II La demande de mariage

Madame Clavière avait compris que, pour trois femmes seules, il y avait du danger à habiter une maison presque isolée et à une aussi faible distance du bois. Dans les derniers mois de l’année précédente, c’est-à-dire avant l’hiver, elle avait fait construire un bâtiment assez important, comprenant, au rez-de-chaussée, écurie, remise, sellerie et, au-dessus, un logement de jardinier et un autre pour un cocher.

Elle avait donc pris un jardinier et un cocher à demeure. Ce nouvel arrangement n’avait pas été sans causer quelque chagrin à Charles Pinguet, qui s’était fait une douce habitude de conduire la jeune femme. Mais celle-ci lui avait fait comprendre que, maintenant qu’elle sortait presque tous les jours, il était impossible qu’il continuât sa mission de dévouement, attendu qu’il ne pouvait pas vivre complètement séparé de sa femme.

Enfin il y avait deux hommes à la villa, plus un superbe chien bouledogue qui avait été investi des fonctions de gardien de nuit de la propriété.

Le lendemain de sa visite à M. Chevriot, à dix heures du matin, le coupé de Mme Joubert s’arrêta devant la villa Clavière.

La mère d’Edmond mit pied à terre et, avant qu’elle eût sonné, le dogue donna de la voix, annonçant ainsi une visite.

Louise vint ouvrir et ne put retenir une exclamation de surprise en reconnaissant Mme Joubert.

Elle fit entrer la visiteuse dans le petit salon, s’éloigna, et un instant après, Mme Clavière parut, toujours vêtue avec la même simplicité, mais plus que jamais rayonnante de beauté et parée de toutes les grâces de la jeunesse.

– Chère madame, dit-elle, tendant ses deux mains à Mme Joubert et accompagnant ses paroles d’un délicieux sourire, vous me causez une bien agréable surprise.

– Mon cœur, madame, plus encore que ma voix, vous remercie d’un si gracieux accueil.

Elles s’assirent.

– Est-ce que, déjà, vous venez vous installer à la campagne ? demanda Mme Clavière.

– Oh ! non, pas encore. Mais nous aimons beaucoup Vaucresson, mon fils et moi, et si rien ne vient contrarier nos projets, nous ne resterons plus que quelques jours à Paris.

– Alors vous êtes venue pour donner des ordres concernant votre prochaine arrivée ; je vous remercie de ne pas m’avoir oubliée.

– Nous ne vous oublions pas, madame, nous pensons beaucoup, constamment à vous, au contraire.

– Vous me rendez confuse, balbutia la jeune femme.

– C’est uniquement pour avoir un entretien avec vous que je suis venue aujourd’hui à Vaucresson…

– Ah ! fit Mme Clavière étonnée.

– À cet entretien, continua Mme Joubert, plusieurs choses sont attachées : c’est mon repos, je dis plus, c’est mon bonheur et celle de mon fils qui en peuvent sortir, ou bien ce sera une grande douleur, le désespoir.

– Mon Dieu, madame, je ne comprends pas, prononça la jeune femme d’une voix tremblante.

– Madame Clavière, mon fils vous aime.

– Madame ! fit la jeune femme devenant très pâle.

– Mon fils vous aime ; sans vous, il ne peut plus être heureux.

– Oh !

– Madame Clavière, j’ai l’honneur de vous demander votre main pour Edmond Joubert.

Marie, comme accablée, avait laissé tomber sa tête sur son sein.

– Vous êtes mère, reprit Mme Joubert, vous savez quelles tortures il y a dans le cœur d’une mère qui voit souffrir son enfant ; mon fils est malheureux, si vous le repoussez, son existence est brisée ; c’est une mère qui vous supplie, ayez pitié de mon fils !

Mme Clavière se redressa brusquement.

– Ainsi, s’écria-t-elle avec une amertume profonde, c’est ma beauté, toujours ma fatale beauté… Et pourtant, continua-t-elle en se tordant les mains, je ne peux pas me défigurer, me rendre laide, repoussante !

– Madame, dit la mère d’Edmond d’une voit oppressée, votre beauté sans doute, a attiré les regards de mon fils ; mais croyez-le, oh ! croyez-le bien, ce qu’il aime en vous ce sont les admirables qualités de votre cœur.

– Ah ! mes qualités !… Mais, madame, M. Joubert me connaît à peine.

– Il vous connaît assez pour avoir pu vous apprécier, et depuis bientôt deux ans qu’il vous aime…

– Non, vous dis-je, non, interrompit la jeune femme, vous et votre fils ne me connaissez pas ! Ce que je suis, vous ne le savez pas exactement ; ce que j’ai été, vous l’ignorez !

– Vous vous trompez ; vous n’avez rien à nous apprendre, nous savons tout.

– Tout ?

– Et ce que nous avons appris nous voulons l’oublier, nous ne voulons pas le savoir.

– Ainsi, répliqua la jeune femme, mon passé vous est connu !

– Je vous demande pardon d’avoir voulu le connaître, madame : il s’agissait du bonheur de mon fils, de son avenir.

– Vous n’avez rien à vous faire pardonner, madame ; je comprends tous les devoirs d’une mère et je vous approuve. Enfin vous connaissez mon passé, et malgré tout, M. Edmond Joubert voudrait me prendre pour femme et c’est vous, sa mère, qui venez me demander de l’épouser !

– C’est que… je suis femme ! répondit simplement Mme Joubert. Que de choses dans ces trois mots !

L’ancienne maîtresse du comte de Rosamont, si noblement relevée, regarda fixement Mme Joubert. Deux larmes roulaient dans ses yeux. La mère d’Edmond reprit :

– Vous êtes sans famille ; dans M. le docteur Chevriot, que j’ai vu hier et qui est instruit de ma démarche, vous avez retrouvé un père et vous n’avez plus qu’à retrouver une mère ; soyez l’épouse aimée d’Edmond Joubert, soyez ma fille ! Oh ! mon fils ne sera pas seul à tout faire pour vous rendre heureuse et vous faire oublier complètement vos souffrances d’autrefois, je serai avec lui et la tâche nous sera facile ; je vous aimerai, je vous chérirai !… Et votre petit André, que vous adorez, nous l’adorerons ; il sera notre enfant, notre fils à tous les trois et, avec vous, la joie de notre maison.

Oh ! n’ayez aucune inquiétude au sujet de ce cher petit ; si vous aviez d’autres enfants, il y aurait égalité entre eux et André, leur aîné, c’est-à-dire que tous auraient les mêmes droits de par la volonté de mon fils et la mienne.

Il est une question qui pourrait être réservée et que, cependant, je crois devoir aborder dès maintenant ; si désintéressée que vous soyez, elle ne saurait vous trouver absolument indifférente : il s’agit de notre fortune qui est d’environ trois millions.

Oh ! je sais que, attachée à votre existence modeste, préférant à tout le calme d’une vie retirée, vous faites peu de cas d’une grande fortune ; vous n’avez aucune ambition, mais si vous n’êtes pas ambitieuse pour vous, vous le serez un jour pour votre fils ; eh bien, cette fortune que nous vous offrons vous permettra, dans quelques années, de préparer à votre cher André un brillant avenir.

– Madame, répondit Marie d’une voix vibrante d’émotion, mon cœur est pénétré d’admiration et de reconnaissance ; mais, sans le vouloir, vous me rendez bien malheureuse ; vous me faites éprouver une douleur que je ne connaissais pas encore.

– Mais… interrompit Mme Joubert.

– Je vous en prie, madame, laissez-moi parler, et écoutez-moi.

M. Edmond Joubert est honnête, généreux, loyal, et, je n’ai pas à le cacher, il a toutes mes sympathies. Il a pu, disiez-vous tout à l’heure, apprécier mes qualités, j’ai su également apprécier les siennes : il aime sa mère, il la vénère ! Bon fils, il sera un excellent mari, et je suis convaincue que l’épouse qu’il se donnera sera heureuse. Mais je ne puis être cette femme heureuse.

La physionomie de Mme Joubert prit subitement une expression douloureuse.

– Pourquoi ? demanda-t-elle d’une voix affaiblie.

– Je ne veux pas me marier.

– Oh ! mon Dieu !

– Je ne veux pas me marier, madame ; mais, le voudrais-je et le pourrais-je, je ne me marierais pas. Je ne me marierais pas, parce que je ne pourrais pas donner à mon mari la tendresse qu’il aurait le droit d’exiger de sa femme, cet amour sans lequel aucune union ne peut être heureuse, aucune union, selon moi, n’est possible.

Oui, il faut aimer celui qui associe son existence à la vôtre, et je ne peux plus aimer, moi ; pour tout autre amour que celui que je dois à mon enfant, mon cœur est fermé comme l’est aux profanes le sanctuaire d’une divinité mystérieuse.

La mère d’Edmond hocha la tête.

– Hélas ! madame, dit-elle d’une voix plaintive, vos paroles m’ont broyé le cœur ; j’étais venue avec l’espérance, vous repoussez ma demande, je vais retourner à Paris la mort dans l’âme. Ah ! pour mon malheureux fils, que vous condamnez à souffrir, c’est le désespoir !

– Il vous a pour le consoler, madame ; votre tendresse de mère aura raison de sa douleur.

– Je ne pourrai rien, rien !

– Laissez-moi croire le contraire.

– Je ne pourrai rien, vous dis-je, rien ; si grande que soit ma tendresse, si absolu que soit mon dévouement, je serai impuissante. Ah ! vous ne savez pas, vous ne pouvez pas savoir comme il vous aime !

– Je vous le dis encore, madame, je suis très malheureuse de cet amour que j’ai fatalement inspiré, et cependant, j’en prends le ciel à témoin, je n’ai rien fait pour le faire naître.

– C’est vrai, c’est vrai, et mon pauvre fils le reconnaît lui-même ; mais il vous a vue et il vous a aimée ; cela devait être, c’était fatal ! Si vous le voyiez aujourd’hui, vous ne le reconnaîtriez plus, tellement il est changé, et vous le prendriez en profonde pitié ; le malheureux est comme écrasé ; il n’a plus ni force, ni courage, ni volonté.

– Il faut qu’il reprenne son énergie.

– Oui, il faut, il faudrait ; mais comment, quand en lui tous les ressorts sont brisés ? Hélas ! madame, je n’aurais jamais cru que l’amour pût être un mal aussi terrible.

Ces paroles rappelèrent brusquement à la jeune femme qu’André Clavière avait été aussi un désespéré d’amour. Elle soupira et baissa la tête. Mme Joubert reprit :

– Cependant, ce matin, quand je lui dis que j’allais vous faire une visite et quel était l’objet de ma démarche, il m’a semblé que je le voyais renaître. Il s’était redressé, sa physionomie s’était animée, ses yeux s’étaient remplis de clarté. Oui, c’était comme une résurrection. Je l’ai quitté en lui laissant l’espoir au cœur ; et maintenant je vais lui porter le désespoir. C’est affreux !

Et, voilant son visage de ses mains :

– Ah ! il en mourra ! s’écria-t-elle avec un accent déchirant.

– De grâce, madame, ne parlez pas ainsi, n’ayez pas une pareille pensée. La tendresse d’une mère est plus puissante que vous ne le croyez, elle saura trouver des paroles, des accents qui apaiseront sa douleur ; vous l’aiderez à chasser de son cœur un amour sans espoir, et bientôt un autre amour effacera de sa pensée jusqu’à mon souvenir ; il y a dans votre monde tant de jeunes filles charmantes et qui ne demandent qu’à aimer.

Mme Joubert secoua la tête.

– Reprenez courage, madame, vous sauverez votre fils.

– Hélas ! vous seule pourriez le sauver, et vous ne le voulez pas !

– Ne dites pas cela, madame ; je le voudrais, mais ce que vous me demandez est impossible.

– Mais vous vous êtes donc condamnée à un éternel veuvage ?

– Oui.

– Et vous n’avez que vingt-trois ans !

– Je ne veux vivre que pour mon enfant et pour me souvenir.

– Ah ! je comprends, vous avez aussi une plaie au cœur.

– Oui, j’ai au cœur une plaie inguérissable, mais aussi un culte. Mme Joubert laissa échapper un profond soupir.

Devant cette grande douleur d’une mère, si digne de ce titre, Mme Clavière sentait son cœur se briser.

Elle eut tout à coup une idée qui ne pouvait être inspirée que par une grande âme comme la sienne.

– Madame, reprit-elle, je puis peut-être vous aider à guérir, à sauver votre fils.

– Comment ?

– En le voyant, en causant avec lui ; envoyez-moi M. Edmond Joubert.

– Ainsi, vous voudrez bien le recevoir ?

– Oui, s’il lui plaît de me faire une visite.

– Oh ! il viendra. Quel jour pourrez-vous le recevoir ?

– Demain, je ne sortirai pas, je l’attendrai toute la journée.

Mme Joubert essuya ses yeux et, devenue plus calme, prit congé de Mme Clavière.

* *

*

Le lendemain, vers deux heures, Edmond Joubert se présenta à la villa. Mme Clavière l’attendait, elle le reçut aussitôt.

Quoique prévenue, la jeune femme n’en remarqua pas moins le changement qui s’était fait en quelques mois chez Edmond ; il était pâle, amaigri, avait les yeux fatigués, avait beaucoup vieilli.

On voyait bien, comme l’avait dit sa mère, qu’en lui tous les ressorts étaient brisés et qu’une œuvre lente de destruction s’accomplissait.

– Le mal est plus grave que je ne le supposais, pensa Marie.

Elle avait tendu la main au jeune homme, puis lui avait indiqué un siège et s’était assise en face de lui.

– Je vous remercie, madame, dit-il, d’avoir bien voulu m’autoriser à vous faire cette visite.

– C’est moi, monsieur, qui ai désiré vous voir afin de causer quelques instants avec vous ; j’ai pensé que, dans votre intérêt, notre entretien ne serait pas inutile. Madame votre mère vous a rapporté, sans doute, la conversation que nous avons eue ensemble ?

– Oui, madame, et désolé, désespéré, je suis venu.

– Vous êtes venu et nous allons causer… je ne peux pas dire comme deux amis, car je n’ose pas vous considérer comme un ami et vous ne pouvez pas voir en moi une amie.

– Oh ! madame, madame !

– Monsieur Joubert, vous avez eu la pensée de faire de moi votre femme, plus que la pensée, puisque votre mère est venue hier me présenter votre demande en mariage ; c’est un grand, un très grand honneur que vous et votre mère m’avez fait, monsieur, et, certes, je pourrais être fière d’un pareil honneur, si j’en étais digne.

– Que dites-vous exclama le jeune homme.

– Je dis, répondit-elle, très calme, que je suis indigne de l’honneur que vous m’avez fait.

Il eut un geste énergique de protestation :

– Il faut voir les choses telles qu’elles sont, monsieur Joubert, et non à travers les couleurs du prisme. Quand vous avez autour de vous, dans les salons parisiens, de si belles jeunes filles gracieuses, distinguées, riches, qui seraient si fières d’attirer vos regards, si heureuses de vous aimer, comment avez-vous pu songer à m’épouser, moi, une veuve, une mère, une femme presque vieille déjà ?

– Parce que c’est vous que j’ai aimée, que j’aime ! répondit-il avec feu. Aucune de ces jeunes filles dont vous venez de parler n’a jamais attiré mes regards ; vous seule pouviez faire naître l’amour dans mon cœur, vous seule aviez le pouvoir de verser en moi toutes les ivresses, de me faire connaître les joies ineffables ou de me faire souffrir comme je souffre aujourd’hui, comme j’ai souffert depuis plus d’une année.

Ah ! vous êtes une veuve, vous êtes une mère ! Et qui vous dit que ce n’est point parce que vous êtes une veuve et une mère que j’ai été irrésistiblement attiré vers vous et que je vous ai ainsi aimée, adorée ?…

Vous prétendez que, déjà, vous êtes vieille ; c’est votre bouche qui dit cela et non vos traits charmants ; d’ailleurs je sais votre âge.

– Soit, j’ai vingt trois ans ; mais j’ai connu bien des douleurs, ce sont les souffrances qui m’ont vieillie.

– Je les avais devinées, ces mystérieuses douleurs, je vous en ai aimée davantage et elles ont donné plus de force encore à mon amour.

– C’est alors que vous deviez voir que je n’étais pas une femme dans les conditions ordinaires de la vie, alors que vous auriez dû réfléchir et résister à cet entraînement fatal qui vous faisait me rechercher au lieu de me fuir.

– Vous fuir !

– Vous éloigner de moi, si vous aimez mieux, avec indifférence et dédain.

– Ah ! vous vous méprisez ! s’écria-t-il.

– Je ne suis pas une coquette, monsieur Joubert, et je n’ai pas ce rôle à jouer avec vous. Ce n’est pas non plus devant vous que je voudrais chercher à me parer de vertus que je ne possède pas.

– Mais vous les avez, ces vertus dont vous voulez vous dépouiller !

– Où les trouvez-vous, monsieur ? Est-ce dans l’histoire de ma vie, que vous connaissez ? Entrons dans mon passé, hardiment ; comme nouvelle expiation j’en remuerai la honte, cette honte qui attacha à mon front un stigmate ineffaçable.

Voyons, monsieur Edmond Joubert, est-ce à moi, une femme déchue, une ancienne fille entretenue, – car enfin, il faut appeler les choses par leur nom, – est-ce à moi que vous pouvez donner votre nom honoré ? Est-ce moi, une ancienne maîtresse abandonnée par son amant, que vous pouvez placer à côté de votre mère, une noble femme, une sainte ?

– Elle ne vous trouve pas coupable.

– Elle est trop indulgente. Mais vous ?

– Moi, je vous ai placée si haut dans mon estime que rien au monde ne saurait vous atteindre.

– Votre générosité est grande comme l’indulgence de Mme Joubert.

– Je vous aime.

– Oui, vous m’aimez maintenant, mais vous cesserez de m’aimer.

– Jamais !

– Ne dites pas jamais ; vous cesserez de m’aimer, il le faut, afin que vous puissiez donner votre amour à une autre que vous aurez choisie.

– Pour moi, à côté de ma mère, il n’existe qu’une femme au monde, vous.

Marie secoua la tête.

– Aveuglement, folie ! fit-elle.

Monsieur Edmond, reprit-elle, vous cesserez de m’aimer parce que votre honneur et la tranquillité de votre mère l’exigent, vous cesserez de m’aimer parce que je ne puis être votre femme et qu’on ne garde pas en son cœur un amour sans espoir.

– Et cependant, madame, je le garderai ; j’en ferai ma religion ! Ah ! tenez, je préfère mourir de mon amour que de vivre sans lui !

– Vous vivrez, monsieur Edmond, et vous cesserez de m’aimer ; pour moi aussi, dans mon intérêt, il le faut !

– Pour vous, dans votre intérêt ? répéta-t-il.

– Mais comprenez donc que je souffre, moi aussi, et cruellement, de cet amour que j’ai eu le malheur de vous inspirer.

– Oh ! fit-il en tressaillant.

– Eh bien, oui, continua-t-elle d’un ton douloureux, vous m’aimez et vous me faites souffrir.

Suis-je assez malheureuse, mon Dieu !

Mais je suis donc vraiment maudite pour être ainsi fatale à ceux qui me témoignent de la sympathie et que je serais si heureuse d’avoir pour amis ?

– Ah ! madame, s’écria le jeune homme éperdu, c’est une pointe acérée que vous enfoncez dans mon cœur !

– Pourquoi ne voulez-vous pas écouter la voix de la raison ? répliqua-t-elle en pleurant.

– Quoi, maintenant vous pleurez, et c’est moi qui fais couler vos larmes !…

Mon Dieu, mon Dieu, mais vous voulez donc que je meure de douleur à vos pieds !

En prononçant ces paroles il s’était agenouillé devant la jeune femme.

– Que faites-vous, monsieur ? dit-elle ; je vous en prie, relevez-vous !

Il obéit et regarda Mme Clavière piteusement, comme un enfant que sa mère vient de gronder.

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