XII LE SOUS-PRÉFET

Il y eut un assez long silence pendant lequel l’artiste parut réfléchir profondément.

– André, reprit-il, et si une fois encore je n’arrive à rien et retombe dans cette sombre misère que tu viens de chasser d’ici ?

– C’est là une supposition qui n’est pas à faire.

– Pourtant, je dois prévoir…

– Travaille d’abord, et après nous verrons.

– Ah ! si le découragement et le dégoût me reprennent…

– Eh bien ?

– Cette fois, André, je ne sais pas ce que je ferai !

– Je le sais, moi : tu viendras pour quelque temps te réfugier sous l’aile maternelle, et quand deux cœurs qui t’aiment et te sont dévoués t’auront réchauffé, armé de nouveau pour la lutte, tu recommenceras !

– Mais, continua André, qui saisit la main de l’artiste et la pressa dans les siennes, nous n’en sommes pas là, Dieu merci, et quelque chose me dit que la fatalité, jusqu’à ce jour si dure pour toi, va enfin cesser de te poursuivre.

– André, je ne suis pas né heureux.

– Le bonheur vient à son heure.

– Il y en a pour qui il ne vient jamais, et je suis de ceux-là.

– As-tu-la prétention de connaître l’avenir ?

– Ma naissance a été marquée en noir : mon père a succombé à la peine, ma mère est morte misérable, et je me demande comment je finirai, moi.

– Édouard, ce qu’il te faut, en ce moment, ce n’est pas de t’affaisser dans les pensées du découragement, mais de te relever, de te retremper dans le courage ! Courage donc, mon ami, courage et marche !

– Ah ! tu ne sais pas, tu ne peux pas savoir quels obstacles se dressent devant moi et me font trébucher à chaque pas.

– Des obstacles, dis-tu ?

– Ils sont nombreux.

– Saute par-dessus !

– C’est facile à dire.

– Mais qui donc n’a pas des difficultés à vaincre, des obstacles à briser ? Si la vie n’était qu’une belle route à parcourir, elle serait trop facile, et s’il n’y avait pas à lutter pour faire sa trouée à travers les difficultés et les obstacles dont elle est hérissée, où donc serait le mérite de ceux qui arrivent au but ?

– Oui tu as raison, André, il faut lutter.

– Toujours, sans cesse. Celui qui n’arrive pas, vois-tu, est un incomplet, un mal équilibré ; il manque de souffle, c’est un malade.

– Comme moi.

– Non, certes ; tu n’es pas un déséquilibré, toi, tant s’en faut, et ce n’est pas le souffle qui te manque ; tu as la tête bonne, une poitrine solide et toutes les forces de la jeunesse sont en toi ; si tu es malade, ta maladie est de celles qu’on guérît. Je te le répète, mon frère, réchauffe ton cœur, élève ton âme et après tu verras !

– André, il y a bien des choses que j’ignorais, dont je ne me doutais même pas et que j’ai apprises.

– Parbleu ! on apprend tous les jours !

– Oui, et à ses dépens.

– C’est ainsi qu’on acquiert l’expérience.

Édouard hocha la tête.

– André, reprit-il, la carrière des Beaux-Arts dans laquelle je me suis étourdiment et aveuglément engagé, est la plus ingrate de toutes.

– Peut-être. Cependant nous avons en France une merveilleuse pléiade d’artistes de beaucoup de talent, même à côté des grands maîtres ; ceux-ci ont dû grimper tous les échelons de l’échelle pour arriver au sommet ; les jeunes les suivent, les uns plus lentement, les autres plus vite ; ils montent et à leur tour ils arriveront en haut.

– Pas tous.

– Hé, dans les arts comme en tout il y a les non-valeurs ; comme je le disais tout à l’heure, ce sont ceux qui manquent de souffle qui tombent dans la mêlée. Pour les autres, ceux qui ont quelque chose en eux, bien entendu, du talent, – et tu en as, toi, – ils doivent arriver un jour, mais avec du travail et de la persévérance.

– Arriver, arriver ! Et comment arrive-t-on ! Ah ! tu ne te doutes pas de ce qu’il faut avoir de souplesse en courbant l’échine, pour qu’on daigne seulement arrêter un regard sur vous. Trop souvent le mérite modeste reste inconnu et le talent, qui ne compte que sur la justice, est méconnu. Moi, je ne suis et ne veux être d’aucune coterie ; je suis indépendant, je suis seul ; je n’ai pas et n’aurai jamais le savoir-faire de certains qui se font pousser, hausser par les autres.

J’ai horreur des courbettes, de la flagornerie, de tout, ce qui ressemble de près ou de loin à de la bassesse.

L’État encourage les arts et les artistes ; il achète des tableaux à tels et tels, des hommes de talent, je ne dis pas non ; mais que d’intrigues il faut employer pour obtenir une faveur de la direction des Beaux-Arts et du ministre ! Il faut être protégé par ce sénateur ou ce député ou cet autre haut personnage ; puis il y a les amis qui parlent pour vous et le bataillon des femmes qui traînent sans cesse dans les antichambres du ministère et qui comptent sur la puissance irrésistible de leurs jolis yeux, de leurs belles dents. C’est une curée à laquelle on n’est admis que si l’on crie plus fort que les autres afin de se faire entendre.

Tout cela est écœurant. On dit : il faut hurler avec les loups ! Moi, je m’éloigne, je me sauve, j’ai peur des loups !

Celui que des hommes politiques soutiennent, prônent, est toujours sûr de son affaire ; il est choyé, cajolé, il a tout. Je te demandé un peu ce que la politique a à voir dans les choses de l’art !

D’autre part, il y a le journal dont on devient le favori parce que l’on fréquente les cafés du boulevard où l’on presse la main du reporter qui fait autorité. Le journal vous accueille, vous êtes de la maison, on parle de vos futures œuvres, qui ne sont pas même encore à l’état d’ébauches, et vous voilà, du coup, salué grand artiste.

Il en est qui, à force de crier sur les toits : « J’ai du talent, beaucoup de talent, énormément de talent, » finissent par le faire croire, bien qu’ils n’aient encore rien produit. C’est ainsi que le dernier des rapins arrive à persuader à des imbéciles qu’il est artiste de génie.

« C’est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau. »

– Voyons, mon ami, dit André, qu’est-ce que tout cela peut te faire ? Tu n’aimes pas les coteries, laisse-les de côté, comme la curée dont tu parles aux affamés de faveurs. Tu n’es pas un flatteur du panache et je t’en félicite. Tu es seul, soit, tu ne t’en trouveras que mieux pour ton travail. Ce n’est pas dans les cafés qu’on va chercher l’inspiration, et ce n’est point ce qu’un journal pourrait dire de toi qui te donnerait plus de valeur.

Va, sois tranquille, le vrai mérite n’a pas besoin d’être prôné ; l’heure arrive toujours où il éclate au grand jour. L’inconnu d’aujourd’hui sera l’homme célèbre de demain. Heureusement, il n’y a pas que des imbéciles ; il y a ceux qui voient, apprécient, connaissent, savent… ce sont eux, en te rendant justice, qui te vengeront !

Maintenant, parlons d’autres choses. Il est dix heures et demie et je vais te quitter pour aller au ministère de l’Intérieur. J’ai à voir le ministre. Pendant ce temps, tu vas prendre une voiture et te faire conduire à la Belle Jardinière ou dans une autre maison où tu t’habilleras de pied en cape. Cela fait, tu te rendras au Palais-Royal, galerie d’Orléans, où je me rendrai de mon côté. Le premier arrivé attendra l’autre. Inutile d’ajouter que nous déjeunerons ensemble et ne nous quitterons qu’à cinq heures quand je prendrai le train. Tu m’as bien compris ?

– Oui.

– Eh bien donc, à tout à l’heure.

André partit.

– Grand cœur ! murmura l’artiste resté seul ; posséder une affection comme celle de sa mère et la sienne, c’est une force ! S’il ne m’a pas rendu mes illusions et le courage, il m’a, du moins, donné un vigoureux coup de fouet… Ah ! il a bien fait de venir !

*

* *

Quand le jeune sous-préfet demanda à être reçu par le ministre, un des huissiers du cabinet lui répondit :

– Vous ne pouvez pas voir M. le ministre aujourd’hui : il est absent de Paris, il est parti hier dans l’après midi et ne reviendra pas avant trois jours.

C’était vrai. Le ministre avait quitté Paris pour assister à l’inauguration d’un monument dans une de nos grandes villes du Midi où le jour même, à un banquet, il devait prononcer un important discours politique et parler de plusieurs projets du gouvernement, ayant pour but d’améliorer la situation si digne d’intérêt des classes populaires. André avait laissé voir sa contrariété.

– Alors, dit-il, après un instant d’hésitation et en remettant sa carte à l’huissier, voyez, je vous prie, si M. le directeur du personnel voudra bien me recevoir.

L’huissier disparut et revint au bout de quelques instants, disant :

– M. le directeur attend monsieur le sous-préfet.

Le directeur du personnel au ministère de l’Intérieur, qui était en même temps le chef du cabinet du ministre, était un tout jeune homme, plutôt petit que grand, de tournure élégante, distingué et très affable ; les cheveux et les yeux noirs, le regard vif, intelligent, la physionomie extrêmement bienveillante, inspirant, dès l’abord, beaucoup de sympathie.

Arrivant au pouvoir, le ministre, qui le connaissait et avait en lui une entière confiance, l’avait enlevé à un autre ministère pour lui confier, près de lui, les importantes fonctions qu’il remplissait avec beaucoup de tact et qui n’étaient pas au dessus de ses capacités, de son mérite.

On ne pouvait lui reprocher qu’une chose : promettre trop et ne pas tenir assez.

Il reçut André avec sa courtoisie habituelle, en lui tendant la main ; puis, l’ayant invité à s’asseoir :

– Monsieur le sous-préfet, dit-il, vous aviez sans doute une communication à faire à M. le ministre ?

– Une demande à lui adresser, monsieur le directeur.

– Je sais, monsieur Clavière, que M. le ministre vous a en très haute estime et qu’il s’intéresse à vous d’une façon toute particulière ; je ne doute pas du bon accueil qu’il fera à la demande que vous avez à lui faire ; si, en son absence, je puis vous répondre, veuillez me dire de quoi il s’agit.

– Monsieur le directeur, je viens solliciter mon changement. Le directeur regarda le sous-préfet comme ahuri.

– Quoi, fit-il, vous voulez quitter Pithiviers ?

– Je le désire.

– Vous ne vous y plaisez donc plus ?

– Ce n’est pas cela, monsieur le directeur ; maintenant tout marche très bien dans l’arrondissement…

– Nous le savons.

– Je ne me trouve plus suffisamment occupé à Pithiviers, et je serais heureux qu’on voulût bien me confier un poste où j’aurais plus de travail à donner, plus d’activité à dépenser.

Le directeur regarda fixement le sous-préfet, comme s’il eût voulu lire au fond sa pensée.

– Il y a deux mois, continua André, M. le ministre a bien voulu me parler des intentions qu’il avait pour moi.

– Oui, je sais cela ; nous avions pensé à faire de vous un secrétaire général de préfecture ; mais vous avez prié le ministre de vous laisser à Pithiviers.

– C’est vrai ; alors la situation n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui.

– Et vous voudriez votre changement immédiatement ?

– Aussitôt que possible.

– J’en parlerai à M. le ministre dès son retour ; je suis sûr d’avance qu’il sera très surpris, comme je le suis moi-même ; car ceci ne concorde plus avec ce que nous avions pensé.

André rougissait sous le regard du directeur. Celui-ci continua :

– Je suppose, monsieur Clavière, que vous ne désirez pas être envoyé loin de Paris ?

– Je sais, monsieur, que les situations dans les départements rapprochés de Paris sont très recherchées ; je ne demande pas une faveur à laquelle je n’ai aucun droit ; j’irai où M. le ministre voudra bien me placer, et je ne me plaindrai point si je suis envoyé loin.

– Ah ! fit le directeur. Toutefois, il ne vous déplairait pas, je pense, d’obtenir en même temps de l’avancement ?

– Oui, si c’est possible.

– Tenez-vous à rester sous-préfet ?

– Cela m’est égal, pourvu que j’aie beaucoup à travailler.

– C’est bien, monsieur Clavière, M. le ministre et moi examinerons la chose et nous tâcherons de vous trouver un poste aussi convenable que possible.

– Monsieur le directeur, je vous remercie, dit André en se levant.

Et il prit congé.

– Quelle mouche a donc piqué ce gentil garçon ? se demandait le chef du personnel ; ah ! çà, est-ce que son histoire d’amour n’aurait pas cet heureux dénouement que m’a annoncé le ministre ?

André remonta dans sa voiture qui le conduisit place du Théâtre-Français où il la congédia.

Dans la galerie d’Orléans, il trouva Édouard, qui venait d’arriver au rendez-vous. L’artiste, transformé, n’était plus reconnaissable.

– À la bonne heure, lui dit André, maintenant te voilà présentable.

– As-tu vu ton ministre ?

– Il n’est pas à Paris ; mais j’ai vu le directeur du personnel.

– Tu es satisfait de ta visite ?

– Oui, assez, répondit laconiquement André.

Et passant son bras sous celui d’Édouard :

– Allons déjeuner, dit-il brusquement.

Il faisait tout pour s’étourdir et cacher la souffrance de son cœur.

– Soit, fit Édouard, et je te préviens que j’ai grand faim.

– Est-ce que tu n’as rien pris ce matin ?

– Rien, et hier…

– Eh bien ?

– Je n’ai pas dîné.

– Oh !

– Question d’économie. Où allons-nous ?

– Au grand Véfour.

– Mais il est cher, ce restaurant.

– Qu’est-ce que cela fait ?

– C’est que… je te mets en dépense.

– Il faut bien que j’emploie mon traitement à quelque chose ; je ne donne rien à ma mère, – elle ne veut pas. – Tu viens de dire : « Question d’économie ; » chez ma mère il y a eu de tout temps cette question.

Je ne sais pas ce qu’elle possède, parce que je ne le lui demande point ; mais à voir le bien qu’elle fait autour d’elle, tout ce qu’elle donne, – et je suis loin de savoir tout, car elle se cache pour répandre ses bienfaits, je crois pouvoir dire, comme nos bons paysans du Loiret, qu’elle a le grand bas de laine bien rempli.

Les deux amis déjeunèrent. Après, en se promenant, Édouard interrogea affectueusement André, qui lui avait dit ne pas être heureux. L’artiste aurait voulu connaître la cause du chagrin du sous-préfet ; mais celui-ci tenait encore à cacher son secret.

– Laissons cela, dit-il ; plus tard je te dirai ma peine. Ce matin, quand je te disais que chacun avait ses déceptions, ses amertumes, ses douleurs, et que j’ajoutais : « Il faut se raidir contre tout cela et ne pas se laisser abattre », je te conseillais ce que je me suis conseillé à moi-même. Que veux-tu, cher ami, il faut prendre la vie telle qu’elle est ; ce n’est pas nous qui l’avons faite et nous n’y pouvons rien changer.

– Voilà de la philosophie.

– Ah ! il en faut !

Édouard accompagna André jusqu’à la gare où ils se séparèrent.

– As-tu vu Édouard ?

Ce furent les premières paroles de Mme Clavière à l’arrivée de son fils.

– Oui, je l’ai vu, répondit André ; tes pressentiments ne te trompaient pas, il était plus malheureux, plus à plaindre que tu ne pouvais te l’imaginer ; je l’ai trouvé non seulement découragé, dégoûté de tout, mais dans la plus épouvantable détresse.

– Oh ! mon Dieu !

– Je lui ai parlé comme je le devais, inspiré par mon affection, par mon cœur.

– Oh ! oui, n’est-ce pas ?

– Du reste, je vais te rapporter, aussi exactement qu’il me sera possible, ce que j’ai vu, ce que je lui ai dit et ce qu’il ma répondu.

Et André fit à sa mère le récit de son entretien avec Édouard, après avoir retracé le tableau navrant de la misère profonde dans laquelle le malheureux était tombé.

Mme Clavière écouta, les mains jointes, très pâle, toute frémissante et les yeux mouillés de larmes.

– Mes exhortations, mes supplications, ajouta André, ont été jusqu’à son âme ; j’ai eu le bonheur de relever son moral tombé dans un affaissement mortel et de lui faire reprendre courage ; mais j’ai bien peur, malheureusement, que cela ne soit que pour un temps très court, les déboires de toutes sortes et les écœurements l’ont écrasé, broyé ; en lui toute énergie s’est éteinte, la volonté n’a plus de force, les facultés sont affectées ; il est comme une machine usée dont tous les ressorts sont rongés par la rouille ; il n’est plus armé pour la lutte et à la première déception, au premier choc, il retombera dans l’inertie du découragement. – Et pourtant, mon ami il faut empêcher cela, il faut le sauver !

– Oui, certes ; pour le sauver, chère mère, comme nous le comprenons tous deux, il faudrait bien peu de chose…

– Ah !

– Un rien, qui lui rendrait pour toujours la confiance en lui-même qu’il n’a plus la foi, qui a cessé de rayonner en son âme…

– Continue, André.

– Ce rien, chère mère, ce serait une petite joie inattendue, une miette de bonheur inespéré.

– Oui, oui, tu as raison ! s’écria la Dame en noir, dont le front parut irradié de la lumière du regard, oui, voilà ce qu’il faut à notre pauvre Édouard !

Après un silence, elle reprit :

– Mais à toi, mon brave et généreux enfant, que faut-il pour dissiper ce nuage de tristesse qui, depuis quelque temps, obscurcit ton front pâli, pour te rendre cette bonne et franche gaîté qui est la meilleure partie de mon bonheur.

André, plus ému qu’il ne le voulait paraître, embrassa sa mère et lui dit, de sa voix câline d’autrefois :

– Sois tranquille, maman, et surtout ne t’inquiète pas, ce nuage dont tu parles se dissipera de lui-même.

– À la bonne heure ! Ainsi, tu n’as pas une douleur que tu caches à ta mère ?

– Quelle douleur puis-je avoir quand tu es près de moi, que je te vois bien portante, toujours rayonnante de beauté, et que je suis sûr que ta tendresse ne me manquera jamais ?

– Cher enfant !

– Te voilà rassurée.

– Oui.

Elle l’était… un peu, mais pas complètement.

– Tu es allé au ministère ? reprit-elle.

– Certainement.

– Que t’as dit le ministre ?

– Si tu avais lu les journaux ce matin, ce que je n’ai pas fait non plus, tu aurais appris que le ministre n’était pas à Paris.

– Alors tu n’as pu faire ce que tu voulais ; était-ce pressé ce que tu avais à dire au ministre ?

– Pas précisément.

– Puis-je te demander de quoi tu avais à l’entretenir ?

– Quelques affaires d’administration ; j’en ai causé avec le directeur du personnel.

– Ah ! c’est bien.

Tout de suite après avoir dîné, Mme Clavière se retira dans sa chambre et André dans son cabinet.

La mère avait besoin de réfléchir, de se préparer à mettre à exécution un projet qu’elle avait conçu ; le fils, qui avait parlé d’un travail, avait moins à travailler qu’à rêver.

Le lendemain matin, Mme Clavière, qui n’avait pas beaucoup dormi, dit à André :

– Je vais m’absenter pour deux jours, trois jours, peut-être.

– Où vas-tu donc ?

– Permets-moi de te le laisser ignorer.

– Mais…

– Tout ce que je puis te dire, c’est que je vais m’occuper d’Édouard.

– Oh ! alors, je devine…

– Non, tu ne peux rien deviner.

– En ce cas, je n’ai pas à chercher…

– Je vais faire une tentative ; si je réussis, – et je l’espère, – tu sauras ce que j’aurai fait.

– Va, chère mère, va, continue ton œuvre.

– Il faut sauver Édouard !

– Quand pars-tu ?

– Ce soir.

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