Chapitre XVII

Après les funérailles du pharaon, l’Égypte retrouva son rythme de vie normal, et Ramsès XIII se pencha à nouveau sur les problèmes de l’État. Il avait pu constater, au cours de son voyage à travers le pays, combien sa popularité était grande, et devant l’enthousiasme populaire, la noblesse et le clergé avaient dû admettre l’autorité incontestable de leur nouveau maître. Seuls, Herhor et Méfrès ne désarmaient pas.

Le jour même de son retour de Thèbes, le pharaon trouva dans son cabinet son grand trésorier qui arborait un air fort affligé.

– Les temples, dit-il après avoir salué, les temples viennent de nous refuser tout nouveau crédit et ils demandent que tu rembourses les dettes contractées auprès d’eux dans un délai de deux ans…

– Je reconnais là la main de Méfrès, dit le pharaon : et… combien leur devons-nous ?

– Environ cinquante mille talents.

– Et je devrais rembourser cinquante mille talents en deux ans ? Cela me paraît difficile… Et qu’as-tu d’autre à m’apprendre ?

– Les impôts rentrent de moins en moins… dit le trésorier. Depuis trois mois, nous n’avons reçu que le quart des sommes prévues.

– Comment cela se fait-il ?

– J’ai entendu dire, répondit le trésorier, très embarrassé, que des inconnus incitent les paysans à ne plus payer les impôts, disant que ce n’est plus nécessaire, sous ton règne…

– Ah, ah !… Ces inconnus me font penser à mon ami Herhor… Mon ministre voudrait-il réellement me faire mourir de faim ? Mais toi, trésorier, comment fais-tu pour subvenir à nos besoins courants ?

– Les Phéniciens, nous prêtent de l’argent ; déjà, ils nous ont avancé huit mille talents.

– Et exigent-ils des garanties ?

– Ils prétendent que ce n’est qu’une formalité ; néanmoins, ils s’installent dans les domaines royaux et exploitent les paysans autant qu’ils le peuvent !

Le pharaon ne répondit rien. Il remercia le trésorier et convoqua pour le lendemain l’archiprêtre Sem, le Phénicien Hiram, Pentuer et Tutmosis.

Lorsqu’ils furent tous réunis, il leur annonça :

– Vous savez sans doute que les temples viennent d’exiger le remboursement de tout l’argent qu’ils avaient prêté à mon divin père. Or, une dette est chose sacrée, surtout une dette vis-à-vis des dieux… Malheureusement, mon trésor est vide et les impôts rentrent irrégulièrement ; c’est pourquoi, j’estime l’État menacé, et je me vois forcé de demander de l’argent au Labyrinthe…

Les deux prêtres remuèrent sur leur siège.

– Je sais, poursuivait Ramsès XIII, que d’après nos saintes lois, mon décret ne suffit pas à ouvrir les portes du Labyrinthe. Les prêtres chargés de sa garde m’ont dit qu’il fallait rassembler une délégation composée de treize représentants de chaque classe sociale du pays, et qui aurait à approuver ma décision. Je vous ai appelée aujourd’hui afin que vous m’aidiez à réunir cette assemblée. Je compte sur toi, Sem, pour choisir treize prêtres, sur toi, Pentuer, pour me trouver des paysans et des artisans ; Tutmosis s’occupera des nobles et des officiers ; quant à Hiram, il me trouvera treize marchands… Je tiens à ce que cette assemblée se réunisse au plus vite, ici, dans mon palais de Memphis, car j’ai un urgent besoin d’argent !

– Permets-moi de te faire remarquer, intervint l’archiprêtre Sem que le ministre Herhor et l’archiprêtre Méfrès devront également assister à cette réunion car ils ont voix au chapitre eux aussi, et peuvent s’opposer à tout prélèvement d’argent du Labyrinthe.

– Mais oui, certainement, dit vivement Ramsès ; ils avanceront leurs arguments et je présenterai les miens ; l’assemblée jugera.

– Quelques-uns des saphirs cachés au Labyrinthe suffiraient à payer toutes tes dettes phéniciennes ! intervint Hiram. Je vais de ce pas chercher les treize marchands dont tu as besoin…

Il salua et sortit.

Après son départ, Sem prit la parole :

– Je ne sais si la présence ici de cet étranger était souhaitable, dit-il.

– Je ne le sais pas non plus, répondit Ramsès ; mais Hiram jouit auprès des marchands d’une grande autorité et de plus, c’est lui qui me fournit actuellement tout l’argent dont je dispose. Je veux qu’il sache que je suis en mesure de le rembourser !

Il se fit un silence. Pentuer en profita pour dire :

– Si tu permets, je vais partir à l’instant même, pour me mettre en quête des paysans et des artisans nécessaires. Ils voteront tous pour toi, mais je tiens à choisir les plus intelligents d’entre eux.

Il sortit à son tour.

– Et toi, Tutmosis, qu’en penses-tu ? demanda le pharaon.

– Je suis tellement sûr, seigneur, des sentiments de la noblesse et de l’armée, que je trouve même inutile d’en parler. Aussi, oserai-je te présenter une requête toute personnelle…

– Tu as besoin d’argent ?

– Non. Je voudrais me marier.

– Toi, te marier ? s’exclama joyeusement Ramsès. Et quelle est l’heureuse élue ?

– C’est la belle Hébron, la fille du gouverneur de Thèbes… répondit Tutmosis en riant. Je voudrais te demander de présenter ma demande à son père…

Le pharaon lui frappa cordialement l’épaule.

– Je m’en occuperai dès demain, dit-il ; d’ici huit jours, tu auras épousé ta Hébron bien-aimée ! Maintenant, va donc la rejoindre au plus vite !

Il resta seul avec Sem. Après un instant de silence, il lui demanda :

– Tu sembles soucieux, saint Père ? Ne crois-tu pas possible de trouver treize prêtres disposés à m’obéir ?

– Je suis convaincu que tous les prêtres feront le nécessaire pour redresser la situation du pays, répondit le prêtre. Cependant, n’oublie pas que l’avis décisif sera émis par Amon !

– La statue d’Amon, à Thèbes ?

– Oui.

Le pharaon eut un geste de mépris.

– Amon, c’est Herhor et Méfrès, dit-il. Je sais qu’ils ne seront pas d’accord pour m’aider, mais je refuse de perdre l’Égypte à cause de l’obstination de deux ambitieux !

– Tu te trompes, répondit Sem avec sévérité ; il est vrai que bien souvent les statues des dieux ne font que ce que les prêtres leur font faire ; mais pas toujours ! Il se passe dans nos temples des choses mystérieuses et surnaturelles, seigneur ! Il arrive que les statues ne fassent et ne disent que ce qu’elles veulent !…

– Dans ce cas, je suis tout à fait rassuré, s’écria Ramsès. Les dieux connaissent les difficultés de l’Égypte et ils peuvent lire dans mon cœur. Ils savent aussi que je veux le bien de mon peuple, et aucun dieu juste et bon ne voudrait m’empêcher de faire le bien !

– Puisses-tu avoir raison, murmura l’archiprêtre.

Et il sortit, courbé, d’un pas lourd, comme un homme sur qui pèsent l’angoisse et l’inquiétude.

Share on Twitter Share on Facebook