XII COUP DE FOUDRE

Le lendemain de la visite au Mont-Saint-Michel, Mme Clavière interrogea Charlotte au sujet du personnage qu’elle avait vu ; derrière le pilier de l’église Saint-Gervais d’Avranches et reconnu dans la salle des Chevaliers.

– Ma chère Charlotte, dit-elle, j’ai mal dormi la nuit dernière ; je pensais à ce monsieur, dont tu as remarqué les allures singulières, et, s’il faut te l’avouer, je suis fort intriguée. Je me demande vainement qui peut être cet homme. Te le dirai-je, chère amie ? je ne puis me défendre de certaines appréhensions ; il me semble que je vais perdre ma tranquillité.

– Quelle idée ! Le monsieur en question n’a, bien sûr, aucune mauvaise intention.

– Qui sait ? fit Mme Clavière, comme rêveuse.

– Allons, dit Charlotte, j’aurais mieux fait de tenir ma langue, car, je le vois bien, tu es inquiète.

– Charlotte, tu m’as dit que ce monsieur pouvait avoir dans les cinquante ans ?

– Oui, à peu près.

– Ne pourrais-tu pas me dire comment il est, me faire autant que possible son portrait ?

– Dame, comment te dire ?… C’est un homme assez grand, de belle prestance et qui, comme je te l’ai dit, a l’air très distingué. Ses cheveux noirs sont grisonnants, et sa barbe, qu’il porte entièrement, soigneusement taillée aux ciseaux, est, comme les cheveux, émaillée de poils argentés. Front haut et large, yeux noirs, regard profond, nez droit, légèrement busqué, figure pâle, un peu allongée ; enfin une physionomie très douce, qui appelle la sympathie.

La Dame en noir tenait sa tête inclinée sur sa poitrine. Un léger tremblement secouait son corps.

« – Ce doit être lui ! » pensait-elle.

– Eh bien ? interrogea Charlotte.

– Je ne sais pas… Je voudrais l’avoir vu.

– Oh ! tu le verras un de ces jours, bien sûr, si, comme je le suppose, il habite cette ville. Entre nous, Marie, je crois bien qu’il va à la messe tous les dimanches pour le seul plaisir de te regarder.

Mme Clavière soupira.

– Ah ! s’écria Charlotte, comme mécontente d’elle-même, te voilà sérieusement inquiète ; pourtant, ma chère Marie…

– Oui, tu as raison, il n’y a pas là de quoi se mettre martel en tête ; mais tu me connais, je suis toujours prompte à m’inquiéter, à me créer des fantômes ; que veux-tu, puisque je suis faite ainsi ! Allons, ne pensons plus à cela, parlons d’autre chose.

Le dimanche suivant, la Dame en noir et ses amies se rendirent à Saint-Gervais. La mère du sous-préfet se mit à sa place habituelle, et Charlotte et Julie se placèrent derrière elle, comme le dimanche précédent.

Pour la première fois peut-être, à l’église, Mme Clavière fut distraite et ne tint pas constamment les yeux baissés sur son livre ouvert.

Plus souvent qu’elle ne l’aurait voulu, elle dirigeait ses regards vers le pilier désigné par Mme Pinguet ; elle se sentait irrésistiblement attirée de ce côté.

Les yeux de Charlotte fouillaient l’église jusque dans ses recoins les plus sombres.

Le personnage, qui ne s’était pas montré derrière le pilier, ne paraissait pas avoir choisi un autre poste d’observation ; il ne devait pas être dans l’église, autrement Charlotte, qui avait de très bons yeux, l’aurait certainement découvert, si bien qu’il se fût caché.

– Il n’est pas venu, dit Charlotte tout bas à Marie, en sortant de l’église.

Mme Clavière se sentit soulagée.

« – Si c’est le comte, pensa-t-elle, – il aura quitté Avranches pour retourner à Paris. »

Elle se sentit délivrée d’une partie de ses inquiétudes et, sans faire trop d’efforts, elle se montra presque gaie pendant le déjeuner.

Après qu’on eut pris le café, elle dit à André :

– Je ne sortirai pas cette après-midi, j’attends deux visites ; si tu n’es pas retenu toi-même, mon ami, tu pourras faire une promenade avec ces dames au Jardin public.

– Promenade qui me sera très agréable, répondit le jeune homme.

Charlotte et Julie s’étant préparées, tous trois sortirent, laissant Mme Clavière avec une dame de la ville, faisant la première des deux visites attendues.

André et ses compagnes n’étaient pas depuis bien longtemps au Jardin, lorsque le jeune homme rencontra un avocat de la ville qui, tout de suite, entama une conversation, laquelle s’annonça, dès le début, comme devant être longue.

Charlotte et Julie le comprirent. Laissant le sous-préfet à l’avocat, qui lui avait pris le bras sans façon, elles s’éloignèrent et continuèrent seules la promenade.

Quand, au bout d’une demi-heure, l’avocat se décida à rendre la liberté au sous-préfet, en s’excusant – il était bien temps ! – de l’avoir retenu si longuement, André ne vit plus ses compagnes. Mais pensant bien qu’elles étaient toujours dans le Jardin, il se mit en quête de les retrouver, en parcourant les allées les plus écartées, les moins fréquentées, sachant que les deux femmes étaient assez chercheuses de la solitude.

Tout à coup, au détour d’une allée, un homme, qui devait avoir vu venir de loin le sous-préfet et guettait le moment favorable de l’aborder, sortit de derrière un bouquet d’arbustes et se plaça devant lui, en soulevant légèrement son chapeau de feutre gris en manière de salut.

André, qui s’était arrêté brusquement, toisa l’inconnu des pieds à la tête.

C’était un homme au visage bruni par le hâle, qui paraissait avoir passé la soixantaine. Il portait le costume des paysans de la région : pantalon de gros drap à raies, blouse de toile bleue luisante, ouverte sur le devant et laissant voir la chemise de grosse toile de ménage et les parements d’une veste ronde de gros drap marron.

Il était chaussé de forts brodequins ferrés et avait, suspendu à son poignet par une courroie, un bâton comme en ont les bouviers. N’eussent été ses mains petites et sans rugosités, on l’aurait pris volontiers pour un de ces maquignons qui courent, pendant toute l’année, les foires du pays normand.

Ses cheveux, ébouriffés sur un front bas, étaient presque blancs ; mais un observateur un peu attentif se serait facilement aperçu que cet individu portait une perruque.

– Pardon, excuse, dit-il d’une grosse voie de campagnard et avec obséquiosité, n’êtes-vous pas M. Clavière, le sous-préfet ?

– Oui, je suis le sous-préfet ; que me voulez-vous ? Qu’avez-vous à me dire ?

– Monsieur le sous-préfet, pardon, excuse…

Le jeune homme fronçait les sourcils ; il trouvait à cet individu une figure étrange, qui lui déplaisait.

– Monsieur, reprit-il, d’un ton sec, je ne donne pas audience dans la rue ou au milieu d’une promenade publique ; c’est à la sous-préfecture que je reçois les personnes qui ont à me parler.

– Je le sais, monsieur le sous-préfet.

– Eh bien ! venez demain.

– Je ne suis pas d’Avranches, monsieur le sous-préfet, et il faut que je prenne le train dans une heure pour me rendre à Vire. Je suis allé à la sous-préfecture où l’on m’a dit que vous ne receviez jamais le dimanche après midi, et comme j’ai appris que vous étiez au Jardin public, je suis venu…

– Allons, parlez ! qu’avez-vous à me dire ?

Je n’ai rien à vous dire, monsieur le sous préfet, mais seulement ceci à vous remettre.

L’inconnu avait tiré de sa poche un long pli cacheté qu’il présentait au jeune homme.

– Qu’est-ce que cela ? demanda André.

– Des papiers qui intéresseront beaucoup monsieur le sous-préfet d’Avranches.

Le jeune homme prit le pli et lut sur l’enveloppe :

« À MONSIEUR ANDRÉ CLAVIÈRE,

sous-préfet d’Avranches. »

L’inconnu allait s’éloigner, André l’arrêta.

– Vous savez ce que contiennent ces papiers ? demanda-t-il.

– Sans doute, puisque je suis certain qu’ils intéresseront vivement monsieur le sous-préfet.

– De quoi traitent-ils ?

– Je veux en laisser la surprise tout entière à monsieur le sous-préfet. Vous lirez ce précieux document avec attention, seul, dans le silence de votre cabinet, et vous apprendrez des choses que vous ne soupçonnez pas et qu’il est nécessaire que vous sachiez.

Sur ces mots, l’homme salua, toujours obséquieusement, et s’éloigna d’un pas rapide, voulant prouver que, ainsi qu’il l’avait dit, il était très pressé par l’heure du train.

André Clavière eut un sourire dédaigneux, haussa les épaules et murmura, en glissant le pli dans la poche de sa redingote :

– Quelque dénonciation anonyme, comme deux ou trois que j’ai déjà reçues.

Et il se remit à la recherche de Charlotte Pinguet et de Julie Verrier, qu’il trouva, au bout de quelques instants, assises sur un banc, à l’entrée de la deuxième terrasse.

L’homme aux allures de maquignon s’était jeté dans une allée étroite, non moins solitaire que celle où il avait abordé le sous-préfet.

Évidemment, il cherchait à se dérober aux regards des promeneurs.

Mais un de ceux-ci, qui l’avait déjà rencontré et vu causer avec le sous-préfet, se trouva face à face avec lui au détour de l’allée.

Les deux regards se croisèrent, rapides comme l’éclair.

L’homme à la blouse bleue avait instinctivement porté la main à son chapeau, non pour saluer, mais pour l’enfoncer sur ses yeux. Puis il avait passé raide, continuant son chemin d’un pas encore plus pressé.

Quant au promeneur, il avait tressailli, et ses lèvres s’étaient crispées.

Les deux hommes s’étaient reconnus.

« – J’étais sûr de ne m’être pas trompé, murmura le promeneur, c’est bien lui ! Mais que fait-il ici ? Ah ! il se prépare à commettre une nouvelle lâcheté, une nouvelle infamie ! »

De son côté, quand il fut sorti du jardin, l’homme à la blouse se dit :

« – Lui, lui ici ! Qu’est-ce que cela signifie ? Ah çà ! est-ce qu’il saurait… Diable, diable ! voilà qui pourrait singulièrement brouiller mes cartes ! Heureusement, affublé comme je le suis, il est impossible qu’il m’ait reconnu. D’ailleurs il croit, comme tout le monde, que je suis depuis longtemps passé de vie à trépas. »

De retour à la sous-préfecture, André Clavière entra dans son cabinet afin de voir si des lettres n’étaient pas arrivées dans la journée. Il jeta sur son bureau le pli qui lui avait été remis par l’homme inconnu, en se disant :

« – Demain, je jetterai un coup d’œil là-dessus, si j’ai le temps. »

Le lendemain, il eut beaucoup de visites le matin et dans l’après-midi. Il ne songea pas au document qu’on lui avait dit si précieux et qu’il croyait sans aucune importance.

Le mardi, il eut à écrire plusieurs lettres, des signatures à donner, un volumineux dossier à examiner avant de l’envoyer à son préfet.

Le mercredi, sa journée fut également prise tout entière par des visites et diverses affaires pressées à expédier.

Ce fut seulement le jeudi, dans la matinée, que, se trouvant moins occupé par les affaires de la sous-préfecture, il pensa à la lettre de l’homme à la blouse bleue.

Il la retrouva sous une pile de dossiers et, tranquillement, il rompit le cachet de cire jaune qui portait l’empreinte d’une pièce de un franc.

Le papier déplié, André jeta un coup d’œil sur l’écriture, grosse, lourde, imitant la ronde, et qu’un expert n’aurait pas hésité à déclarer contrefaite.

Disons-le tout de suite, la langue française était gravement outragée dans cet écrit, émaillé, d’ailleurs, de nombreuses fautes d’orthographe. Mais de même que l’écriture était contrefaite, n’était-ce pas avec intention qu’on avait si peu respecté la langue et l’orthographe ?

Dès les premières lignes, le sous-préfet tressaillit et laissa échapper un oh ! de surprise.

L’écrit commençait ainsi :

« Il est des choses que M. André Clavière ignore, parce qu’on a cru devoir les lui cacher, mais que, dans son intérêt, il est nécessaire de lui faire connaître. Il pourra ainsi agir, dans certaines graves circonstances de la vie, en toute connaissance de cause, selon sa conscience et la délicatesse bien connue de ses sentiments. »

Après cet exorde, on racontait à André l’histoire de sa mère, dont il ne savait presque rien, et qu’il lut avec un intérêt et une émotion faciles à comprendre.

Il était dit comment Marie Sorel était venue à Paris, chez sa tante et marraine, qui lui avait appris son état de couturière. Celle-ci étant venue à mourir, Marie resta encore quelque temps avec son oncle, Joseph Gallot ; mais ne s’accordant pas avec cet homme, un ivrogne, un débauché, elle se sépara de lui brusquement et entra comme demoiselle de boutique dans une maison de confiserie.

Le récit s’arrêtait là, laissant avec intention une lacune, puis, s’adressant à André, il reprenait :

« M. André Clavière, jeune docteur en droit, à Paris depuis peu de temps, eut un duel dans lequel il fut blessé mortellement. Il épousa votre mère, Mlle Marie Sorel, le 17 mai de l’année 1862. Le mariage se fit in extremis, la veille même de la mort de M. André Clavière, devant le maire du dixième arrondissement de Paris. Mlle Marie Sorel avait pour témoins Me Mabillon, actuellement notaire honoraire, et M. le docteur Chevriot, aujourd’hui décédé.

« M. André Clavière laissait à sa veuve tout ce qu’il possédait. On ne saurait vous dire exactement quelle était la fortune de M. André Clavière ; mais elle était suffisante puisque, grâce à elle, votre mère a pu vivre, vous élever et vous faire faire toutes vos études.

« Peu de temps après son mariage, Mme Clavière partit pour le Midi ; elle s’installa à Cannes, et c’est dans cette ville que vous êtes né le 2 octobre 1862, moins de cinq mois après le mariage de votre mère. » – Oh ! oh ! fit encore le sous-préfet. Il était très pâle et tout frémissant.

Il eut un mouvement de colère et fut sur le point de mettre en pièces le papier révélateur ; mais il était irrésistiblement poussé à tout lire.

Les traits contractés et les dents serrées, il continua sa lecture :

« Ne croyez pas que M. André Clavière était l’amant de votre mère avant de l’épouser ; bien qu’ils se connussent depuis l’enfance, étant nés dans la même petite ville de Bourgogne, ils s’étaient revus trois jours seulement avant le duel.

« Vous n’êtes donc pas le fils d’André Clavière ; vous devez de porter son nom au mariage in extremis, qui vous a légitimé. Votre mère ne peut pas déclarer mensongère ou calomnieuse cette révélation qui vous est faite.

« On ne croit pas devoir vous faire connaître le nom de l’homme qui était l’amant de votre mère, et dont vous êtes le fils. On veut respecter sur ce point le silence que Mme Clavière a toujours gardé.

« Il vous sera facile de contrôler l’exactitude des renseignements qui vous sont donnés : vous aurez la date du mariage de votre mère à la mairie du dixième arrondissement, et la date de votre naissance sur le registre de l’état civil de la ville de Cannes. »

André froissa le papier dans ses mains et le rejeta sur le bureau avec colère et dégoût. Mais, hélas ! le coup était porté, et le malheureux jeune homme, pantelant, livide, se sentait écrasé comme si les murailles de la sous-préfecture se fussent écroulées sur lui.

Un instant, il se demanda s’il n’était pas halluciné, si ce n’était pas un horrible cauchemar. Le sang, affluant au cerveau, lui faisait éprouver la sensation de coups de marteau sur le crâne. La pensée lui échappait, et il put croire qu’il allait perdre subitement la raison.

Soudain, il laissa échapper un cri rauque, prit, sa tête à deux mains et, la serrant comme s’il eût voulu la broyer, il se mit à sangloter.

Mais était-ce vrai tout cela ? Est-ce que réellement il venait de lire cette accusation portée contre sa mère ? Il aurait voulu en douter ; mais l’odieux écrit était là, sous ses yeux, et il pouvait le relire.

Ainsi, il n’était pas le fils d’André Clavière dont, légalement, il portait le nom, par bénéfice du mariage de sa mère. André Clavière n’était pas son père ! Il était le fils d’un autre, d’un inconnu, et cet homme, dont il n’avait jamais entendu parler, cet homme avait été l’amant de sa mère ! Oh ! sa mère, sa mère !

Voyons, est-ce que c’était possible ?

Quoi ! avant son mariage, sa mère aurait été la maîtresse d’un individu quelconque ! Ah ! c’était à ne plus croire à rien, à douter de tout, c’était à devenir fou !

Mais si tout cela était faux ! Faux ? pourquoi le tromperait-on ? Pourquoi une aussi infâme calomnie ? Non, non, il n’en pouvait douter, c’était vrai.

D’ailleurs, le révélateur anonyme était précis, il citait les faits, indiquait les dates ; ce qu’il disait, il le savait bien, et en demandant qu’on contrôlât l’exactitude des choses qu’il révélait, il ne craignait pas d’être pris pour un calomniateur.

C’était vrai !… Ainsi étaient expliqués les tristesses de sa mère, ses habitudes casanières, son amour de l’isolement, les mystères de sa vie.

Oh ! sa mère ! sa mère qu’il vénérait, qu’il adorait, qu’il avait toujours respectée à l’égal d’une sainte, allait-il donc la mépriser, maintenant ! Oh ! non, non, jamais cela, jamais !

Et cependant, en dépit de lui-même, une amertume profonde se mêlait à sa grande affection pour cette mère qui, jusqu’à ce jour, avait été pour lui la femme incomparable, pour cette mère qu’il avait pour ainsi dire placée sur un piédestal, l’élevant ainsi au-dessus de toutes les autres femmes.

En s’abandonnant au débordement de ses pensées, le malheureux jeune homme sentait qu’il connaissait seulement les véritables et grandes douleurs du cœur et de l’âme.

Sa pensée se reporta brusquement sur Henriette de Mégrigny, cette douce jeune fille tant aimée aussi.

– Non, non, s’écria-t-il, je ne veux plus, je ne dois plus penser à elle ! Ah ! cette fois, tout est bien fini entre elle et moi, le fils d’un amant ! Tout se brise, tout se casse, tout s’effondre autour de moi ! Je me croyais quelque chose, et je ne suis rien ! Il me faut cacher ma honte, vivre à présent comme ma mère, dans la solitude et l’isolement.

Après un silence, employé à essuyer ses yeux, il reprit :

– Hier, j’avais encore toutes mes illusions ; nous avons reçu trois lettres de Paris, une de M. Beaugrand, une de Mme Beaugrand et l’autre… de Henriette… On parlait de mariage, de bonheur ! Dérision !… C’était hier ; aujourd’hui, j’ai toutes les désespérances !

Et dans l’explosion de sa douleur, il s’écria : « – Adieu, Henriette, chère Henriette, adieu. »

Au bout d’un instant, un peu plus calme, il se mit à réfléchir. Qu’allait-il faire ?

Il décida que, jusqu’à nouvel ordre, il ne parlerait de rien à sa mère.

Il aurait assez d’empire sur lui-même pour dissimuler son horrible souffrance, pour que ni dans ses yeux, ni sur son visage sa mère ne pût soupçonner ce qui se passait en lui.

Il savait la date de sa naissance ; sur ce point, il n’avait pas à contrôler l’exactitude du document dénonciateur ; mais il n’en était pas de même de la date du mariage de sa mère, mariage qui avait eu lieu, d’après l’écrit, la veille même de la mort d’André Clavière ; cela, on le lui avait soigneusement caché.

Tout en se disant que c’était prendre une peine bien inutile, il résolut d’écrire à la mairie du dixième arrondissement, afin qu’on voulût bien lui confirmer que M. André Clavière et Mlle Marie Sorel s’étaient mariés au hameau de la Jonchère le 17 mai 1862.

Immédiatement il écrivit la lettre au maire.

« – J’attendrai la réponse, se dit-il, et alors j’écrirai à Mme et à M. Beaugrand pour leur dire que je ne peux plus être l’époux de Mlle de Mégrigny.

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