XIX MENÉES TÉNÉBREUSES

Quand de Mégrigny parla à Me Mabillon des nouveaux pouvoirs qu’il voulait donner au baron de Simiane, le notaire ne dissimula point sa vive contrariété.

Cependant il ne crut pas devoir répéter au jeune homme ce qu’il lui avait déjà dit au sujet de M. de Simiane. Il savait d’avance que ce serait prêcher dans le désert. Et puis, disons-le, il ne s’intéressait plus autant à Ludovic dont l’aveuglement le stupéfiait.

Prenant pour prétexte que M. de Mégrigny n’avait besoin de personne pour gérer sa fortune, qu’il pouvait parfaitement s’occuper lui-même de ses affaires, il refusa net de faire l’acte qui lui était demandé.

C’eût été une complaisance coupable, selon sa conscience d’honnête homme, qu’il ne voulait pas avoir à se reprocher.

Force fut à de Mégrigny de s’adresser à un autre officier ministériel, lequel, moins scrupuleux que Me Mabillon ou, peut-être, ne connaissant pas bien les antécédents du baron, rédigea le mandat conférant au mandataire de M. Ludovic de Mégrigny et sans restriction, comme le voulait de Simiane, les pouvoirs les plus étendus et les plus complets.

Bien décidé à rompre avec le passé, de Simiane n’avait pas revu ses anciens compagnons de débauche ; il n’allait plus au cercle ; Bouton-de-Rose avait pris un autre amant, et il ne s’était pas donné une nouvelle maîtresse pour remplacer la danseuse ; enfin la chronique scandaleuse ne parlait plus du baron de Simiane.

C’est alors qu’on avait commencé à dire de lui :

« – C’est un converti. »

La vérité de tout cela était que, chez le baron, l’amour de l’argent avait brusquement succédé à l’amour des plaisirs. Oh ! il n’aimait pas l’argent à la manière de l’avare qui entasse, entasse toujours. D’ailleurs, pour entasser, remplir des coffres d’or, il faut pouvoir ; le baron n’en était encore qu’à la convoitise. Ruiné, il voulait une nouvelle fortune. Il était pris de la rage de posséder, de redevenir riche. Comment ? Peu lui importaient les moyens, pourvu qu’il arrivât au but.

Il avait encore un assez grand train de maison. Ce n’était que plus tard qu’il devait vendre ses chevaux, ses voitures, et ne plus avoir que trois domestiques.

Bien qu’il ne se livrât plus à de folles dépenses, il n’avait pas à se préoccuper beaucoup de ce qu’il pouvait ou non dépenser. Il n’était plus à court, aux abois comme jadis. Les pouvoirs de de Mégrigny, qu’il avait en mains et qui lui permettaient de tripoter à son aise avec les millions, lui procuraient différentes ressources. L’argent ne lui manquait pas, il aurait pu en avoir plus encore.

Et, cependant, c’était toujours, disait-il, avec le plus grand désintéressement qu’il s’occupait des affaires de son ami.

Par exemple, il y mettait du zèle et une activité merveilleuse.

L’hôtel avait été acheté, un hôtel magnifique dans l’ancien parc de Neuilly, avec vastes communs, grand jardin et superbes ombrages ; et, déjà tout était convenu avec un tapissier pour la décoration et l’ameublement de la princière demeure.

Quand le baron eut fait visiter l’immeuble à Ludovic, et l’eut entretenu de ce qui avait été décidé avec le tapissier, de Mégrigny, enchanté, lui dit :

– Ah ! mon ami, mon cher Raoul, il n’y a que toi pour savoir si bien faire ! Que de peines tu te donnes pour moi ! Pourrai-je jamais te récompenser assez de tes services ?

Le baron se récriait.

Est-ce qu’il demandait quelque chose pour sa peine ?

N’était-il pas suffisamment récompensé par le plaisir qu’il éprouvait d’être agréable à son ami, son futur beau-frère ?

Tenant à faire croire à son beau désintéressement, il se gardait bien de dire à de Mégrigny que s’il ne voulait rien recevoir de lui, il savait se faire payer autrement et grassement les services qu’il lui rendait.

Il ne concluait pas un marché au nom de son mandant sans que le pot-de-vin jouât son rôle ; et ils étaient gros les pots-de-vin qu’il exigeait.

Il ne disait pas non plus à Ludovic que, ayant maintenant les cartes en horreur, bien qu’il eût toujours la passion du jeu, il se proposait d’agioter à la bourse avec ses valeurs mobilières, qui ne pouvaient pas rester ainsi immobilisées à la Banque de France. Enfin, il ne disait pas qu’il avait déjà retiré de la banque deux millions, lesquels étaient chez plusieurs agents de change pour être employés en reports, ce qui donnerait à chaque liquidation de quinzaine de jolis bénéfices qu’il empocherait pour son compte, et, bien entendu, sans en souffler mot.

C’était ainsi que le baron comprenait les affaires ; voilà comment il entendait se procurer des ressources.

– Après tout, se disait-il, je ne cause aucun dommage à Ludovic, puisqu’il touchera quand même et intégralement le revenu de son capital.

Les opérations de reports chez les agents de change marchaient bien. Le baron faisait travailler l’argent de son ami, n’avait-il pas raison ?

– Parbleu, oui, j’ai raison, se disait de Simiane après chaque liquidation, en sortant des agences les poches pleines.

C’était le produit des reports qui entretenait sa maison et lui permettait de faire encore bonne figure.

Et comme il était devenu économe ou, plutôt, comme il fuyait les plaisirs coûteux et ne s’approchait plus des tapis verts, l’argent, avons-nous dit, ne lui manquait pas.

Il se remettait à payer ses anciennes dettes, les plus gênantes, surtout, dont il tenait à se débarrasser.

Dès qu’un créancier criait un peu fort, montrait les dents, il le bâillonnait avec des billets de mille.

Blanche était sortie du couvent, et depuis six semaines qu’elle était avec son frère dans la vieille et vaste demeure des Simiane, elle était encore tout étourdie de sa nouvelle existence qui, cependant, n’avait rien de bien gai.

Elle ne voyait guère le baron qu’aux heures des repas ; il était toujours si occupé ! À l’exception de M. de Mégrigny qui venait chaque jour, régulièrement, passer une heure auprès de Blanche, le silence du vieil hôtel n’était point troublé par les visiteurs.

Ce n’était plus la monotonie du pensionnat, mais c’en était une autre.

Si, au couvent, Blanche s’était sentie trop à l’étroit, elle aurait pu trouver, maintenant, qu’elle avait trop d’espace dans ce vieil hôtel où elle était si souvent seule et pour ainsi dire complètement livrée à elle-même.

Mais, à dix-sept ans, une jeune fille se laisse prendre difficilement par l’ennui ; Blanche savait se créer des distractions : elle lisait, dessinait, jouait du piano. Et puis ses pensées peuplaient sa solitude ; c’était avec elles qu’elle s’entretenait. Ses pensées, n’était-ce pas tout un monde ?

Dans un des journaux que recevait le baron, elle avait lu un jour un article signé Henri de Bierle ; depuis elle lisait assidûment le journal où tous les trois ou quatre jours elle retrouvait le nom de celui qu’elle aimait. Elle avait acheté le volume de poésies de son cher poète, Les Frileuses. En une journée elle l’avait dévoré ; mais elle le relisait sans cesse, elle le savait par cœur ; sur plus d’une page elle avait laissé tomber des larmes.

Oh ! non, elle ne s’ennuyait pas.

Et cependant, souvent attristée, elle se disait :

– S’il est à Paris, il doit savoir que j’ai quitté le pensionnat, que je suis ici ; pourquoi ne vient-il pas ?

Qu’il vînt chez M. de Simiane, elle aurait trouvé cela tout simple, tout naturel, dans son ignorance des choses de la vie, des usages du monde.

Il est vrai qu’un jour qu’elle avait à la main Les Frileuses, son frère lui avait dit :

– Je connais M. Henri de Bierle.

Mais ses tristesses n’étaient que passagères. Patiemment elle attendait, bien sûr qu’il pensait à elle comme elle pensait à lui et qu’elle le reverrait.

Le baron n’avait pas condamné sa sœur à vivre comme une recluse ; elle avait une voiture à ses ordres et pouvait sortir aussi souvent qu’elle le désirait.

On la voyait sur les boulevards, aux Champs-Élysées, dans les avenues du bois de Boulogne.

Elle ne remarquait point que sa grande jeunesse et sa beauté attiraient l’attention et qu’elle était beaucoup regardée. Elle pensait à Henri, et parmi les nombreux promeneurs qui passaient sous ses yeux, c’était Henri que son regard cherchait, croyant toujours qu’elle allait l’apercevoir.

Le dimanche, presque toujours, elle sortait accompagnée de son frère et de M. de Mégrigny, qui lui faisait assidûment sa cour, mais en se tenant extrêmement réservé, pour se conformer aux recommandations sans cesse renouvelées du baron, qui disait toujours :

– Tout va bien, mais prenons garde de l’effaroucher, ne brusquons pas les choses.

Blanche traitait Ludovic en ami, d’abord parce qu’il était l’ami de son frère, ensuite parce qu’il avait pour elle toutes sortes de prévenances, mille attentions délicates et charmantes, puis encore et surtout parce qu’elle sentait en lui la bonté et que chaque jour elle lui trouvait de nouvelles qualités.

Elle mettait sur le compte d’une bonne et sincère amitié, d’une affection quasi paternelle, les petits soins dont Ludovic l’entourait, son empressement auprès d’elle, sa sollicitude pleine de tendresse.

Elle le voyait si laid et le croyait si vieux qu’elle était à cent lieues de soupçonner ses véritables intentions.

De Mégrigny, la voyant si aimable avec lui, si sensible à ses attentions, était convaincu, ce qui était vrai, qu’il ne lui déplaisait point, et il caressait l’espoir qu’il n’avait plus beaucoup à faire pour être aimé.

– Permets-moi de sortir enfin de cette réserve que tu m’imposes, disait-il à de Simiane ; c’est un véritable supplice que tu me fais subir… Oh ! être forcé de les retenir toujours, ces brûlantes paroles d’amour qui montent de mon cœur à mes lèvres ! Raoul, laisse-moi lui faire connaître toutes mes pensées, permets-moi de lui dire que je ne vis plus que pour elle, que je l’adore !

– Non, pas encore, répondait de Simiane, plus tard, ne soyons pas si pressé.

Mais de Mégrigny avait hâte de voir se réaliser ses projets. Oh ! ce n’était pas pour donner satisfaction à des appétits sensuels qu’il désirait si vivement posséder Blanche ; il n’avait pas, et pour cause, de désirs charnels. Il aimait la jeune fille platoniquement, de cœur et d’esprit ; les sens ne sont pour rien dans l’amour platonique. Mais il s’était persuadé que, en raison de l’influence que Blanche exerçait sur lui, il recouvrerait la santé dès qu’elle serait sa femme. Il l’avait déjà dit, il voulait sa résurrection.

Opiniâtrement, avec cette ténacité du vieillard et qui est particulière à certains malades, il revenait à la charge.

Toujours même réponse du baron :

– Non, pas encore.

C’est que de Simiane ne se berçait pas des mêmes illusions que Ludovic ; il savait que Blanche ne consentirait pas facilement à épouser de Mégrigny ; que, probablement, il lui faudrait recourir à la violence. Or, pour des raisons à lui, il ne voulait pas, avant quelques mois, entrer en lutte avec sa sœur.

Et comme de Mégrigny insistait, lui demandant de fixer au moins une époque, il lui dit :

– Nous allons bientôt quitter Paris tous les trois, nous irons passer la saison d’été au bord de la mer. Pendant ce temps, une armée d’ouvriers travaillera dans ton hôtel et, à notre retour, il sera prêt à te recevoir. Tout de suite après ton installation nous parlerons sérieusement du mariage.

– C’est encore trois ou quatre mois à attendre.

– Oui.

– Soit, j’attendrai.

Lorsque Blanche n’allait pas se promener avec son frère et de Mégrigny, elle ne sortait jamais sans être accompagnée de sa femme de chambre, qui se nommait Antoinette. C’était une grande et belle fille de vingt-quatre ans, haute en couleur, à l’œil vit, hardi, effronté même ; elle avait le sourire faux, le regard sournois et plein d’astuce. Mais elle savait si bien se servir de l’hypocrisie, pour mettre un masque sur son visage, cacher ses défauts, ses vices, pour se donner un air modeste, réservé, naïf et plein de candeur, qu’on lui aurait, comme on dit, donné le bon Dieu sans confession.

Enfin, Antoinette était ce qu’on appelle une fine mouche.

C’était le baron qui, après lui avoir donné ses instructions, l’avait placée auprès de Blanche. Elle jouait près de la jeune fille, mais plus en apparence qu’en réalité, le rôle d’une duègne sévère. Sévère, pourquoi l’aurait-elle été avec cette bonne petite, toute de cœur, qui lui parlait avec tant de douceur, et la traitait plutôt en amie qu’en domestique ?

Si, souvent, lui faisant son éloge, elle entretenait Blanche de M. de Mégrigny, ainsi qu’on le lui avait recommandé, c’est que la jeune fille se plaisait à reconnaître elle-même toutes les belles qualités de l’ami de son frère.

Toutefois, elle ne répondait pas complètement à ce que de Simiane attendait d’elle. Elle ne cherchait pas à insinuer à sa jeune maîtresse que M. de Mégrigny rendrait sa femme très heureuse et qu’il était le mari qui lui convenait. Non, cela, elle ne le pouvait pas.

Au contraire, connaissant les intentions du baron et de M. de Mégrigny, elle se sentait prise pour la jeune fille d’une profonde pitié.

Quoi ! on voulait jeter cette fleur de jeunesse et de beauté dans les bras de ce déterré ! C’était monstrueux !

Antoinette ne pouvait pas empêcher cela ; mais elle se disait que si le baron forçait sa sœur à épouser M. de Mégrigny, celui-ci n’aurait rien à dire s’il lui arrivait certains malheurs conjugaux dont ne sont pas toujours exemptes des unions mieux assorties. Il aurait mérité son sort.

Comme on le voit, Antoinette, fille sans principe et dépourvue de sens moral, était, d’ores et déjà, disposée à fermer les yeux sur une intrigue amoureuse et même à lui prêter la main, si on le lui demandait.

Ce qui avait beaucoup contribué à établir une sorte d’intimité entre Mlle de Simiane et sa femme de chambre, c’est que celle-ci n’était pas une inconnue pour la jeune fille. En effet, à l’âge de dix-sept ans, recommandée par une amie de Mme de Simiane, Antoinette était entrée au service de la baronne, qui s’était intéressée à elle, l’avait dressée, ce qui n’avait pas été très facile, et mise à même de remplir assez convenablement les fonctions de femme de chambre.

Antoinette avait toujours été très gentille pour Blanche lorsque la jeune fille, en congé, venait passer un jour ou deux chez sa mère, et Blanche, très sensible à un témoignage d’affection, avait répondu par un sentiment d’amitié aux gracieusetés de la jeune femme de chambre.

Mais Antoinette était à peine restée deux ans au service de Mme de Simiane.

Le baron, alors en pleine vie de débauche, se livrait sans retenue à toutes ses passions. Pour lui, aucune femme n’était à dédaigner, du moment qu’elle était jeune et jolie. Il remarqua Antoinette, qui était dans toute sa fraîcheur, la trouva de son goût, fort appétissante et voulut la posséder.

Dès les premières lutineries, la jeune femme de chambre se trouva extrêmement flattée d’avoir su plaire au fils de sa maîtresse. Pendant quelque temps, pour la forme, elle lui tint la dragée haute ; mais elle avait le vif désir de connaître ce qu’elle ignorait encore, et sans que Raoul ait eu besoin d’employer de grands moyens de séduction, elle se donna, tout en ayant l’air d’essayer une dernière résistance.

Elle devint enceinte et, bientôt, il ne lui fut plus possible de cacher son état à sa maîtresse.

Sévèrement interrogée, elle répondit, non sans effronterie, qu’elle n’avait pas su résister aux sollicitations amoureuses de M. Raoul et qu’elle s’était donnée à lui.

Cette révélation causa à la baronne une nouvelle et profonde douleur. Mais, à tout prix, il fallait éviter un scandale. Désolée et indignée, Mme de Simiane fit à son fils des reproches sanglants, puis chassa Antoinette après lui avoir donné une somme de dix mille francs pour élever son enfant.

Le baron ne s’inquiéta pas beaucoup de ce qu’allait devenir la jeune fille ; il l’avait désirée, non aimée, et depuis qu’elle s’était donnée à lui, il avait eu déjà bien d’autres caprices.

Antoinette retourna dans son pays, en Franche-Comté, où, quatre mois plus tard, elle mit au monde un petit garçon.

Alors, elle écrivit au baron pour lui annoncer la naissance de son enfant. En même temps, elle se plaignait amèrement. Pourquoi ne pensait-il plus à elle ? Elle l’avait aimé, elle l’aimait toujours. Il n’avait pas le droit d’être aussi indifférent à son égard.

Sans être en grand émoi d’être père, ni beaucoup touché des reproches qu’elle lui adressait, de Simiane répondit à Antoinette, la félicitant de son heureuse délivrance. À sa lettre était joint un billet de mille francs.

Depuis, la jeune fille, qui était restée dans son village, avait écrit de temps à autre au baron, qui lui répondait quand il en avait le temps. Mais quand Blanche fut à la veille de sortir du couvent, de Simiane pensa à Antoinette pour en faire la femme de chambre de sa sœur. Pouvait-il mieux choisir ? Il connaissait Antoinette et la savait peu scrupuleuse. Et, puisqu’elle n’avait pas oublié le passé, elle lui serait absolument dévouée et n’hésiterait pas, s’il le fallait, à devenir sa complice. Donc, aucune autre ne pouvait mieux qu’elle l’aider à arriver au but qu’il poursuivait.

Il savait tout ce qu’il pourrait obtenir d’Antoinette s’il lui promettait de l’épouser, sauf à ne pas tenir sa promesse lorsqu’il n’aurait plus besoin d’elle.

En effet, s’appuyant sur sa maternité, devenir baronne était le rêve d’Antoinette. Sans scrupule comme elle l’était, elle pouvait, à un moment donné, se faire l’âme damnée du baron, être dans ses mains un instrument docile et terrible.

De Simiane avait cette conviction.

Et il ne se trompait pas : on prend la femme par la vanité et l’orgueil ; pour satisfaire son ambition, Antoinette, sans être absolument méchante, mais nature perverse, fille aux instincts bas et cupides, Antoinette était capable de tout.

Sûr qu’il pouvait compter sur elle, le baron lui adressa une lettre dont nous donnons le résumé en ces quelques mots :

« J’ai besoin de toi, viens à Paris de suite, je t’attends. »

Elle reçut la lettre le vendredi matin. Le samedi, dans l’après-midi, la tête haute, gonflée d’une joie orgueilleuse, elle rentrait à l’hôtel de Simiane.

Le baron la reçut immédiatement.

– Ah ! te voilà, lui dit-il, c’est bien, tu ne t’es pas fait attendre.

– Est-ce que je ne vous appartiens pas ? Comme autrefois votre volonté est la mienne et vos désirs sont les miens.

– Ma chère, tu es toujours charmante.

– Vous le dites, mais peut-être ne le pensez-vous pas, soupira-t-elle. Elle se mit à pleurer : ce n’étaient pas de fausses larmes, car elle était très émue ; cela lui faisait quelque chose de le revoir.

Ne pouvant plus se retenir, elle se jeta à son cou.

Raoul se prêta d’assez bonne grâce à cette tendre effusion.

Ensuite l’ayant fait asseoir et voyant qu’elle était disposée à l’écouter, il lui dit pourquoi il l’avait appelée à Paris. Il lui fit connaître quelques-uns de ses projets et lui expliqua comment elle pouvait être pour lui un auxiliaire précieux. C’était elle qu’il avait choisie pour être, non pas la servante de sa sœur, mais sa confidente et son conseil. Si elle répondait, comme il l’espérait, à ce qu’il attendait d’elle, elle n’aurait qu’à se féliciter plus tard d’avoir été son alliée.

– J’ai compris, répondit-elle, vous pouvez compter sur moi.

Quelques jours après, Blanche sortit du couvent.

– Reconnais-tu mademoiselle ? lui demanda le baron, en lui présentant son ancienne maîtresse.

– Oui, mon frère, c’est Antoinette.

– Eh bien, à partir de ce moment, Antoinette entre à ton service comme femme de chambre.

Blanche ne dissimula point sa satisfaction.

– Alors, reprit le baron, tu es contente d’avoir Antoinette pour femme de chambre ?

– Oui, mon frère, très contente. Autrefois, quand je n’étais encore qu’une enfant, Antoinette a été bonne pour moi ; aussi, je vous le dis devant elle, mon frère, il me sera agréable d’avoir Antoinette auprès de moi, et elle sera plutôt mon amie que ma femme de chambre.

– Alors, je vois que vous vous entendrez fort bien ensemble ; tout est donc pour le mieux.

Antoinette avait su gré à la jeune fille de ses bonnes paroles et de l’accueil gracieux qu’elle lui avait fait.

– C’est bon, s’était-elle dit, elle n’aura pas à faire à une ingrate et, à l’occasion, je saurai le lui prouver.

Nous savons comment Antoinette remplissait auprès de Blanche la mission de confiance dont le baron l’avait investie. Une douce parole, un sourire de la jeune fille lui faisaient oublier le rôle qu’elle devait jouer.

Cela ne l’empêchait pas de dire à de Simiane :

– Votre sœur est une mignonne enfant, douce comme un mouton et sans grande volonté ; le moment venu, elle fera tout ce que vous voudrez.

En réalité elle aurait voulu pour Blanche tout autre chose que ce que le baron avait en tête. Malgré ses mauvais instincts, son manque de conscience et de scrupule, malgré sa vénalité et sa perversité, en dépit d’elle-même, elle éprouvait de la répugnance à être complice de ce qu’elle appelait une chose monstrueuse. Et si elle ne pouvait pas aller jusqu’à défendre la jeune fille contre son frère, elle la plaignait du fond du cœur.

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