XVII DOULEURS D’AMOUR

Quelques jours après le passage d’Édouard Lebel à Pithiviers, André reçut un pli du ministère de l’intérieur.

Le directeur du personnel l’avisait qu’il était nommé sous-préfet à Avranches.

Il devrait se rendre à son nouveau poste dans les huit jours, tout de suite après avoir installé son successeur à la sous-préfecture de Pithiviers.

Malgré lui, André avait pâli.

– Le ministre n’a pas perdu de temps, murmura-t-il. Enfin, ce déplacement, c’est moi qui l’ai demandé. Allons, il faut avoir du caractère, être fort. Tout ce que j’ai dit à Édouard pour relever son courage, je dois me le redire à moi-même. Je sens que mon cœur se brise, qu’importe ? Je l’ai dit à mon ami : les chemins de la vie ne sont pas tous jonchés de roses. Eh bien, je passerai à travers les épines, je saurai souffrir, puisqu’il le faut. Oh ! Henriette, Henriette ! Mes yeux se mouillent de larmes… Non, non, je ne veux pas pleurer ! Là-bas, je penserai moins à elle, je serai plus tranquille. Oh ! cet amour ! parviendrai-je à l’arracher de mon cœur ? Je demanderai au travail de me faire oublier ; je m’y enfoncerai, dans le travail, je m’y engloutirai !…

Après être resté quelques instants silencieux, pensif, il reprit :

– Je l’ai voulu, c’est bien ; j’ai, maintenant, à remercier le ministre. Immédiatement, il écrivit deux lettres de remerciement, l’une au ministre, l’autre au directeur du personnel.

C’était le samedi, le soir, le jeune homme se montra très calme, presque enjoué ; de sorte, que Mme Clavière, qui l’observait beaucoup, surtout depuis sa dernière visite à Bresle, ne remarqua en lui rien d’anormal et ne soupçonna point ses nouvelles préoccupations.

C’est qu’André était véritablement un stoïque ; quand il le voulait, il était comme coulé en bronze.

Il ne pouvait pas cacher longtemps à sa mère qu’il avait demandé et obtenu son changement ; mais il avait décidé qu’il lui apprendrait sa nomination à Avranches, seulement après l’avoir annoncée à M. Beaugrand.

Le dimanche matin, en embrassant sa mère, avant de sortir, il lui dit :

– Je vais à Bresle.

Mme Clavière enveloppa son fils d’un long regard, sourit et répondit :

– J’en suis heureuse, André ; car il me semble que depuis quelque temps tu as beaucoup négligé nos amis.

– J’ai eu tant à faire ! balbutia-t-il.

– Tu leur diras à tous trois mille choses affectueuses de ma part.

– Oui, chère mère.

Il partit, et, comme toujours, il arriva au château à onze heures. Il fut reçu par Mme Beaugrand, qui lui dit joyeusement :

– Enfin, vous voilà donc, mon cher André ! Je ne vous le cache pas, nous étions inquiets ; si vous n’étiez pas venu aujourd’hui, M. Beaugrand se proposait d’aller demain à Pithiviers pour vous faire des reproches. C’est que votre mauvaise humeur a duré trop longtemps, vilain boudeur !

André s’excusa de son mieux, en disant qu’il avait eu, dans ces derniers temps, un surcroît de travail.

– J’espère, reprit Mme Beaugrand, que vous allez passer la journée avec nous.

Voyant l’hésitation, l’embarras d’André, elle s’empressa d’ajouter :

– Nous ne sommes que nous aujourd’hui.

La physionomie du jeune homme parut s’éclairer.

– Madame, dit-il, j’aurai l’honneur de déjeuner avec vous.

– À la bonne heure. D’ailleurs vous savez bien que si vous ne restiez pas, M. Beaugrand ne serait pas content.

– Il va bien, ainsi que Mlle Henriette ?

– Mon mari se porte très bien ; ma fille a été souffrante…

– Oh !

– Pendant quelques jours j’ai été assez inquiète ; mais cela n’avait rien de grave, heureusement. Cependant vous la trouverez un peu changée : elle est pâlotte et a maigri. M. Beaugrand et elle font un tour de promenade au jardin ; vous pouvez aller les rejoindre, mon ami, et tout à l’heure, quand j’aurai donné quelques ordres, j’irai vous retrouver.

Le jeune homme s’était levé.

– Madame, fit-il, j’ai oublié de vous dire que ma mère m’a chargé de vous présenter ses meilleures amitiés.

– Et moi de vous demander des nouvelles de sa santé.

– Elle va très bien, madame.

– Mais toujours trop casanière ; je ne la vois plus.

– Cette semaine, certainement, elle vous fera une visite.

– Ah ! j’en serai bien heureuse !

André descendît au jardin, et aperçut aussitôt M. Beaugrand et Henriette à l’extrémité d’une allée.

– Mon père, s’écria la jeune fille, voici M. André, il vient à nous ! Le rose avait subitement chassé la pâleur des joues d’Henriette.

Ah ! ah ! fit le député, M. le sous-préfet s’est rappelé ce matin que nous existons encore.

Et, suivi de la jeune fille, il marcha rapidement à la rencontre du jeune homme.

– Bonjour André, bonjour mon ami, dit-il en lui tendant la main ; et votre chère mère, comment va-t-elle ?

– Aussi bien que possible, monsieur ; elle m’a chargé de tous ses compliments pour vous et Mlle Henriette.

La jeune fille s’était approchée et, très émue, tendait sa main tremblante et froide.

André la prit, éprouva comme une commotion, puis baissa les yeux sous le regard interrogateur d’Henriette.

Ils étaient tous deux fort troublés.

Heureusement M. Beaugrand vint à leur secours en prenant le bras du sous-préfet, à qui il se mit à parler de différentes choses concernant l’arrondissement.

Au bout de quelques instants, Mme Beaugrand vint les rejoindre et prit part à la conversation. Henriette, silencieuse, écoutait ou plutôt avait l’air d’écouter ; car elle n’était pas du tout à ce qu’on disait. On voyait qu’elle était agitée, nerveuse. Et, cependant, cette visite d’André lui causait une douce joie. Un coup de cloche ayant annoncé que le déjeuner était servi, on rentra au château.

M. Beaugrand, qui s’était déjà aperçu que le jeune homme était gêné, contraint, dans un singulier état d’agitation, le remarqua mieux encore pendant le repas.

– Il a quelque chose, pensait-il.

Tour à tour il regardait Henriette et André ; il se sentait lui-même embarrassé et avait de petits hochements de tête qui révélaient ses pensées à Mme Beaugrand.

– Décidément, mon cher André, dit-il, comme on achevait de prendre le café, vous n’êtes pas dans votre état naturel ; qu’avez-vous donc ?

Le jeune homme devint très rouge.

Henriette avait dressé la tête, et l’anxiété se peignait sur son visage. André répondit, avec un tremblement dans la voix :

– Je suis venu à Bresle aujourd’hui pour vous annoncer mon changement et vous faire mes adieux ; le ministre vient de me nommer sous-préfet à Avranches.

Henriette porta vivement la main à son cœur, qui battait à se rompre. Elle était maintenant d’une pâleur d’ambre, et la clarté de son regard s’était éteinte.

M. et Mme Beaugrand paraissaient consternés.

– Quoi ! s’écria le député, le ministre a fait cela ! Mais, pas plus tard que demain, je le verrai, et il faudra bien qu’il revienne sur cette étrange mesure qu’il a prise.

– C’est moi qui ai demandé mon changement, balbutia André.

– Est-ce possible ? exclama M. Beaugrand ; vous ne vous plaisiez donc plus à Pithiviers ?

Le sous-préfet baissa la tête.

– Ainsi, reprit le député, vous avez demandé votre déplacement ; votre mère était-elle consentante ?

– Je n’ai pas consulté ma mère.

– Pas plus que moi, ce que vous auriez dû faire, il me semble, répliqua M. Beaugrand avec une sorte de sévérité. Mais dites-moi donc comment Mme Clavière a pris la chose.

– Ma mère ne sait rien encore. C’est hier que le directeur du personnel m’a avisé de ma nomination, et c’est à vous, tout d’abord, que j’ai voulu l’apprendre.

– Ah ! vraiment ! Eh bien, je vous le dis franchement, vous ne me faites pas plaisir. Enfin, c’est fait. Soit, continua le député d’un ton vif, allez à Avranches, c’est une jolie ville normande, tout près de la baie de Saint-Malo et du Mont-Saint-Michel.

À ce moment, Henriette porta les deux mains à sa gorge, comme pour se débarrasser de quelque chose qui l’étranglait ; puis, brusquement, elle se leva de table et, chancelante, sortit de la salle à manger.

André avait fait un mouvement comme pour s’élancer vers la jeune fille.

À son tour, Mme Beaugrand, effrayée, se leva ; puis, ayant consulté son mari du regard, elle marcha précipitamment vers la porte et disparut.

Pendant un instant, également inquiets, les deux hommes restèrent en face l’un de l’autre, se regardant.

André était maintenant pâle comme un mort.

– Fou, fou ! exclama M. Beaugrand ; malheureux que vous êtes ! vous aimez cette enfant, vous l’aimez et vous la tuez !

André laissa échapper une plainte sourde :

– Pardon, oh ! pardon ! prononça-t-il d’une voix brisée.

M. Beaugrand allait répondre, lorsque des cris déchirants se firent entendre. C’était la mère d’Henriette qui appelait au secours.

André voulut s’élancer en même temps que M. Beaugrand ; mais un regard du député le cloua au parquet.

Il resta seul, hébété, secoué par un tremblement convulsif.

Tout le personnel du château était alarmé ; de tous les côtés, des portes s’ouvraient, des bruits de pas retentissaient dans les escaliers ; on entendait des cris et des gémissements de femmes.

Pendant vingt minutes, André resta là, debout, serrant sa tête dans ses mains, comme ayant perdu la raison.

M. Beaugrand reparut, s’efforçant de paraître calme, mais très pâle.

André bondit vers lui, et avec effarement, les mains jointes :

– Monsieur, que se passe-t-il ? De grâce, ne me le cachez point !

– Mme Beaugrand a trouvé sa fille étendue sans connaissance sur le tapis de sa chambre.

Le jeune homme laissa échapper un cri rauque et tomba sur ses genoux.

– Rassurez-vous et relevez-vous, dit gravement M. Beaugrand ; grâce aux soins qu’on lui a immédiatement donnés, Henriette est revenue à elle ; mais comme elle a une assez forte fièvre, on l’a mise au lit.

Je n’ai aucun reproche à vous faire, André, et je n’ai rien à vous dire. Allez apprendre à votre mère que vous êtes nommé sous-préfet à Avranches et, en même temps, ne craignez pas de l’instruire de ce qui se passe ici. Quand elle vous aura répondu, vous verrez ce que vous devrez faire.

Le malheureux jeune homme avait peine à étouffer ses sanglots.

Craintivement, courbant la tête, il tendit la main à M. Beaugrand. Celui-ci la saisit, et attirant André à lui, il lui mit un baiser sur le front, en murmurant :

– Va, je t’ai deviné et je ne puis t’en vouloir ; ah ! c’est surtout pour les grands et nobles cœurs qu’il y a des souffrances !

Un sanglot trop longtemps contenu déchira la gorge d’André et il s’enfuit comme un fou.

Mme Beaugrand s’était installée au chevet de sa fille qui, pendant quelques instants, avait sommeillé.

– Comment te trouves-tu maintenant, ma chérie ? lui demanda-t-elle.

– Mieux, beaucoup mieux, répondit Henriette, essayant de sourire.

Mais, aussitôt, elle éclata en sanglots.

– Mon Henriette, ma fille adorée, calme-toi ! s’écria la mère, en collant ses lèvres sur le front de son enfant.

– Ah ! tu ne sais pas comme je souffre !

– Et c’est André…

– Je l’aime, maman, je l’aime !

– Tu ne me l’apprends pas ; il y a longtemps que j’ai lu dans ton cœur.

– Je l’aime et il nous quitte, il s’éloigne de nous, il ne veut plus me voir ! Peut-être me hait-il à présent.

Ses sanglots redoublèrent.

– Henriette, mon enfant ! s’écria la mère, chasse loin de toi cette idée.

La jeune fille se frappa violemment la poitrine.

– Ah ! s’écria-t-elle avec une sorte de fureur, comme je suis cruellement punie d’avoir joué la coquetterie avec ce vicomte de Morlane que je déteste, que j’ai en horreur !

– Ce jour-là tu as été, en effet, bien singulière, bien folle en présence d’André ; je ne pouvais m’expliquer ta conduite.

– J’étais surexcitée, je m’étais monté la tête.

– Mais pourquoi ?

– Je pensais rendre André jaloux et le forcer à parler, à demander ma main. Au lieu de cela, je n’ai réussi qu’à le faire souffrir, car il a souffert, beaucoup, je l’ai bien vu. Trop prompt à me juger, il n’a plus vu en moi qu’une petite fille légère, inconséquente, sotte et ridicule ; et, maintenant, il ne m’aime plus. Et il m’aimait, maman, il m’aimait, j’en suis sûre !

– Il t’aime toujours.

– Non, non, fit Henriette en secouant douloureusement la tête, s’il m’aimait encore, il n’aurait pas demandé à quitter Pithiviers. Il veut me fuir, ne plus penser à moi… Ah ! il me méprise !

– Au nom du ciel, mon enfant, ne crois pas cela !

– Et que veux-tu donc que je croie ?

– Qu’André t’aime et ne cessera jamais de t’aimer.

– Pourtant, il s’en va loin, bien loin.

– Il reviendra.

– Ah ! il reviendra, quand ? Maman, je ne veux plus voir ces messieurs de Morlane ; s’ils viennent encore ici, je m’enfermerai dans ma chambre et y resterai toute la journée.

– On leur fera comprendre que leurs visites sont inutiles.

– Es-tu sûre, dis, oh ! mais là, bien sûre qu’André m’aime toujours ?

– Oui, oui. Et ton père aussi en est sûr.

Après un silence, la jeune fille reprit :

– Moi, il y a longtemps que j’aime André ; d’abord, je l’ai toujours aimé… Tu te souviens, quand il venait nous voir, que je l’appelais mon grand mari. Et comme j’étais joyeuse ces jours-là ! Comme je me pendais à son cou pour l’embrasser ! Je n’étais alors que sa petite amie ; mais j’ai grandi, et quand j’ai bien senti que j’aimais André autrement que d’amitié, je me suis aperçue que lui aussi m’aimait d’amour ; ça date de plus d’un an, il ne pensait pas encore à être sous-préfet.

Depuis, et presque subitement, ses manières avec moi ont changé ; il ne me parlait presque plus, et c’est à peine s’il me regardait. Cependant je savais le surprendre, ayant son bon et doux regard attaché sur moi. Oh ! comme je devinais bien toutes les choses que disaient ses yeux ! Mais il s’obstinait à garder le silence. J’étais contrariée, inquiète, souvent même, je me disais : « Je me trompe, il ne m’aime pas, » et je souffrais. J’aurais tant voulu qu’il me dise : Je vous aime ! Mais rien, rien !

« – Pourquoi donc est-il ainsi ? » me demandais-je. Je ne comprenais pas.

Ce n’était pas chez lui timidité, mais une grande réserve.

Quand mon amie Claire est venue passer quelques jours à Bresle, nous avons causé.

« – M. André Clavière t’aime, m’a-t-elle dit, il t’aime de toute son âme, comme tu mérites d’être aimée, tu ne dois pas en douter ; s’il se montre vis-à-vis de toi si réservé, s’il ne te demande pas en mariage, il y a une raison, et cette raison est celle-ci : M. André Clavière est presque pauvre et toi tu es riche, puisque ta dot est d’un million. Sois-en convaincue, c’est ta dot qui se dresse en face de M. Clavière et l’arrête ; c’est à un sentiment des plus délicats qu’il obéit. »

Voilà ce que m’a dit Claire, maman ; crois-tu qu’elle se soit trompée ?

– Non, Mlle Dubessy a deviné les scrupules d’André.

– Ainsi, s’écria Henriette, c’est parce que je suis riche, que je suis malheureuse ! Ah ! maintenant, j’ai horreur de la fortune, je ne veux plus de dot, je n’en veux plus, je veux être pauvre !

Et elle se remit à sangloter.

– Calme-toi, ma chérie, je t’en supplie, calme-toi ! disait la mère, ne te rends pas malade ; tout s’arrangera, tu verras.

Cette nouvelle crise passée, la jeune fille plongea son regard dans les yeux de sa mère et lui dit :

– Toi et mon père vous saviez qu’André m’aimait ?

– Oui, nous le savions.

– Aviez-vous compris la cause de son silence ?

– Oui.

– Mais, alors, pourquoi donc ne lui avez-vous pas dit que son manque de fortune ne pouvait être un obstacle entre lui et moi ? Ah ! ma mère, ma mère !

– Henriette, écoute : en cette circonstance, M. Beaugrand et moi, nous avons obéi à ce même sentiment délicat, qui commandait à André cette réserve dont ton amie Claire t’a fait connaître la cause.

– Ah !… Je ne comprends pas.

– Tu vas comprendre : Pour des raisons à elle et qu’il n’appartient à personne d’apprécier en bien ou en mal, Mme Clavière a fait élever son fils, enfant, au milieu de pauvres petits êtres orphelins ou abandonnés, dans cette maison de Boulogne-sur-Seine, dont on a plus d’une fois parlé devant toi.

Or, ce qu’André ignore encore, c’est que la Maison maternelle, où il a été élevé, a été fondée par sa mère et est toujours entretenue par elle.

C’est une des grandes œuvres de charité de Marie Clavière, la Dame en noir.

Eh bien, l’entretien de la Maison maternelle coûte annuellement environ cinquante mille francs à Mme Clavière.

Elle est donc riche, immensément riche. M. Beaugrand estime que sa fortune dépasse actuellement vingt millions.

– Est-ce possible ? exclama la jeune fille. Et André n’est qu’un sous-préfet !

– Il est ce qu’il a voulu être. Du reste, sa mère tenait à ce qu’il ne fût ni un oisif, ni un inutile, et il y a là, évidemment, une des raisons pour lesquelles elle ne lui a jamais parlé de son immense fortune.

A-t-elle eu tort ? Oui, si je ne consulte que mon cœur et les larmes que tu viens de verser.

Mais Mme Clavière a ses intentions, ses idées, et si je ne l’approuve pas entièrement, je ne me reconnais pas, non plus, le droit de la blâmer.

Enfin, ne sachant rien ou à peu près des affaires de sa mère, André se croit pauvre ; mais M. Beaugrand et moi nous savons qu’il est riche, beaucoup plus riche que toi, et ce n’est pas nous qui pouvions faire à lui et à sa mère des avances que certaines gens auraient pu mal interpréter.

M. Beaugrand a trop de fierté dans l’âme pour faire quoi que ce soit qui puisse avoir l’apparence seulement d’un calcul d’intérêt. Maintenant, ma chérie, comprends-tu ?

Henriette répondit par un mouvement de tête, puis soupira et resta songeuse.

De grosses larmes roulaient encore dans ses yeux.

– Est-ce qu’il est toujours avec mon père ? demanda-t-elle après un long silence.

– Non, il est retourné à Pithiviers.

Un nouveau soupir s’échappa de la poitrine de la jeune fille, et tout bas elle murmura :

– Je ne le verrai plus !

– Hein, que dis-tu ? fit Mme Beaugrand, qui n’avait pas compris.

– Rien, maman, rien.

Blanche avait les yeux fixés sur le visage de sa fille, et dans l’altération des traits, le mouvement des muscles, elle voyait les signes d’une douleur profonde.

– Ah ! se dit-elle, si Marie savait… Mais je la verrai, et au risque de mécontenter Philippe, je lui parlerai, je lui dirai tout, et elle ne voudra pas que nos enfants souffrent ainsi plus longtemps.

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