Chapitre XVI

Quelques jours plus tard, Tutmosis vint trouver Ramsès dans son cabinet et lui dit :

– Le prêtre Samentou désire te voir, seigneur.

– Fais-le entrer !

– Il te supplie, seigneur, de le recevoir au milieu de ton camp, sous ta tente, car il prétend que les murs du palais ont des oreilles…

– Je me demande ce qu’il a à m’apprendre, murmura Ramsès.

Et il annonça à ses courtisans qu’il passerait la nuit au camp.

Peu avant le coucher du soleil, il quitta le palais en compagnie de Tutmosis et il alla retrouver ses troupes stationnées près de la ville. Il se rendit immédiatement dans sa tente qu’entouraient des cavaliers asiates.

Samentou arriva vers le soir. Il était vêtu d’une cape de pèlerin. Il salua son maître et lui murmura dès l’entrée :

– Il me semble avoir été suivi tout au long du chemin par un homme qui s’est caché non loin d’ici en me voyant entrer chez toi… Ne serait-ce pas un agent des prêtres ?

Ramsès donna un ordre et Tutmosis sortit en courant.

Dehors, il trouva un officier qui semblait rôder autour de la tente.

– Qui es-tu ? lui demanda-t-il d’un ton menaçant.

– Je suis Eunane, centurion au régiment d’Isis. Ne te souviens-tu pas du malheureux Eunane qui, lors des manœuvres de l’an dernier, aperçut des scarabées sur la route ?

– Ah, c’est toi… interrompit Tutmosis. Mais ton régiment n’est pas stationné ici ?

– Non, nous sommes casernés près de Men, où nous travaillons à la réfection d’un canal, comme des paysans…

– Mais alors, que fais-tu ici ?

– J’ai obtenu un congé de quelques jours et je suis accouru pour me jeter aux pieds de mon maître…

– Que lui veux-tu ?

– Je viens demander justice contre les crânes rasés qui me refusent tout avancement parce que j’ai pitié de mes soldats !…

Tutmosis retourna auprès de Ramsès et lui répéta la conversation qu’il venait d’avoir.

– Eunane ?… dit Ramsès d’un air songeur. Ce nom me dit quelque chose… Il nous a créé bien des ennuis avec ses scarabées, qui lui ont d’ailleurs valu, par la suite, cinquante coups de fouet sur l’ordre de Herhor ! Et tu dis, qu’il se plaint des prêtres ? Fais-le donc entrer !

Il dit à Samentou de se cacher derrière une tenture, et Eunane entra. Il se prosterna aussitôt devant le pharaon et se mit à gémir :

– Soleil de l’Égypte, fils du divin Osiris, écoute-moi : je sers depuis dix ans au régiment d’Isis… J’ai pris part pendant six ans aux guerres que nous avons menées dans l’Est… Tous mes compagnons sont devenus généraux, et je ne suis toujours que centurion et je reçois des coups de bâton !… En quoi ai-je mérité une telle injustice ?

Le pharaon se remua impatiemment, car il trouvait Eunane bien bavard.

Eunane, cependant, se lamenta encore un long moment ; il accompagna même ses plaintes, de poèmes.

– Cet homme va m’endormir sur place ! s’exclama Ramsès.

– Eunane, dit Tutmosis, tu as convaincu Sa Sainteté de tes malheurs et de ton érudition. Maintenant, réponds nettement : que veux-tu ?

– Je serai rapide comme la flèche… commença Eunane.

Et il s’apprêtait à recommencer ses litanies, mais Tutmosis, cette fois, l’interrompit brutalement.

– Droit au but, je te prie !

– Seigneur, dit alors, comme à regret, Eunane, je te supplie de m’accepter dans un régiment royal. Je préfère être simple soldat chez toi que centurion chez les prêtres ! Seul un porc ou chien peut les servir, mais non un vrai Égyptien !…

Il prononça ces derniers mots avec tant de fureur dans la voix que Ramsès, convaincu, dit en grec à Tutmosis :

– Fais-le entrer dans un des régiments de ma garde. Un officier qui hait les prêtres peut nous être utile…

– Sa Sainteté a bien voulu t’accepter dans sa garde particulière, annonça Tutmosis à Eunane.

– Ah, sois béni, et que la gloire t’accompagne éternellement ! s’écria l’officier, et il se mit à embrasser le tapis sur lequel Ramsès avait posé ses pieds.

Puis, le visage heureux, il sortit à reculons tout en saluant. Lorsqu’il eut quitté la tente, le pharaon s’adressa à son favori :

– Quel bavard ! Il faut absolument apprendre aux officiers égyptiens à s’exprimer brièvement !

– Pourvu que ce soit son seul défaut ! murmura Tutmosis, sur qui Eunane avait fait mauvaise impression.

Ramsès rappela Samentou.

– Sois tranquille, lui dit-il ; l’homme qui te suivait n’était pas un espion ; il est trop stupide pour cela… Et maintenant, dis-moi pourquoi tu as voulu me voir ?

– J’ai réuni à peu près toutes les indications nécessaires pour atteindre le trésor du Labyrinthe…

Le pharaon secoua la tête.

– C’est là une entreprise bien difficile ! dit-il. J’ai passé une heure à courir ces couloirs et ces salles, comme une souris poursuivie par un chat, et je t’avoue que je n’oserais pas m’y aventurer seul… Périr face au soleil, soit ! Mais périr dans ce caveau, comme une taupe !

– Et pourtant, dit doucement Samentou, il faut que nous trouvions le chemin et que nous nous rendions maîtres du Labyrinthe !

– Et si les prêtres nous livrent de bon gré leurs trésors ?

– Jamais ils ne le feront aussi longtemps que Méfrès et Herhor seront en vie !

Le pharaon réfléchit un instant.

– Comment as-tu réussi à obtenir les indications nécessaires ?

– À Abidot, au temple d’Osiris, j’ai trouvé le plan complet du chemin qui mène à la chambre du trésor…

– Et comment savais-tu que tu trouverais là ce plan ?

– Les inscriptions murales de mon temple de Set me l’avaient appris.

– Décidément, tu as des dons de stratège plus que de prêtre ! s’exclama Ramsès en riant. Et tu comprends, toi, le chemin du Labyrinthe ?

– Depuis longtemps, déjà, je l’avais compris, mais maintenant j’ai toutes les données nécessaires pour m’y retrouver !

– Pourrais-tu me l’expliquer ?

– Certes ; à l’occasion, je te montrerai même le plan… Le chemin à suivre parcourt quatre fois le Labyrinthe en serpentant ; il commence à l’étage, et se termine dans les caves…

– Et comment passeras-tu d’une salle à l’autre, alors qu’il y a chaque fois des dizaines de portes ?

– Sur chaque porte qui conduit au but se trouve inscrite une partie de la phrase suivante :

Malheur au traître qui tente de violer le plus grand des secrets d’État et de tendre la main vers les biens des dieux ! Son cadavre pourrira comme de la charogne, et son âme errera éternellement dans les ténèbres !

– Et cette inscription ne t’effraie pas ?

– Et toi, la vue d’un javelot libyen t’effraie-t-elle ? Ces menaces sont bonnes à effrayer la populace ; j’ai déjà déchiffré, moi, des malédictions bien plus redoutables !

– Tu as raison. Le javelot ne fera aucun mal à celui qui sait l’écarter d’un bras agile ; de même, le chemin du Labyrinthe ne troublera pas un savant comme toi !

» Cependant, reprit le pharaon d’un ton où perçait l’inquiétude, cependant je ne voudrais pas qu’un malheur t’arrive dans ce Labyrinthe…

– Ce que j’y puis trouver de pire, c’est la mort ; mais le pharaon ne la risque-t-il pas lui aussi, tous les jours ? N’as-tu pas failli perdre la vie lors de la bataille contre les Libyens ? D’ailleurs, ne crois pas, seigneur, que je ferai le même chemin que celui que tu as parcouru l’autre jour ; je connais un passage beaucoup plus court, et j’arriverai au but dix fois plus vite !

– Et comment feras-tu pour entrer dans l’enceinte du palais ?

– Je connais des entrées depuis longtemps abandonnées, ou non gardées ; de plus, les soldats vont prier au temple à l’heure du coucher du soleil ; c’est à ce moment que j’entrerai…

– Et si tu te trompes de chemin ?

– J’ai un plan…

– Et s’il est faux ? Décidément, le risque est grand ! soupira Ramsès.

– Et toi, seigneur, si les Phéniciens te refusent leur aide, comment feras-tu sans les richesses du Labyrinthe ? Crois-moi, il faut absolument que nous mettions la main sur ces trésors ! D’ailleurs, je risque moins dans le dédale du Labyrinthe que toi dans ton palais !

– Samentou, j’apprécie beaucoup ta grande sagesse et ton merveilleux courage. Néanmoins, je vais convoquer l’assemblée nécessaire pour obtenir de l’argent du Labyrinthe par la voie légale.

– Cela ne peut pas faire de tort. Mais tu verras, seigneur, que jamais Méfrès et Herhor ne te laisseront t’emparer de leurs richesses !

– Et tu crois, toi, à ton succès ? demanda à nouveau le pharaon, avec une obstination mêlée d’inquiétude.

– Jamais, personne, avant moi, n’a disposé de tant d’atouts pour réussir. Je vois clair dans l’obscurité, je connais le secret de toutes les portes dérobées et de tous les couloirs. Qui pourra m’arrêter ?

– Et pourtant, il t’arrive à toi aussi d’avoir peur… Cet officier qui t’a suivi t’a inquiété, n’est-ce pas ?

– Je n’ai peur de rien ni de personne, répondit Samentou en haussant les épaules, mais je suis prudent. J’ai tout prévu, même l’échec.

– D’horribles tortures t’attendent, si tu es pris !

– Oh non ! Des profondeurs du Labyrinthe, j’accéderai droit à la lumière éternelle dont je me serai ouvert les portes moi-même !…

– Et tu ne m’en voudras pas ?

– T’en vouloir ? Si je réussis, j’accéderai à ce dont toute ma vie j’ai rêvé ! J’occuperai dans l’État la place de Herhor…

– Je te jure que tu l’occuperas si tu réussis, si nous réussissons !

– Dans les hautes montagnes, on côtoie sans cesse les précipices ; plus la vue est étendue et belle, et plus grand est le danger… Car si le pied glisse, la chute est mortelle… Je voudrais te demander, seigneur, de t’occuper de mes enfants, si je venais à périr…

– Je te le promets. Tu peux partir tranquille ; tu mérites le nom d’ami !

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