforcer leurs lignes.

Ramsès dévala la colline et monta à cheval ; les dernières troupes de réserve dont il disposait attendaient qu’il leur donnât l’ordre d’attaquer. Il leur fit signe et les soldats le suivirent sur une autre colline d’où on dominait toute la vallée. Ramsès regardait impatiemment vers sa gauche, d’où devait arriver Mentésuphis, mais en vain. Les Égyptiens, cependant, ne parvenaient pas à rompre les lignes barbares et la situation s’aggravait à chaque instant. Ramsès se trouvait à présent, avec son corps d’armée, en face d’un ennemi de force égale, et la victoire était incertaine. Il y a, dans toute bataille, un moment critique où la victoire ou la défaite ne tiennent qu’à peu de chose, où il s’agit de rompre en sa faveur un équilibre de forces précaire. Ramsès sentit qu’il vivait cet instant critique, et il frémit. Ses fantassins n’étaient plus qu’à quelques pas des lignes libyennes ; les tambours battirent plus fort, les trompettes résonnèrent à nouveau, et les soldats prirent le pas de course. En face d’eux, le clairon se fit entendre et une forêt de piques s’abaissa, visant les poitrines égyptiennes. Une poussière épaisse recouvrit le choc de ces deux masses humaines, et on n’entendit plus, dans le tourbillon de sable jaune, que le fracas des javelots, le sifflement des faucilles, des cris et des clameurs humaines.

Après un instant de ce tumulte effroyable, la ligne égyptienne ploya à sa gauche.

– Renforcez l’aile gauche ! cria Ramsès.

Un des régiments qui l’accompagnaient courut exécuter l’ordre : l’aile gauche se redressa, mais le centre parut faiblir et n’avançait plus.

– Renforcez le centre ! dit Ramsès.

Le reste de ses soldats alla au secours de leurs camarades. Mais les Libyens ne reculaient pas d’un pouce.

– Ils se battent comme des lions, ces sauvages ! dit un officier. Il est grand temps que Mentésuphis arrive !

La chaleur devenait insoutenable. Ramsès s’efforçait de percer du regard le tourbillon de poussière qui enveloppait le champ de bataille. Quelques secondes passèrent, et soudain il eut un cri de joie : le tourbillon s’ébranlait et s’était mis enfin à avancer. Le tumulte redoubla, devint indescriptible et, de plus en plus vite, la poussée égyptienne fit reculer le front barbare. Au même instant, Pentuer arriva, à cheval, en criant :

– Patrocle vient de prendre les Libyens par-derrière !

Effectivement, la panique semblait s’être emparée de l’ennemi. Sa ligne de bataille, visiblement brisée, refluait en désordre, et bientôt se mit à fuir.

– C’est une grande victoire ! s’écria un officier.

Une estafette vint annoncer que Mentésuphis arrivait sur la gauche et que les Libyens étaient encerclés de trois côtés.

– Ils fuiraient comme des gazelles, si le sable ne les en empêchait, s’écria-t-elle.

– Tu es un grand guerrier, seigneur, dit Pentuer.

Il était deux heures de l’après-midi.

Les cavaliers asiates se mirent à chanter et à tirer des flèches en l’air en l’honneur de Ramsès. Les officiers étaient descendus de cheval et baisaient les mains et les pieds du prince, puis ils le portèrent en triomphe en criant :

– Un nouveau Ramsès le Grand vient de naître ! Il a écrasé les ennemis de l’Égypte ! Amon dirige son glaive et le rend invincible !

Cependant, les Libyens battaient en retraite vers le désert, suivis des Égyptiens ; les estafettes continuaient à arriver, porteuses de nouvelles exaltantes :

– Mentésuphis les a pris de flanc ! criait un messager.

– Deux régiments viennent de se rendre ! annonçait un autre.

– Patrocle est en train de les écraser !

– Nous leur avons pris trois étendards !

Autour du prince, une véritable foule se massait.

– Puisses-tu vivre éternellement, seigneur ! criait-on. Sois béni, erpatrès !

Le prince était si ému qu’il pleurait et riait tout à la fois.

– Les dieux ont eu pitié de moi, disait-il. J’avais cru que tout était perdu… Je n’ai rien fait pour vaincre, puisque je n’ai même pas tiré mon glaive…

– Il gagne des batailles puis s’en étonne ! cria quelqu’un.

– Je ne sais même pas ce qu’est une bataille, s’obstinait Ramsès.

– Calme-toi, seigneur, dit Pentuer. Tu avais fait preuve de tant d’habileté dans ta manœuvre que la victoire était assurée !

– Mais je n’ai pas même tué un seul Libyen ! se plaignait le prince.

Dans la vallée, la poussière retombait doucement, découvrant le champ de bataille. Ramsès poussa son cheval dans cette direction et fut bientôt sur les lieux du combat. Le sol était jonché de blessés et de morts. Rangés avec une symétrie macabre, à gauche étaient étendus les barbares et à droite les Égyptiens ; parfois les corps étaient enchevêtrés comme dans un ultime combat. Des taches brunâtres recouvraient le sol ; des blessés, sans bras, la tête presque détachée du corps, poussaient des gémissements affreux. Certains, l’écume à la bouche, suppliaient qu’on les achevât.

Ramsès passa rapidement, rempli d’horreur. Un peu plus loin, il se heurta à un groupe de prisonniers qui se prosternèrent devant lui, implorant sa pitié.

– J’accorde le pardon aux vaincus, dit le prince à sa suite.

Une trompette résonna et une voix puissante clama :

– Par ordre du commandant suprême, les blessés et les prisonniers ne doivent pas être tués !

De loin en loin, des voix portèrent la bonne nouvelle.

Dans la vallée, tout combat avait cessé et les derniers régiments libyens déposaient leurs armes devant les Grecs. Patrocle, encore ivre, et rendu furieux par la chaleur, tenait à peine sur son cheval. Il essuya son visage couvert de sueur et hurla aux prisonniers :

– Bande de pourceaux qui avez osé porter les armes contre les soldats de Sa Sainteté, je vous ferai tous étriper à l’instant si vous ne me dites pas où est passé votre chef !

Il y eut un murmure dans les rangs des vaincus.

– Le voilà, notre chef ! s’écria l’un d’eux en désignant au loin dans le désert un groupe de cavaliers qui s’éloignaient au galop.

Le prince était arrivé sur ces entrefaites et avait tout entendu.

– Qu’est-ce que cela veut dire ? s’écria-t-il.

– Musavassa fuit ! répondit Patrocle, vacillant sur sa monture.

Ramsès devint livide de fureur.

– Musavassa nous a échappé ? Eh ! Des cavaliers avec moi !

Pentuer lui barra la route.

– Tu ne peux poursuivre les fuyards ! dit-il.

– Comment ? s’écria Ramsès. Je n’ai pas participé à la bataille, et je devrais en plus renoncer à prendre le chef libyen ?

– L’armée ne peut rester sans son commandant.

– Tutmosis n’est-il pas là ? Et Patrocle aussi, et Mentésuphis ? Suis-je le chef ou non ? D’ailleurs, les fuyards ne sont pas loin et leurs chevaux sont fatigués.

– Dans une heure, nous serons revenus ! murmuraient les cavaliers.

– Patrocle, Tutmosis, je vous confie mon armée ! dit le prince. Reposez-vous en m’attendant !

Il cravacha son cheval et partit au trot, s’enfonçant dans le sable. Les Asiates et Pentuer le suivirent.

– Que fais-tu ici, saint Père ? lui demanda le prince. Reste plutôt au camp et repose-toi. Tu as déjà beaucoup fait, aujourd’hui.

– Je pourrai t’être utile, répondit le prêtre.

– Je t’ordonne de rester.

– Le Grand Conseil m’a chargé de ne jamais te quitter.

Le prince eut un geste agacé.

– Et si nous tombons dans une embuscade ?

– Je serai toujours à tes côtés, seigneur, répondit Pentuer.

Il y avait dans sa voix tant de sympathie que le prince, étonné, ne dit plus rien et laissa le prêtre l’accompagner.

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