Le surlendemain, vers trois heures de l’après-midi, M. Lagarde arrivait à Mareille.
Il ne portait plus sa défroque de paysan ; il l’avait remplacée par un vêtement de drap d’Elbeuf, qui lui donnait l’aspect d’un bon bourgeois de province.
– Veuillez, je vous prie, m’indiquer la demeure du vieux capitaine Jacques Vaillant, dit-il à la première personne qu’il rencontra dans le village.
– Monsieur, vous n’avez qu’à suivre la rue jusqu’au bout ; la dernière maison à gauche, bien facile à reconnaître, est celle du capitaine.
– Je trouverai probablement le lieutenant Grandin chez M. Vaillant ?
– Sûrement, monsieur. L’officier Grandin est le filleul du capitaine, et naturellement, n’ayant plus aucun parent à Mareille, c’est chez son parrain qu’il est venu passer son congé.
L’étranger remercia et continua son chemin.
Il se trouva bientôt devant la maison. Il frappa. Voyant qu’on ne venait pas lui ouvrir, il tourna le bouton, poussa la porte et entra. Il n’avait pas eu le temps de traverser la petite cour, que Gertrude parut sur le seuil de l’habitation pour le recevoir.
– Vous êtes sans doute l’excellente Gertrude, la gouvernante de M. Jacques Vaillant ? dit-il.
La brave femme n’essaya pas de cacher sa surprise.
– Monsieur sait mon nom ! fit-elle ; oui, monsieur, je suis Gertrude.
– Le lieutenant Grandin est-il ici en ce moment ?
– Oui, monsieur.
– J’en suis heureux, car n’ayant pas l’honneur d’être connu de votre maître, c’est le lieutenant que je désire voir d’abord.
– Puis-je vous demander, monsieur ?…
– Mon nom ? Je me nomme Lagarde.
– Vous, monsieur, c’est vous ! exclama Gertrude. Mon Dieu, vont-ils être contents ! Mais dix fois, vingt fois par jour, monsieur, on parle ici de vous ! Venez, venez vite, monsieur : tous deux sont dans le jardin ; ah ! vont-ils être contents !
Gertrude était dans tous ses états. Elle courut devant en criant :
– Monsieur Jacques, monsieur Vaillant, c’est M. Lagarde.
Au fond du jardin deux exclamations répondirent. Puis Jacques Grandin s’élança comme un trait et vint tomber, palpitant d’émotion, dans les bras de son ami le franc-tireur.
Le vieux capitaine arriva près d’eux.
– Monsieur Lagarde, dit Jacques, je suis heureux de vous présenter le capitaine Jacques Vaillant, mon parrain.
– Et votre second père, mon cher Jacques, ajouta M. Lagarde : c’est vous qui me l’avez dit.
– Oh ! oui, mon second père, fit le jeune homme.
Jacques Vaillant et M. Lagarde se serrèrent la main.
– Moi, dit Gertrude, toujours à la hauteur des circonstances, je cours chercher des provisions.
– Monsieur Vaillant, reprit M. Lagarde avec un accent d’émotion profonde, je sais quelles sont vos douleurs ; des paroles de consolation seraient superflues. Allez, il existe d’autres malheurs, j’en connais, plus grands encore que les vôtres.
On entra dans la maison et les trois hommes causèrent intimement dans la salle à manger jusqu’au retour de Gertrude.
– Je pense, monsieur Lagarde, dit Jacques Vaillant, que vous resterez quelques jours avec nous.
– Plusieurs jours, c’est impossible ; mais je puis vous donner la journée de demain tout entière. Cependant, si je devais vous occasionner le moindre dérangement…
– En aucune façon, répliqua vivement l’ancien dragon : nous n’avons qu’une chambre à vous donner et c’est celle de notre pauvre Jeanne.
– Je coucherai dans ce lieu plein de douloureux souvenirs.
Jacques Vaillant se leva en disant qu’il avait quelqu’un à voir dans le village. C’était un prétexte pour sortir. En réalité, il voulait ménager à ses hôtes une causerie en tête à tête.
– Jacques, mon cher Jacques, dit M. Lagarde au jeune officier, quand ils furent seuls, avant de venir à Mareille, je me suis informé et j’ai tout appris ; ah ! mon ami, je vous plains sincèrement ; comme vous avez dû souffrir !
– Je souffre encore, et je souffrirai toujours. Ici, devant ce vieillard, qui vient de nous quitter et que ce coup terrible a écrasé, j’ai encore la force de contenir mon désespoir pour ne pas envenimer les plaies de son cœur ; mais plus tard… Vous me disiez naguère : « Vous pouvez avoir de belles espérances, l’avenir vous promet beaucoup… » Sans doute, un chemin facile m’est ouvert et, par le travail, je pourrai arriver à une position enviable. Mais pourquoi, pour qui puis-je avoir de l’ambition maintenant ? Ai-je besoin de la fortune, quand je n’ai plus le bonheur à espérer ? Hélas ! ce qui me donnait la force et le courage n’existe plus ! Je suis anéanti ; en moi, tous les ressorts se sont brisés, toute flamme est éteinte… Tenez, si un nouveau danger menaçait la France, je crois que je manquerais de patriotisme !
M. Lagarde resta un moment silencieux et répondit :
– Vous vous plaignez bien amèrement, Jacques ; ah ! je comprends votre douleur ! Mais, permettez-moi de vous le dire, mon ami, votre malheur n’est rien, entendez-vous ? rien, à côté des miens. Et pourtant je ne me laisse pas abattre, je reste debout ; je conserve ma force, mon courage, et j’espère !
Le jeune homme tressaillit et se redressa :
– Je serais comme vous si je pouvais espérer ! s’écria-t-il.
– Eh bien, espérez donc !
– Elle est morte ! soupira Jacques.
M. Lagarde fut sur le point de lui crier :
– Jeanne existe !
Mais il se retint, car ce n’était pas une demi-joie, un espoir conditionnel qu’il voulait lui donner.
– Non, se dit-il, attendons encore.
Après un moment de silence, il reprit, touchant légèrement le bras de Jacques qui, la tête entre ses mains, paraissait absorbé dans ses tristes pensées :
– Avant d’aller se jeter dans la rivière, votre fiancée a écrit une lettre ?
– Oui, une lettre.
– Où elle accuse un homme sauvage appelé Jean Loup ?
– Oui.
– Vous aviez, m’a-t-on dit, de l’affection pour ce Jean Loup ?
– C’est vrai.
– Et ce sauvage avait, lui aussi, une grande amitié pour vous ?
– Je le crois.
– Jacques, croyez-vous ce malheureux coupable de la chose dont votre fiancée l’a accusé ?
– Jeanne, dans son trouble, s’est méprise, monsieur ; c’est à tort qu’elle a accusé Jean Loup.
La physionomie de M. Lagarde s’éclaira et ses yeux rayonnèrent.
– D’abord j’ai cru, comme tout le monde, que Jean Loup avait commis ce crime ; mais j’ai appris ensuite ce qui s’est passé dans celle horrible nuit. Loin d’être coupable, c’est Jean Loup qui est accouru au secours de la pauvre Jeanne et l’a sauvée de l’agression brutale d’un misérable, qui est resté inconnu ; c’est lui encore qui a fait des efforts désespérés pour l’arracher au courant rapide qui, hélas ! l’a entraînée !…
» Pauvre Jeanne ! Elle s’est crue déshonorée, et cette fatale erreur l’a poussée au suicide, à la mort !
– Jacques, comment avez-vous appris tout cela ?
– Jean Loup ne parle pas, monsieur, et pourtant c’est lui qui a fait comprendre à une jeune fille qui, seule pouvait le comprendre, le récit complet de l’épouvantable drame. Cette jeune fille est venue me trouver ici même, il y a quelques jours, et c’est elle qui m’a instruit.
– Alors, Jacques, cette jeune fille a dû déjà faire savoir au parquet d’Épinal…
– Rien encore.
– Pourquoi ?
– Elle attend.
– Elle attend ! Mais que peut-elle donc attendre ? Quoi ! on accuse ce malheureux, elle sait qu’il est innocent et elle ne proteste pas !
– Monsieur, répondit Jacques avec un embarras visible, cette jeune fille aime Jean Loup !
– Elle l’aime ! exclama M. Lagarde ; mais c’est une raison plus forte que toutes les autres pour proclamer son innocence !
Le jeune homme fut frappé de la logique de ces paroles.
– C’est juste, vous avez raison, dit-il.
– Jacques, si cette jeune fille se tait, c’est qu’il y a une cause.
L’officier ne put s’empêcher de tressaillir.
– Mais, poursuivit M. Lagarde, dans l’intérêt de la justice et de la vérité, surtout, nous la forcerons à parler ! Jacques, comment se nomme cette jeune fille ?
– Pardon, monsieur, mais après vous avoir révélé son secret, si je vous dis son nom…
– Je suppose, Jacques, que vous ne me croyez pas capable d’abuser d’un secret de cette nature ; cependant si cette jeune fille vous a fait promettre de ne dire son nom à personne…
– Elle n’a exigé de moi aucune promesse.
– En ce cas, Jacques, ce n’est point la trahir que de me le confier, à moi…
– Elle se nomme Henriette de Simaise.
M. Lagarde bondit sur ses jambes.
– Henriette de Simaise ! exclama-t-il, le visage bouleversé, des flammes dans les yeux.
Le jeune homme le regardait stupéfié.
M. Lagarde se rassit. Déjà les lueurs de son regard s’étaient éteintes et son visage avait repris son expression habituelle.
– Je comprends maintenant, dit-il d’un ton tranquille, ce qui empêche Mlle de Simaise de faire une démarche qui la forcerait à révéler ce qu’elle veut tenir caché ou la mettrait, tout au moins, en face du danger de laisser deviner le secret de son cœur.
» Jacques, je n’ai pas besoin de vous dire que je m’intéresse au sort du malheureux Jean Loup ; vous l’avez compris. Vous devez trouver extraordinaire que je m’occupe de cet être misérable, dégradé… Évidemment, mon ami, il y a à cela une raison. Quelle est-elle ? Vous la connaîtrez plus tard.
Un instant après, Jacques Vaillant rentra, ramené vers ses hôtes par l’heure du dîner.
Ce soir-là, on se coucha de bonne heure chez le vieux capitaine. M. Lagarde étant très fatigué – il ne s’était pas étendu sur un lit depuis cinq jours – on voulait lui donner tout le temps de se reposer.
Quand il se leva, à sept heures du matin, bien qu’il n’eût eu qu’un sommeil agité, fréquemment interrompu, il se sentit fort pour de nouvelles fatigues.
Il y avait une heure déjà que le lieutenant était debout. M. Lagarde le trouva se promenant dans les allées du jardin.
– Avez-vous bien dormi, monsieur ? demanda Jacques.
– Suffisamment, mon ami, puisque je ne me sens plus fatigué. Je désire faire ce matin une promenade dans la campagne, voulez-vous m’accompagner ?
– Avec plaisir !
– En ce cas, Jacques, mettez vos souliers.
Jacques Vaillant, prévenu de l’intention de ses hôtes, s’empressa de descendre, et Gertrude avança le déjeuner.
À huit heures les promeneurs étaient au milieu des champs. Ils gagnèrent le chemin du bord de l’eau, qu’ils suivirent, allant vers la montée de Blignycourt.
Tout à coup, Jacques s’arrêta, et montrant un endroit de la rivière :
– C’est là, dit-il d’une voix oppressée, ayant peine à retenir ses larmes, que ma pauvre Jeanne…
– Ah ! c’est là ? fit M. Lagarde.
Ils sautèrent la berge de la route et s’avancèrent vers le bord du Frou, qui était, ce jour-là, à son étiage. Et pendant que Jacques, prêt à sangloter, regardait le tournoiement de l’eau, M. Lagarde, concentré en lui-même, retrouvait dans son souvenir la scène du sauvetage de la jeune fille.
La branche du saule à laquelle s’était accroché Jean Loup était toujours là ; il voyait encore Jeanne, étendue sur l’herbe, revenant peu à peu à la vie, et Jean Loup, ruisselant d’eau, debout, immobile, contemplant avec anxiété le visage livide de celle qu’il venait d’arracher à la mort. M. Lagarde passait successivement par les mêmes impressions, les mêmes émotions qu’il avait senties alors.
– Jacques, dit-il, après une station de quelques minutes, éloignons-nous de cette place qui vous rappelle de trop douloureux souvenirs.
– C’est là qu’elle s’est précipitée, là, qu’elle a disparue pour toujours ! prononça le jeune homme avec un accent désolé.
– Venez, mon ami, venez, dit M. Lagarde.
Et il entraîna le jeune officier.
Quand ils eurent fait une centaine de pas, M. Lagarde reprit la parole.
– À quelle distance sommes-nous de la Bosse grise ? demanda t-il.
– Trois quarts de lieue environ.
– C’est là que Jean Loup avait fixé sa demeure ?
– Oui, dans une grotte naturelle au pied du rocher.
– Sauriez-vous la trouver, cette grotte ?
– Parfaitement ! J’y ai fait, il y a quatre jours, une sorte de pèlerinage.
– Ah !
– Après avoir cru à l’accusation portée contre Jean Loup, après l’avoir traîtreusement livré aux gendarmes, j’ai obéi, en allant visiter sa demeure, à un sentiment de regret et de reconnaissance.
– Oui, je comprends.
– La grotte était autrefois inabordable ; son entrée, cachée par un large enchevêtrement de ronces et d’épines, était invisible à tous les yeux. Mais les Prussiens ont mis le feu à ces broussailles.
– Les Prussiens ?
– Ils ont essayé de prendre Jean Loup.
– Pourquoi, Jacques ?
– Parce que, indigné de la façon odieuse dont l’ennemi se conduisait dans le pays, Jean Loup, devenu partisan, leur faisait une guerre acharnée.
Le lieutenant continua en racontant à M. Lagarde comment, possédant un fusil qu’il avait trouvé dans le bois, Jean Loup s’était procuré de la poudre et des balles grâce à une pièce d’or de vingt francs, qu’il avait probablement trouvée aussi sur quelque sentier.
Voyant que son compagnon l’écoutait avec une attention qui indiquait un intérêt extraordinaire, le jeune officier prit plaisir à lui faire le récit de toutes les belles actions du sauvage.
– Jacques, mais c’est superbe, ce que vous venez de m’apprendre ! s’écria M. Lagarde avec une sorte d’enthousiasme.
– Jean Loup est de la pâte dont on fait les héros !
Un éclair rapide traversa le regard de M. Lagarde.
– Dans tous les cas, Jacques, répliqua-t-il, c’est un homme d’un grand cœur que ce malheureux.
Bien que M. Lagarde n’eût pas encore dit de quel côté il voulait aller, les deux hommes avaient quitté la route et s’étaient engagés sur un sentier qui se dirigeait vers la Bosse grise, en longeant la lisière de la forêt.
– Jacques, où va nous mener cette route ? demanda M. Lagarde.
– Au plateau des Roches.
– Où se trouve la Bosse grise ?
– Oui, monsieur. J’ai compris que vous désiriez voir la grotte de Jean Loup et je vous y conduis.
– Merci, mon ami.
Après une demi-heure de marche pénible, car ils avaient à chaque instant à se débarrasser des ronces et des viornes qui s’entortillaient autour de leurs jambes, les deux promeneurs se trouvèrent au pied de l’énorme rocher, à l’entrée de la grotte.
– À cet endroit où nous sommes, dit Jacques, étaient les broussailles inextricables brûlées par les Prussiens.
– On voit encore, de tous les côtés, de nombreuses traces de l’incendie.
– Le jour où les gendarmes se sont emparés de Jean Loup, il y avait encore à l’entrée de la grotte et à l’intérieur des paniers de plusieurs dimensions, avec lesquels le pauvre garçon allait faire ses provisions dans le bois, et des petites claies, qui lui servaient à faire griller au soleil la viande des animaux dont il parvenait à s’emparer. Ces objets, fabriqués par lui, ont été enlevés depuis par des personnes qui veulent, probablement, les conserver comme des reliques.
» Jean Loup aimait les colimaçons et il en mangeait des quantités, ainsi que l’indiquent ces nombreuses coquilles qui jonchent le sol. Mais entrons dans la grotte. J’ai des allumettes sur moi ; une poignée de feuilles sèches, que nous brûlerons, nous éclairera suffisamment pendant un instant, pour que nous puissions voir l’intérieur de la demeure.
Le jeune homme fit craquer une allumette et ils pénétrèrent sous la voûte. Arrivés dans la grotte, le lieutenant prit des fougères sur l’amas de feuilles qui avait été le lit de Jean Loup et y mit le feu. La fumée s’échappa par le trou de la voûte et la flamme jeta une faible et blafarde clarté sur les blocs de rocher entassés.
M. Lagarde regarda avidement. Il vit d’abord la couche du sauvage, puis, sur le sol, dans tous les coins, et dans les niches des murs, le reste des provisions d’hiver de Jean Loup : des châtaignes, des noisettes, des foènes, des glands, des écorces, des racines, des herbages secs.
Pendant qu’il se livrait à son travail d’inspection, Jacques entretenait la flamme qui les éclairait.
Tout à coup, M. Lagarde laissa échapper un gémissement.
– Oh ! le malheureux, le malheureux enfant ! s’écria-t-il.
Et, n’étant plus maître de son émotion, ses larmes jaillirent, et il sanglota.
Jacques, les yeux fixés sur son protecteur, se disait :
– Ce n’est pas à un intérêt ordinaire pour Jean Loup que répond cet excès de sensibilité ; son émotion a une autre cause !
– Jacques, dit M. Lagarde d’une voix entrecoupée, j’ai vu, j’ai vu… Venez, mon ami, partons.
Ils sortirent de la grotte, tournèrent silencieusement autour de la Bosse grise et rejoignirent la grande route, en passant à travers les roches du plateau.
M. Lagarde avait eu le temps de se calmer.
– Dites-moi, Jacques, fit-il, que pense-t-on à Mareille, à Vaucourt et dans les autres communes voisines de Mme la baronne de Simaise ?
– Le plus grand bien, monsieur. Mme la baronne et sa fille font beaucoup de bien ; elles sont les deux anges protecteurs de la contrée ; aussi n’est-ce pas trop de vous dire qu’elles sont adorées.
– Mme de Simaise n’a-t-elle pas aussi un fils ?
– Oui, monsieur ; mais on le connaît à peine dans le pays ; il vient rarement à Vaucourt, trois ou quatre fois chaque année, et seulement pour quelques jours.
– Et monsieur le baron ?
– Oh ! lui, il n’y vient jamais.
– Ce qui signifie qu’il y a rupture entre lui et sa femme ?
– Évidemment, puisqu’ils vivent éloignés l’un de l’autre.
– Vous croyez donc, Jacques, que la baronne de Simaise n’a pas revu son mari depuis tant d’années qu’elle est venue se fixer à Vaucourt ?
– Sur ce point, monsieur, je ne saurais vous répondre ; mais ce que je peux vous dire, c’est que Mme la baronne ne quitte jamais son château, si ce n’est pour aller à Haréville chez M. de Violaine, qui est son ami, et à Épinal une ou deux fois par an lorsque des affaires d’intérêt ou des achats à faire l’y appellent.
– Mme la baronne de Simaise, qui est encore jeune, et qui a été très jolie, m’a-t-on dit, reprit M. Lagarde, a une existence bien triste, bien monotone !
– C’est vrai, monsieur !
– Je plains sincèrement Mlle de Simaise, condamnée à partager la retraite et la solitude de sa mère.
– La jeune demoiselle ne m’a point caché qu’elle était très malheureuse.
– Est-elle jolie ?
– Adorable, monsieur ! et gracieuse, affable et bonne comme sa mère !
– Alors, on comprend que, pouvant être facilement aimée, elle ait inspiré de l’amour au pauvre Jean Loup.
M. Lagarde, cessant d’interroger le jeune officier, tomba dans une profonde rêverie.