X La légende de l’homme sauvage

Une femme de Mareille avait reconnu le sauvage. Elle affirmait l’avoir vu à Épinal, dans une baraque de saltimbanques, deux ans environ avant sa première apparition dans les bois de Mareille.

La chose était possible, pouvait être vraie. On devait admettre alors que, dans son enfance, il avait été volé quelque part par les saltimbanques ; que, devenu grand et fort, dégoûté du rôle répugnant qu’on lui faisait jouer, las d’être maltraité par ces bohémiens coureurs de foires, qui ne voyaient en lui qu’une chose à exploiter, un appât à offrir au public, il avait un beau jour rompu sa chaîne d’esclave et s’était réfugié dans les bois, montrant ainsi qu’il préférait vivre seul au milieu des bêtes qu’avec des hommes.

On aurait expliqué ainsi, d’une manière vraisemblable, sa présence dans la forêt. Mais cela était trop naturel, trop dans les choses possibles pour qu’on eût le bon sens de l’admettre. Aussi les affirmations de la femme de Mareille trouvèrent-elles beaucoup plus d’incrédules que de gens disposés à les accepter.

Donc, on repoussa cette hypothèse pour faire d’autres suppositions. Et comme ce qui pouvait être vrai ou tout au moins vraisemblable n’était pas du goût du plus grand nombre, on s’égara dans le domaine du merveilleux.

On fit du sauvage un être légendaire. Il fallait cela, probablement, pour donner satisfaction à tout le monde.

Il y aura toujours des gens qui se passionneront pour le merveilleux. La réalité est ce qu’on a sous les yeux ; on la touche, on la sent ; c’est la vie ordinaire, commune à tous, avec ses joies et ses douleurs, ses déceptions et ses triomphes. Mais l’étrange, le fantastique, le surnaturel !… Ah ! cela, c’est autre chose !… Et voilà pourquoi on bâtit tant de châteaux en Espagne, pourquoi, emporté sur les ailes du rêve, on fait de si fréquents voyages au pays des Mille et une nuits ou des chimères.

Le sauvage eut son histoire. On ne l’écrivit pas, on la raconta.

À l’exception de quelques-uns, ceux qui ne sont jamais contents de rien, gens d’humeur chagrine, esprits sournois ou moqueurs, tout le monde crut à cette histoire, qui ajoutait une page nouvelle aux fastes de la légende.

Or, voici l’histoire telle qu’on la racontait, à l’époque, naïvement et avec un accent convaincu.

Jérôme Tabourin était un pauvre bûcheron, bien pauvre, en effet, puisqu’il ne possédait absolument que sa cognée ; mais il avait la santé et des bras solides. C’était le plus fort bûcheron du village de Voulvent, où il demeurait, et le meilleur ouvrier de toute la contrée.

Il ne se dérangeait jamais ; il trouvait que c’était assez d’avoir le repos du dimanche. Il arrivait le premier dans le bois et il en sortait le dernier. Intrépide à l’ouvrage, on aurait dit que son corps et ses bras ne pouvaient jamais se fatiguer. C’est à lui qu’on donnait les plus gros chênes à coucher sur le sol ; il aimait mieux cela que d’abattre des baliveaux. C’était bon pour des vieux. C’est aux jeunes à prendre plus de peine. Quand il attaquait un des géants de la forêt, on entendait de fort loin les grands coups de sa large et lourde hache, faisant dans le bois dur de profondes entailles. On la reconnaissait, entre toutes, aux coups formidables qu’elle portait.

Jérôme était marié ; il avait pris pour compagne Louise Joli, une orpheline, pauvre comme lui, mais dont le doux regard, les sourires et les caresses lui mettaient du soleil au cœur. Un an après le mariage, Louise avait mis au monde un enfant, un beau et gros garçon tout joufflu et tout rose. C’était un sang pur, du vrai sang qui coulait dans ses veines. À le voir, à quinze mois, avec ses membres nerveux, sa poitrine bien développée, ses reins carrés et sa tête d’ange bouffi se tenant raide sur ses épaules larges, on lui aurait donné plus de deux ans. On pouvait dire déjà qu’il serait un jour grand et fort comme son père, et que, quand Jérôme serait devenu vieux, sa lourde cognée passerait en des mains qui ne la laisseraient pas se couvrir de rouille.

On avait donné au petit Tabourin le nom de Jean, et cela pour deux raisons : il était né le 24 juin, fête de saint Jean-Baptiste, et son parrain, un autre bûcheron, ami de son père, s’appelait Jean.

Jérôme Tabourin adorait sa femme et son enfant : il ne trouvait pas que son cœur fût assez grand pour contenir ces deux affections qui étaient son bonheur, qui donnaient à son existence toutes les joies rêvées.

C’est pour sa femme et son enfant, pour les entourer de tout le bien-être qu’il était en son pouvoir de leur procurer, qu’il travaillait avec tant d’ardeur et de courage. Il trouvait qu’ayant à assurer le bonheur des deux êtres qui lui étaient si chers, il n’avait pas le droit d’aller, le dimanche, jouer et boire au cabaret avec les camarades. Il se reposait de son pénible travail de la semaine entre sa femme et l’enfant, faisant sauter le petit Jean sur ses genoux, pendant que Louise, en bonne ménagère, qui sait ce que vaut le temps, reprisait le linge de la maison et raccommodait les hardes.

Avoir une femme qu’on aime, un bébé qu’on adore, cela quintuple la force de l’homme, en remplissant son cœur de toutes les joies, de toutes sortes d’ivresses. Voilà pourquoi Jérôme Tabourin ne connaissait pas la fatigue, malgré son rude labeur de chaque jour.

Le matin, Louise préparait le déjeuner de son mari ; à dix heures elle prenait le chemin du bois ; elle avait souvent une lieue et plus à faire ; mais elle avait de bonnes jambes, elle marchait vite. Quand elle arrivait près du bûcheron, la soupe était encore chaude dans le chaudron d’étain.

On s’asseyait sur le tronc du dernier chêne abattu, qui servait de table ; tous deux mangeaient et toujours de bon appétit. Après le fromage, en guise de dessert, on s’embrassait ; le petit Jean passait plusieurs fois de suite des bras de l’un dans ceux de l’autre. Tout cela prenait à peine une demi-heure. Ensuite Jérôme retroussait ses manches, s’armait de nouveau de sa cognée et se remettait à l’ouvrage.

Louise ramassait du bois mort, dont elle faisait un gros fagot que le bûcheron apportait le soir à la maison. Précédemment elle liait un deuxième fagot qu’elle emportait ; mais elle ne pouvait plus faire cela, car maintenant que le petit Jean commençait à courir comme un petit lièvre, elle ne le laissait plus seul à la maison, couché dans sa corbeille d’osier. Elle aurait pu le confier à une voisine, qui n’aurait certainement pas refusé de le garder, mais elle préférait l’emmener au bois avec elle ; d’ailleurs cela faisait plaisir à Jérôme. Pourquoi aurait-elle privé son cher homme, qui travaillait avec tant de cœur, d’une de ses joies ?

Le bûcheron lui avait fabriqué une espèce de panier qu’elle portait comme une hotte avec des bretelles. Dans ce panier elle asseyait le petit Jean sur un coussin de feuilles de fougères, et c’est ainsi qu’elle voyageait, l’enfant sur son dos, ayant les bras et les mains libres pour porter les chaudrons et le havresac.

Le petit, douillettement assis, les jambes pendantes, pouvant appuyer son dos, jouer des mains ou entourer de ses bras le cou de sa mère, était aussi bien, aussi à l’aise dans son corbillon que dans un berceau.

Avant de se mettre à ramasser le bois mort, Louise faisait au pied d’un arbre un lit d’herbe ou de feuilles sur lequel elle couchait le bambino en lui disant :

– Reste là, ne bouge pas, sois bien sage, dors.

Il était tranquille un instant, fermant les yeux, ayant l’air de dormir ; mais dès qu’il sentait sa mère un peu loin, l’espiègle levait la tête, regardait autour de lui, riait, roulait hors de son nid, se dressait tout à coup et se mettait à sauter, à gambader, à courir, cueillant par-ci par-là une fleurette, ramassant des petits cailloux, des glands ou des pommes d’yeuse.

Louise, qui pouvait craindre qu’il ne se perdit dans le bois, courait après lui, le ramenait au pied de l’arbre et le couchait de nouveau en le grondant, ce qui n’empêchait point le lutin de recommencer son manège un instant après.

– Laisse-le donc, disait le bûcheron, quand il voyait Louise grondeuse, il faut bien qu’il s’amuse ; ça lui fait du bien de courir, ça lui dégourdit les jambes et il prend de la force.

Un jour, au commencement de mars, le petit Jean, qui avait alors un peu plus de dix-huit mois, parvint à échapper à la surveillance active de sa mère et à s’éloigner beaucoup trop, en courant après un papillon aux ailes couleur de feu.

– Mon Dieu, mais je ne le vois plus, où donc est-il ? s’écria Louise inquiète. Oh ! le méchant enfant, peut-il me tourmenter ainsi !

Elle plongea son regard dans toutes les directions. Plus d’enfant.

– Jean, Jean ? appela-t-elle.

Rien.

Elle était devenue pâle et toute tremblante. Affolée, elle se mit à courir de tous les côtés, cherchant le petit, l’appelant de toutes ses forces.

– Jean, Jean, mon petit Jean, viens, viens vite près de maman !

Cette fois, un cri d’enfant lui répondit, mais c’était un cri d’épouvante, étranglé.

La pauvre mère sentit son sang se glacer dans ses veines. Éperdue, folle de terreur, elle s’élança vers l’endroit d’où venait le cri.

Horreur ! Une louve énorme venait de bondir hors d’un massif, s’était jetée sur l’enfant et le tenait dans sa gueule. Un nuage de sang passa devant les yeux de Louise.

– Au loup ! au loup ! cria-t-elle d’une voix déchirante.

La bête ne lâcha point sa proie.

La pauvre mère se précipita en avant, les yeux enflammés, terrible, pour défendre son enfant. Mais la louve ne l’attendit pas. En deux bonds elle rentra sous bois et disparut, emportant le petit Jean.

Le cœur de la mère cessa de battre, ses yeux se voilèrent et son sang battit violemment ses tempes. Elle poussa un cri rauque, épouvantable et tomba raide, sans connaissance.

Jérôme avait entendu, lui aussi, le cri de l’enfant ; il accourut brandissant sa hache, mais pas assez vite, hélas ! pour sauver le pauvre petit. Il n’eut que le temps de voir la louve s’enfonçant dans l’épaisseur du taillis.

Cependant, guidé par les cris désespérés que l’enfant faisait entendre encore et le bruit du bois sur le passage de la bête fuyant à toute vitesse, il se mit à sa poursuite. Pendant un quart d’heure il put suivre sa trace. Après, n’entendant plus rien, ne sachant plus de quel côté se diriger, il comprit qu’il devait renoncer à tout espoir. Il revint vers sa femme, rugissant de douleur, pleurant et sanglotant.

Louise était encore à l’endroit où elle était tombée. Il y avait plusieurs personnes autour d’elle. Ayant repris connaissance, la malheureuse se tordait dans d’horribles convulsions ; elle s’arrachait les cheveux, s’égratignait le visage. Le bois retentissait de ses cris, de ses plaintes, de ses gémissements.

C’était l’explosion d’une effroyable douleur, et, pour ceux qui étaient là, un spectacle navrant.

Le bûcheron prit sa femme dans ses bras, la pressa contre sa large poitrine et l’embrassa tendrement.

La crise nerveuse se calma peu à peu, puis de nombreux sanglots soulagèrent la pauvre mère.

Jérôme n’eut pas la pensée de retourner à l’ouvrage, il ne se souvint pas même qu’il avait laissé debout un grand hêtre entaillé jusqu’au cœur. Le pauvre homme avait les bras cassés. Il avait perdu son petit Jean, il n’avait plus de force. Les grandes forêts des Vosges allaient avoir bientôt un bûcheron de moins.

Lui sombre, elle tout en larmes, en proie au plus violent désespoir, ils rentrèrent au village suivis des quelques amis accourus les premiers pour prendre part à leur peine.

Les témoignages de sympathie ne leur manquèrent point ; quand on sut, à Voulvent, ce qui s’était passé, ce fut une consternation générale ; c’était un deuil pour toute la commune, car tout le monde aimait Tabourin et sa femme.

En un instant, tous les fusils furent chargés et une petite troupe de chasseurs, sous la conduite de Jérôme, se rendit dans la forêt pour se mettre à la recherche de la louve.

Certes, on n’espérait pas sauver le petit Jean qui, sans nul doute, avait été dévoré déjà par la bête féroce. Mais il fallait venger l’innocente victime et prévenir un autre malheur semblable. À tout prix, le terrible animal devait être mis à mort.

Pendant plusieurs jours, on fouilla la forêt et successivement tous les bois des environs, dans un périmètre de deux à trois lieues. On ne trouva rien. La louve avait disparu.

Et le petit Jean ?

Jérôme mit un large crêpe à son chapeau, Louise porta un vêtement de grand deuil.

À l’église de la paroisse, il y eut un service funèbre auquel toute la population de Voulvent et des communes voisines assista. Et l’acte de décès de l’enfant fut écrit sur le registre de la mairie.

En l’année 1845, au mois de mars, un enfant de dix-huit mois, appelé Jean, fils de Jérôme Tabourin et de Louise Joli son épouse, demeurant au village de Voulvent, à trois lieues de Mareille, avait été effectivement enlevé par une louve. Ce douloureux et terrible événement avait eu un grand retentissement dans toute la contrée. Tous les journaux des départements de l’Est l’avaient raconté avec plus ou moins de détails ; et ensuite, à Paris, on avait pu lire le fait dans toutes les gazettes, à la colonne des nouvelles diverses.

Quand l’homme sauvage fit son apparition dans la forêt de Mareille, les gens du pays se souvinrent du drame de Voulvent, que beaucoup d’entre eux n’avaient pas encore oublié.

Le sauvage, à qui l’on donnait de dix-huit à vingt ans, avait précisément l’âge qu’aurait eu, à peu près à la même époque, le fils de Jérôme Tabourin. Cette coïncidence était une bonne fortune pour les amateurs de merveilleux.

– Vous demandez qui est cet homme sauvage et d’où il vient ? dirent-ils ; eh bien ! nous allons vous l’apprendre ; c’est Jean Tabourin, le fils de Jérôme Tabourin de Voulvent, qui a été enlevé par une louve à l’âge de dix huit mois.

On se récria d’abord très fort, puis on finit par écouter.

– Calculez : Quel âge aurait aujourd’hui Jean Tabourin ? Dix-neuf ans et six mois, puisque c’est en 1843, à dix-huit mois, que la louve l’a pris et emporté dans les bois. Eh bien, après avoir vu le sauvage, tout le monde s’est accordé à dire qu’il n’avait pas vingt ans.

Sur ce point il était difficile de répliquer.

– D’ailleurs, ajoutait un des convaincus, ardent propagateur de l’opinion, j’ai parfaitement connu le bûcheron de Voulvent, je puis même me vanter de lui avoir plusieurs fois serré la main. Le sauvage est fort comme Jérôme le bûcheron et il lui ressemble comme une goutte d’eau à une autre goutte d’eau. Il n’y a pas à soulever la Bosse grise pour découvrir la vérité, ni à dire c’est ci, c’est ça et autre chose encore : l’homme sauvage est le fils de Jérôme Tabourin, le bûcheron de Voulvent.

On finissait par s’incliner devant des affirmations si éloquentes.

Ceux qui ne voulaient pas encore se laisser convaincre secouaient la tête.

– Mais cela ne peut pas être, objectaient-ils, puisque le petit Jean a été mangé par la louve.

– Qu’est-ce qui le prouve ?

– Quand un loup pénètre dans la bergerie et emporte un agneau, on sait ce qu’il en veut faire.

– On a cru à Voulvent que l’enfant avait été mangé c’est vrai ; mais on n’a jamais été bien sûr de cela. On a cherché dans les bois, de tous les côtés, partout ; a-t-on trouvé seulement un des os de l’enfant ?

– Ainsi, vous prétendez qu’il n’a pas été dévoré par la louve ?

– Parfaitement.

– Pourquoi la bête l’a-t-elle emporté, alors ?

– Ah ! nous vous attendions là. La louve n’était pas aussi féroce, aussi affamée, qu’on a bien voulu le dire. Certainement elle ne s’est pas jetée sur le petit Jean et ne l’a pas emporté au fin fond de la forêt avec l’intention de le combler de caresses. Elle avait mis bas dans un fourré ; elle emportait le pauvre petit dans son repaire pour le mettre en pièces et le donner en pâture à ses louveteaux.

» Mais voilà : pendant qu’elle était à la recherche d’une proie, le hasard conduisit un garde du bois dans le fourré de la louve ; il trouva la nichée et emporta les louveteaux. Combien y en avait-il ? Nous n’en savons rien ; mais qu’importe ? Autant de moins. En ne retrouvant plus ses petits, la louve désolée se mit à gémir. Elle avait mérité ce qui lui arrivait. Elle avait pris le petit Jean à sa mère, on lui avait enlevé ses louveteaux.

» Dans sa douleur, n’ayant plus, d’ailleurs, à partager la proie qu’elle apportait, elle n’eut pas le courage de dévorer l’enfant auquel, heureusement, elle n’avait fait aucun mal, car elle l’avait porté, tenant seulement son vêtement entre ses dents. Elle le laissa tomber sur la couche des louveteaux disparus et s’étendit près de lui en poussant de sourds gémissements.

» Sans doute, le petit Jean pleura beaucoup, appelant sa mère. Toutefois, il avait moins peur de la bête, qui, loin de chercher à lui faire du mal, le regardait au contraire tristement, avec douceur, presque avec tendresse.

» Quand vint le soir, le pauvre petit eut froid. Pour se réchauffer il se serra contre la louve ; celle-ci ouvrit ses quatre pattes et permit à l’enfant de se blottir dans sa fourrure. Puis ce fut la faim qui se fit sentir. Jean avait souvent tété une chèvre, il téta la louve. La bête le laissa faire. Il lui sembla qu’elle avait retrouvé un de ses petits et elle se mit à le lécher. Elle avait perdu sa férocité, s’était attendrie ; l’enfant devenait l’objet de sa sollicitude, elle reportait sur lui son affection maternelle.

» Elle ne le quitta plus. Quand elle se mettait en chasse pour saisir une proie, elle l’emmenait avec elle ; Jean, habitué à elle, maintenant, la suivait. Souvent elle le portait, suspendu à sa mâchoire, prenant les plus grandes précautions pour ne pas le blesser. Des semaines, des mois s’écoulèrent. Jean ne pensait plus à son père et à sa mère. Les enfants ont la mémoire courte, il avait oublié ceux qui l’avaient si tendrement aimé. Il s’était attaché à la louve, qui l’avait adopté, et c’était la louve qu’il aimait maintenant. La bête, de son côté, était pleine de tendresse pour son nourrisson : elle le chérissait, elle l’aimait autant qu’une louve bonne mère peut aimer son louveteau.

» Bref, voilà comment le petit Jean Tabourin, fils de Jérôme Tabourin et de Louise Joli de Voulvent, fut élevé par la louve qui l’avait pris pour donner à manger à ses petits.

» Nourri, protégé, défendu par elle, Jean grandit dans les bois, au milieu des bêtes qui ne songèrent jamais à lui faire du mal.

À tout cela, on aurait pu opposer bien des mais…

Les incrédules, les sceptiques endurcis se contentèrent finalement de hausser les épaules et de rire, et l’histoire de Jean Tabourin et de la louve, souvent racontée, fut acceptée comme vraie par le plus grand nombre.

Dès lors on cessa d’appeler l’hôte de la forêt le Coureur des bois, on lui donna le nom de Jean Loup.

Sans doute, la légende de l’homme sauvage fut racontée à Voulvent et même plus loin.

Comment Jérôme Tabourin et sa femme n’accoururent-ils pas dans la forêt de Mareille afin de s’assurer que Jean Loup était bien leur fils ?

Hélas ! ils n’étaient plus de ce monde. Louise n’avait pu porter le poids de son immense douleur : elle était morte quelques mois après la catastrophe ; deux ans après Jérôme l’avait suivie dans la tombe.

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