XVII EXPIATION

Le sous-préfet ne se fit pas attendre.

Quand il entra dans le salon, très calme en apparence, il vit sa mère et le comte debout, très émus l’un et l’autre, elle appuyée au marbre de la cheminée, lui au milieu de la pièce, tenant ses bras croisés.

Il enveloppa sa mère d’un long regard, puis s’avança de quelques pas et s’inclina respectueusement devant M. de Rosamont.

– Monsieur André Clavière, dit le comte d’une voix que l’émotion rendait chevrotante, ne me permettez-vous pas de vous tendre une seconde fois la main avec l’espoir de toucher la vôtre ?

Le jeune homme tressaillit violemment, et après un instant d’hésitation, il fit deux nouveaux pas en avant et mit sa main dans celle du comte.

– Merci, merci ! murmura M. de Rosamont, ayant de grosses larmes dans les yeux.

Il y eut quelques instants de silence.

– Monsieur André, reprit le comte, un secret que votre excellente mère avait cru devoir vous cacher, vous a été révélé tout récemment par un écrit anonyme. Mais l’auteur de cet écrit, que j’ai vu et reconnu au Jardin public après qu’il vous eut parlé, n’atteindra pas, je vous le promets, le but de lâche vengeance qu’il poursuit.

Il a voulu faire le mal, et des choses heureuses, j’en ai la conviction, seront le résultat de son odieuse action. J’ai fait, connaître son nom à Mme Clavière, et je vais aussi vous dire qui est ce misérable : c’est le baron Raoul de Simiane.

– De Simiane ! répéta André, comme étourdi.

– Oui, l’homme méprisable qui a tué en duel M. André Clavière, lequel s’était fait le défenseur de Marie Sorel, votre mère.

– Mais que nous veut-il donc, cet homme ? Que lui a fait ma mère ? Que lui ai-je fait, moi ? De quoi veut-il tirer vengeance ?

– Je ne connais pas ses projets ; mais soyez certain que cet homme dégradé, haineux, cherche à frapper cruellement sa sœur et sa nièce, et vous-même ainsi que votre mère. Mais je vous le répète, il n’atteindra pas le but qu’il poursuit.

Il est des êtres méchants et vils, qui jalousent le bonheur des autres, prennent en haine ceux qui sont heureux et font le mal uniquement pour le plaisir de le faire. Cependant, je crois, jusqu’à preuve du contraire, que le baron de Simiane agit, en cette circonstance, dans un but d’intérêt personnel.

Le sous-préfet laissa échapper un soupir et baissa la tête. Il comprenait enfin qu’en lui faisant connaître le secret de sa naissance, on n’avait eu en vue que de le séparer de Mlle de Mégrigny.

– Monsieur André, reprit le comte, nous n’avons plus à nous occuper, pour l’instant, du baron de Simiane. Quels que soient ses projets, il ne parviendra pas à les mettre à exécution ; je serai là pour l’en empêcher ; oui, nous ferons avorter ses combinaisons ténébreuses.

Le jeune homme secoua tristement la tête.

– Maintenant, monsieur André, continua le comte, permettez-moi de vous parler comme un… ami à son ami, à cœur ouvert.

Le passé, un passé bien douloureux pour moi, vous est connu, entièrement connu, puisque votre mère vous a appris ce que l’écrit anonyme vous avait laissé ignorer. Vous m’avez jugé sévèrement, vous en aviez le droit ; car homme du devoir, d’une rigidité absolue dans vos principes, ne vous étant jamais écarté du chemin de l’honneur, n’ayant jamais commis une faute, même une de celles qu’on pardonne à la jeunesse, vous ne pouviez être qu’un juge sévère.

Monsieur André, je reconnais avoir mérité toute votre sévérité. La faute dont je me suis rendu coupable est énorme, oh ! oui, énorme, puisque je la considère maintenant comme un crime. Ah ! si sévère que vous puissiez l’être pour le faux Lucien Gervois, je le suis plus encore, moi, pour le comte de Rosamont.

Je pourrais parler des entraînements de la jeunesse, de la raison qui s’égare, de la passion qui aveugle et dont on devient l’esclave. Mais non, non, devant vous et votre mère, je ne veux rien invoquer qui puisse ressembler à une excuse. J’ai été coupable, et c’est aux sentiments seuls de votre cœur que je fais appel.

Le sous-préfet avait un visage de marbre qui ne laissait rien deviner de ses impressions.

M. de Rosamont poursuivit :

– Celui qui n’a jamais rien eu à se reprocher est tolérant et mieux disposé que d’autres à l’indulgence. Indulgent, vous l’êtes, monsieur André, et c’est votre indulgence que j’implore.

J’ai été coupable et plus encore, hélas ! que je ne pouvais me l’imaginer : votre mère vous l’a dit, j’ignorais que vous dussiez venir au monde. Ah ! elle a versé bien des larmes, la pauvre Marie Sorel, et ces larmes retombent aujourd’hui en amertume dans mon cœur ! Depuis que j’ai appris quelles avaient été les conséquences de ma faute, de mon crime, Dieu seul sait ce que j’ai souffert ; à mon tour, j’ai aussi versé des larmes brûlantes.

Je l’ai dit à votre mère, monsieur André, et je le répète devant vous, mes regrets, ma douleur et mon repentir ont bien vengé Marie Sorel, oh ! oui, bien vengée ! Et en ce moment, moi, un vieillard, tremblant comme le criminel devant ceux qui vont le condamner, je tends vers vous mes mains suppliantes, je vous implore !

Monsieur André, une femme, une noble femme, Louise de Noyons, grande aussi par le cœur, a demandé à votre mère, à genoux devant elle, de pardonner au comte de Rosamont. Et votre mère a répondu : Je lui pardonne ! Alors, Louise de Noyons, comprenant bien toute la valeur de ce généreux pardon qu’elle venait d’obtenir, Louise de Noyons se jeta au cou de Mme André Clavière et l’embrassa.

Le jeune homme se tourna brusquement vers sa mère comme pour lui demander, bien qu’il le sût déjà :

– Est-ce vrai, cela ?

La Dame en noir comprit l’interrogation muette et répondit affirmativement en inclinant la tête.

– Monsieur André, reprit le comte, pouvez-vous être seul sans pitié, implacable ?

– Ma mère m’a tracé mon devoir, monsieur le comte, répondit le jeune homme d’une voix grave et claire : elle a pardonné, je pardonne !

M. de Rosamont, violemment agité, retenant ses sanglots, s’empara des deux mains d’André, et les serrant fiévreusement :

– Ah ! s’écria-t-il, voilà la première émotion douce, heureuse, que j’éprouve depuis bien des années. Monsieur André, votre mère vous a dit combien je désire réparer, autant que possible, tout le mal que j’ai fait et comment je le voudrais ?

– Oui, monsieur le comte, ma mère m’a dit cela. Mais elle vous a répondu qu’elle n’avait plus à demander aucune réparation ; elle vous a également répondu que ce que vous désiriez était impossible.

– Mais n’est-ce donc pas la suite tout indiquée de votre pardon ? s’écria M. de Rosamont.

– Monsieur le comte, prononça André lentement, ma mère et moi ne pouvons accepter l’offre que vous nous faites.

M. de Rosamont fit un mouvement, comme prêt à s’agenouiller devant le jeune homme.

– Je ne doute pas, monsieur le comte, reprit André, que vous n’ayez mûrement réfléchi à ce que vous voudriez faire ; sans doute, vous y trouveriez une satisfaction personnelle ; mais, je vous le demande, quel intérêt y avons-nous, ma mère et moi ?

M. de Rosamont tressaillit et regarda le sous-préfet avec une sorte de stupeur.

– Oh ! vos intentions sont bonnes, continua André, et nous reconnaissons, ma mère et moi, que c’est à un noble sentiment que vous obéissez. Mais vous vous trompez, monsieur le comte, quand vous parlez de réparation : le mal qui n’existe plus n’a pas à être réparé. Vous nous offrez votre fortune dont nous n’avons pas besoin : ma mère ne saurait faire plus de bien qu’elle n’en fait, et moi, c’est bien résolu, je donnerai ma vie entière au travail. Vous offrez à ma mère le titre de comtesse et à moi, plus tard, celui de comte. Mais, voyons, monsieur le comte, ma mère peut-elle changer contre un titre, si brillant qu’il soit, le nom de l’homme généreux, admirable, qui l’a épousée, qui a voulu l’épouser dans les conditions que vous savez ? Et moi, qui suis fier de porter le nom d’André Clavière, puis-je consentir à en prendre un autre, dirigé par un sentiment d’ambition vulgaire, de vanité et de sot orgueil ?

André Clavière, monsieur le comte, a épousé ma mère pour que je ne fusse pas un bâtard ; sa volonté a été que je fusse un enfant légitime ; j’ai la douleur de ne pas être son fils par le sang, mais je le suis par la loi et plus encore par le cœur !

Il était mort ; c’est sa mémoire que ma mère m’a appris à respecter, à vénérer, à bénir ; c’est lui que ma mère m’a constamment donné comme exemple.

Et tu sais, ma mère bien-aimée, tu sais si j’ai partagé ton admiration pour celui que tu pleurais, et si je ne me suis pas efforcé de lui ressembler autant qu’il m’était possible !

Pour André Clavière, monsieur le comte, je n’étais qu’un étranger, il avait le droit de me haïr, et cependant, quand je pouvais n’être pour lui qu’un objet de répulsion, il m’a aimé avant que je fusse né, oui, il m’a compris dans l’amour qu’il avait pour Marie Sorel, et ce mariage in extremis qu’il a voulu en fournit la preuve éloquente.

Eh bien ! moi aussi je l’aime et le vénère, ce grand mort !

Je suis né de vous, monsieur le comte, soit ; et après ? Quels droits avez-vous à mon affection ? Je n’en vois aucun. J’oublie, je veux oublier que vous avez abandonné ma mère ; mais m’avez-vous aimé quand j’avais besoin de la tendresse d’un père ? avez-vous veillé sur mon enfance quand elle avait besoin d’être protégée ?

Le comte, qui écoutait, le front courbé, laissa échapper un profond soupir.

– André, André, prononça-t-il d’une voix gémissante, vous êtes cruel !

La Dame en noir, son mouchoir sur les yeux, pleurait silencieusement.

– Monsieur le comte, répondit le jeune homme, je vous demande pardon de la dureté de mes paroles ; mais j’ai l’habitude de la franchise, je ne sais point déguiser ma pensée, et il me serait difficile de vous parler autrement.

Vous ignoriez mon existence, c’est vrai ; ayant vécu longtemps à l’étranger, vous ne songiez plus à ma mère, et tenez, pour excuser votre indifférence à son égard, je veux admettre que vous la croyiez morte. Mais, enfin, si je ne peux pas voir en vous un père, est-ce ma faute ? Ce n’est pas moi qui ai créé cette situation aussi pénible pour ma mère qu’elle l’est pour vous et moi.

Depuis quelques mois vous savez que j’existe, et parce que le sentiment de la paternité s’est éveillé en vous, vous voudriez que j’y répondisse par cette affection qu’un fils doit à son père. Mais c’est aujourd’hui seulement que je vous connais, monsieur le comte, et il serait fort étrange, – convenez-en vous-même, – que, oubliant celui dont je porte le nom, je donnasse mon affection à un père qui n’a jamais rien fait pour se faire aimer de son fils.

Je vous respecterai, monsieur le comte, et lorsque je penserai à vous, aucune amertume ne se mêlera à mes pensées ; je vous promets cela, ne me demandez pas davantage !

Mon père est celui qui m’a donné son nom en me légitimant, c’est André Clavière ! Et ce nom d’André Clavière, monsieur le comte, je le porte avec fierté, avec un noble orgueil, il est ma gloire !

Un sanglot déchira la poitrine de M. de Rosamont.

Lentement il se redressa et d’une voix brisée :

– Monsieur André, dit-il, je n’ai rien à vous répondre ; vous me condamnez, je subirai ma peine ! Vous reconnaîtrez un jour que mon affection paternelle, pour avoir été tardive, n’en était pas moins très grande ; elle remplit mon cœur et sera désormais toute ma vie.

Vous avez la noble fierté des hommes de race illustre ; il y a en vous toutes les grandeurs, et si vous me refusez le droit de vous appeler mon fils, ne me défendez pas l’admiration que font naître en moi et votre caractère et vos sentiments élevés et si délicats. Vous me faites souffrir et je vous rends hommage !

Ah ! c’eût été trop de bonheur pour moi d’avoir votre affection, de vous avoir pour fils… J’avais cru la chose possible, je me trompais ; c’était le rêve d’un malheureux qui espérait encore un peu de joie en ce monde. Comme il était beau, ce rêve ! Il s’en est allé comme s’en vont tant de choses qui brillent un instant, passent et disparaissent avant qu’on les ait pu saisir. Hélas ! c’est la dernière illusion de ma vie qui m’abandonne !

Vous me repoussez, monsieur André, s’écria-t-il ; mais n’importe, je vous aime, et vous ne pouvez pas m’empêcher d’être fier de vous !

Vous ne pouvez pas m’empêcher non plus de penser à vous sans cesse, de vous suivre des yeux dans la vie, de m’intéresser à votre avenir et de vous défendre si l’on osait, comme un misérable vient de le tenter, menacer votre tranquillité, votre bonheur et celui de votre mère.

Le front du jeune homme devint subitement très sombre, et il laissa échapper un sourd gémissement.

– André, s’écria la Dame en noir, en se précipitant vers lui, tu souffres, tu souffres horriblement, et tu caches quelque chose à ta mère ; je le vois, je le sens ! André que me caches-tu ?

Ce matin, tu t’es écrié : « Je n’épouserai pas Mlle de Mégrigny, je ne me marierai jamais ! Et quand je t’ai demandé ce que signifiaient tes paroles, tu m’as répondu : « Ne te tourmente pas inutilement, dans quelques jours je te parlerai de mes intentions. » Tes intentions ! Mon Dieu ! mais que médites-tu donc ? que veux-tu donc faire ? Ah ! je ne le devine que trop !

Elle se tourna brusquement vers M. de Rosamont.

– Monsieur le comte, dit-elle d’une voix oppressée, André aime Mlle de Mégrigny de toute la force de son âme, il l’aime à en mourir, peut-être, et quand tout est décidé, convenu, qu’il n’y a plus qu’à fixer le jour du mariage, il ne veut plus se marier, lui-même brise son bonheur, son avenir, sa vie, parce qu’il n’est pas le fils d’André Clavière, parce que sa mère avant son mariage… Ah ! c’est horrible !… Il ne voit et ne veut voir que la tache… Et il se croit indigne de celle qu’il aime !

– Et dont il est aimé, je le sais, ardemment aimé, ajouta M. de Rosamont.

– Oui, monsieur le comte, Henriette de Mégrigny aime André, et le malheureux ne pense pas à la douleur qu’il va lui causer, et il ne pense pas qu’il peut la tuer, oui, la tuer ! Oh ! l’insensé ! l’insensé !

– Monsieur André, dit le comte gravement, vous ne ferez pas, cela, vous ne pouvez pas le faire.

Le jeune homme se redressa, une flamme dans le regard.

– Je ne veux pas, exclama-t-il, je ne veux pas qu’on connaisse les secrets de ma mère, je ne veux pas qu’elle ait à baisser les yeux, à rougir devant personne !

La Dame en noir s’empara d’une des mains de son fils, et la serrant avec force :

– Je n’ai rien à craindre de l’opinion du monde, dit-elle avec un accent de douleur profonde ; s’il y a une tache dans le passé de Marie Sorel, la veuve d’André Clavière l’a depuis longtemps effacée. Si j’avais eu à baisser les yeux et à rougir, c’eût été devant toi, mon fils. Mais non : en me serrant dans tes bras, en m’embrassant tu m’as réhabilitée, et mieux encore que ta mère ne l’avait pu faire, tu as effacé le passé ! Et quand tu ne me trouves pas indigne, tu voudrais l’être, toi !

– Monsieur André, dit le comte, c’est à de beaux et nobles sentiments de délicatesse que vous obéissez ; il ne faudrait pas, cependant, les pousser à l’exagération et vous laisser entraîner par excès de scrupules, faciles à combattre, d’ailleurs, à une détermination qui pourrait avoir les plus déplorables conséquences. Vous êtes prêt à faire le sacrifice de votre bonheur ; mais demandez-vous donc si vous avez le droit de détruire le-bonheur, de briser la vie d’une jeune fille qui vous aime et a mis toute sa confiance en vous.

André eut un tremblement convulsif. Sa poitrine se soulevait violemment. On le voyait prêt à sangloter. Il était blanc comme un suaire.

– Monsieur le comte, reprit Mme Clavière, ce qui effraye, ce qui épouvante mon malheureux enfant, je le devine : c’est la révélation qu’il se croirait obligé de faire à sa fiancée, à Mme et à M. Beaugrand ; mais il n’a rien à leur dire, rien à leur apprendre.

S’adressant à son fils, elle continua :

– Tu n’as rien à leur apprendre, André, rien : Mme Beaugrand et son mari savent tout !

– Que dites-vous, ma mère ?

– Ils savent tout, te dis-je, tout ! Et cependant, ils ne me méprisent pas ; est-ce qu’ils te trouvent indigne de leur fille, eux ?

– Ainsi, ma mère, vous dites qu’ils savent…

– Oui, tout.

– Mais comment ont-ils appris ?…

– Ah ! comment ? comment ? Mais ne t’ai-je donc jamais dit que M. Beaugrand avait été l’ami d’André Clavière ?

– Jamais, ma mère.

– Eh bien ! je te l’apprends aujourd’hui. Philippe Beaugrand et André Clavière se sont connus sur les bancs du lycée ; une sincère amitié les unissait. M. Beaugrand a assisté son ami dans ce duel qui devait lui être si fatal, et c’est par M. Beaugrand que j’ai connu la cause de cette rencontre.

Rien de ce qui s’était passé à la Jonchère avant le mariage n’a été caché à M. Beaugrand, qui est constamment resté auprès de son malheureux ami. Il a joint ses instances à celles du docteur Chevriot et de Me Mabillon pour me décider à épouser André Clavière.

Enfin, M. Beaugrand et un autre ami d’André Clavière, appelé Charles Balley, après avoir été les témoins du duel ont été également les témoins du mariage.

Encore une fois, mon cher enfant, M. Beaugrand n’ignore rien. Voyons, est-ce qu’il ne t’a pas toujours aimé comme si tu avais été réellement le fils de son ami ? Est-ce que son plus vif désir n’est pas de te voir le mari de sa belle-fille, sachant que votre bonheur à tous deux est dans cette union ?

Tu ne connais pas encore bien M. Philippe Beaugrand ; mais je te le ferai connaître ; tu sauras qu’il a toujours été pour ta mère un ami sûr et dévoué, tu sauras tout ce qu’il a fait pour moi.

J’ai connu Mme Beaugrand peu de temps après la mort de M. de Mégrigny, dans une circonstance extrêmement douloureuse pour elle ; je pus alors lui rendre un léger service et, reconnaissante, elle devint mon amie. Elle aussi avait de terribles secrets : elle me les confia. Va, il n’est guère de famille où l’on ne puisse mettre la main sur une plaie saignante.

Est-ce que Mlle Henriette de Mégrigny, si charmante, si adorable, si parfaite, perd une seule de ses qualités parce qu’elle a pour oncle le baron de Simiane, un misérable ?

– Oh ! non, ma mère !

– Elle est toujours Henriette comme toi tu es toujours André. Où en serions-nous, grand Dieu ! si les enfants innocents étaient rendus responsables des fautes plus ou moins graves commises par leurs proches ?

– Dieu merci, dit le comte, on en a fini depuis longtemps avec ces monstrueux préjugés.

– André, André, reprit la Dame en noir d’une voix vibrante, diras-tu encore que tu ne peux plus épouser Mlle Henriette de Mégrigny ?

– Ah ! ma mère ! ma mère ! fit le jeune homme éperdu et haletant.

Il poussa un cri rauque et s’abattit sur un fauteuil en éclatant en sanglots.

– Le malheureux, le malheureux enfant ! exclama la pauvre mère affolée, il a écrit !

– Peut-être, madame, dit tristement le comte ; mais il vous a comprise, rien n’est perdu encore.

– Ah ! je ne sais pas, je ne sais pas… Il me semble que je deviens folle !… Mon Dieu, je tremble pour lui et pour elle ! Oh ! la pauvre enfant, quel coup terrible !

– Marie, reprit M. de Rosamont, vais-je donc vous quitter en un pareil moment ?

– Il le faut, monsieur le comte ; je vous en prie, laissez-moi seule avec mon malheureux enfant.

Le comte enveloppa d’un long regard le jeune homme, qui sanglotait, la tête dans ses mains, laissa échapper une plainte sourde et, se tournant vers la Dame en noir :

– Adieu, adieu ! dit-il.

Il marcha vers la porte, en chancelant, se retourna avant de sortir et prononça encore une fois le mot :

– Adieu !

Mme Clavière tomba à genoux devant son fils.

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