XII AU NOM DE LA COMMUNE

Les bataillons fédérés étaient aux prises avec l’armée républicaine dont le maréchal de Mac-Mahon avait pris le commandement en chef.

On se battait à Vanves, à Issy, à Montrouge, à Courbevoie et surtout à Asnières où les soldats de la Commune opposaient une vigoureuse résistance aux soldats de Versailles.

Cependant, malgré les fortes positions qu’ils occupaient sur la rive gauche de la Seine, les fédérés furent rejetés sur la rive droite.

Toutefois, à cause du grand nombre d’ennemis qu’elle avait à combattre et des positions qu’ils occupaient, l’armée de Versailles ne pouvait pas tenter de s’emparer de Paris par un coup de main. Et puis pour éviter qu’il y eût, d’un côté comme de l’autre, trop de sang répandu, les chefs de l’armée de Versailles avaient arrêté un plan qui consistait à s’emparer des forts de Vanves, d’Issy et de Montrouge, de rejeter les fédérés en dedans de l’enceinte fortifiée de Paris, d’en faire régulièrement les approches et de donner, alors, sur plusieurs points, un assaut décisif.

Les hommes de la Commune virent une cause de faiblesse dans ces lenteurs de l’armée de Versailles qui, de plus, se contentait de se tenir sur la défensive.

Les fédérés reprirent de nouveau l’offensive et tentèrent de reprendre les positions de Meudon, Sèvres, Rueil, Courbevoie, les Moulineaux, le Moulin Saquet qu’ils avaient successivement perdues.

Une canonnade incessante et vigoureuse s’échange entre les batteries de l’armée de Versailles établies sur la terrasse de Meudon et le fort d’Issy, qui appartient encore à la Commune.

Les fédérés sortent de Paris, se répandent dans Neuilly, le bois de Boulogne et sur toutes les routes en bataillons serrés, ils marchent vers la Seine qu’ils vont essayer de franchir à plusieurs endroits pour reprendre position sur la rive gauche.

À huit heures du matin, sur toute la ligne, la bataille s’engage. Le bruit d’une vive fusillade se mêle à celui des canons qui tonnent. On se bat à Neuilly, à Boulogne, à Billancourt. Les balles traversent la Seine et tombent comme une grêle sur les deux rives.

Vers huit heures et demie, au plus fort du combat, une petite troupe de vingt-cinq à trente hommes apparaît à l’extrémité de l’avenue de la Maison maternelle et marche résolument vers l’établissement.

On ne parle pas dans les rangs, c’est défendu. On n’entend que le bruit des lourds souliers sur le sol.

On s’arrête, l’arme au bras.

Un homme, qui porte les galons de sergent, sonne à la porte, et comme on ne répond pas assez vite aux coups de la sonnette, il frappe plusieurs fois avec la crosse de son fusil.

Enfin un guichet grillé s’ouvre et au milieu d’un profond silence, on entend la voix d’une femme effrayée.

– Que voulez-vous ? demande la religieuse.

– Nous voulons entrer, répond une grosse voix enrouée.

À travers le guichet, on voit deux yeux effarés, qui regardent.

Elle regarde, en effet, la religieuse, cherchant à deviner à qui elle a affaire. Elle n’aperçoit qu’une partie de la troupe ; mais elle voit que ces hommes sont armés de fusils, qu’ils ont des figures repoussantes comme celles des noirs démons de l’enfer et sont vêtus d’un uniforme poussiéreux, dont on ne distingue plus la couleur. Terrifiée, elle tremble de tous ses membres.

Cependant, elle a assez de force pour dire :

– Mais, messieurs, les hommes n’entrent pas dans cette maison.

– Et pourtant, bonne femme, nous allons y entrer.

– Non, non, c’est impossible, retirez-vous !

– Au nom de la Commune, ouvrez, je vous l’ordonne.

– Ici, nous ne connaissons pas la Commune.

– Ah ! vraiment ? Eh bien, nous vous la ferons connaître. Ouvrez, ouvrez, mille tonnerres ! ou nous arrachons ces grilles du diable, ou nous enfonçons cette porte à coups de crosses de fusil.

La religieuse fit un grand signe de croix, et, d’une voix défaillante :

– Messieurs, dit-elle, je ne peux pas vous ouvrir sans en avoir reçu l’ordre ; je vais prévenir ma mère.

– Soit, mais faites vite ; car si dans trois minutes, – vous entendez, trois minutes, – cette porte n’est pas ouverte, nous prenons d’assaut votre couvent. Dites cela à votre supérieure.

La religieuse referma le guichet et, affolée, courut instruire la mère Agathe de ce qui se passait.

La supérieure était au courant des lugubres événements dont Paris était le théâtre. Elle savait que l’archevêque Darboy et beaucoup d’autres prêtres avaient été arrêtés ; que des églises avaient été pillées et étaient devenues des clubs.

Une horrible angoisse se peignit sur son visage ; mais c’était une femme fortement trempée, préparée à toutes les épreuves de la vie, à qui la foi en Dieu donnait une force surnaturelle. Bien que très effrayée, elle conserva tout son sang-froid.

Quand la sœur tourière revint à la porte, elle était accompagnée de la mère Agathe. Celle-ci rouvrit le guichet et, à son tour, voulut parlementer.

La même voix enrouée l’interrompit brusquement et demanda de nouveau, au nom de la Commune, que la porte fût immédiatement ouverte.

– Si vous refusez d’obéir, nous entrerons de force dans l’établissement ; vous et vos compagnes serez arrêtées, et votre maison sera livrée au pillage.

Devant cette effroyable menace, la mère Agathe comprit qu’elle ne devait pas exciter la fureur de ces hommes par une résistance d’ailleurs inutile.

– Je cède à la force, dit-elle.

Ayant donné l’ordre d’ouvrir, elle ajouta, les yeux levés vers le ciel :

– Que la volonté de Dieu soit faite.

– Ainsi soit-il, répondit un homme en ricanant.

La troupe pénétra dans la cour.

Lui faisant face, la supérieure immobile, les bras croisés, la tête haute, semblait défendre l’entrée de la maison.

– Messieurs, dit-elle gravement, la porte que vous menaciez d’enfoncer s’est ouverte devant vous ; maintenant, veuillez me dire ce que vous voulez.

Le chef de la troupe, un capitaine, s’avança vers la religieuse, son képi sur la tête.

La mère Agathe arrêta son regard sur l’homme et eut un vif mouvement de répulsion.

– Citoyenne, dit le capitaine, ayant la main gauche appuyée sur la garde de son épée, je veux tout d’abord vous rassurer en vous disant que vous n’avez rien à craindre ni pour votre vie, ni pour votre liberté ; les autres femmes de cette maison seront également respectées.

– C’est bien, monsieur ; mais c’est le but de votre visite que je vous prie de vouloir bien me faire connaître.

– Eh bien, citoyenne, nous venons tout simplement visiter votre maison.

– Visiter notre maison, monsieur, et pourquoi ?

– Afin de nous assurer que tout s’y passe convenablement !

La mère Agathe tressaillit, et son beau visage, habituellement si placide, s’empourpra.

– Monsieur, répliqua-t-elle d’un ton ferme et plein de dignité, je pourrais me trouver offensée des paroles que vous venez de prononcer ; mais j’aime mieux vous dire que je ne les ai pas comprises. Notre maison de bienfaisance n’est pas un établissement public ; elle doit entièrement son existence à l’initiative privée.

– Elle ne saurait pour cela échapper à toute surveillance.

– Pardon, monsieur, répliqua vivement la mère Agathe, votre visite aurait-elle été provoquée par une plainte portée contre moi, la supérieure, et mes compagnes ?

– Non, citoyenne, non pas précisément, répondit le capitaine un peu interloqué.

– Monsieur, si vous avez quelques griefs contre mes sœurs et moi, dites-le.

– Citoyenne, nous perdons notre temps à causer inutilement.

– Pourtant, monsieur…

– Nous avons reçu la mission de visiter cet établissement et nous le visiterons.

– Mais…

– C’est assez d’observations, citoyenne, nous le visiterons avec ou sans votre permission.

– Je vois qu’avec vous, monsieur, on ne discute pas, et qu’il n’existe qu’un droit, celui du plus fort, qui est le vôtre.

Eh bien, qu’est-ce que vous voulez voir ici ?

– Citoyenne, vous recevez des enfants dans cette maison.

– Oui, des enfants ; c’est pour cela qu’elle a été fondée.

– Des orphelins.

– Et de pauvres petits abandonnés, c’est le plus grand nombre.

– Et peut-être d’autres encore.

Voyant que la religieuse le regardait avec une sorte de défiance, le capitaine reprit vivement :

– Enfin, tous les petits malheureux qui ont besoin d’un asile. Combien, en ce moment, avez-vous d’enfants ?

– Cinquante-cinq.

– Petites filles et petits garçons ?

– Oui.

– Combien de petites filles ?

– Vingt-cinq.

– Donc trente petits garçons ?

– Oui.

– Et tout ce petit monde se porte bien ?

– Parfaitement bien.

– Tant mieux ; cela sera mentionné au rapport. Ces pauvres petits n’ont-ils pas eu beaucoup à souffrir du siège ?

– Nullement ; nous avions fait de forts approvisionnements et acheté trois vaches qui nous ont donné suffisamment de lait.

– En ce cas, citoyenne, les enfants de votre maison ont été plus heureux que ceux de Paris.

– Hélas ! je sais qu’à Paris on a beaucoup souffert ; le pain et le feu manquaient.

– Et autres choses encore. Un grand nombre d’enfants sont morts de faim.

– Les pauvres innocents !

– C’est bien, citoyenne, notre rapport parlera aussi de votre prévoyance ; ce sera une autre bonne note. Maintenant nous allons voir les enfants ; nous commencerons notre visite, si le voulez bien, par les petits garçons. Vous allez nous conduire, dix de mes hommes et moi, en un endroit où vous ferez paraître devant nous les gentils garçonnets. Nous verrons ensuite les petites filles.

Sur un signe du capitaine, dix hommes, évidemment désignés d’avance, se rangèrent autour de lui.

– Citoyenne, reprit-il, nous sommes à vos ordres.

La mère Agathe, voyant la tournure pacifique que prenaient les choses, s’était complètement rassurée.

– Eh bien, messieurs, dit-elle, suivez-moi !

Elle les conduisit dans le préau des petits garçons où au bout d’un instant, sur son ordre, deux sœurs institutrices amenèrent la bande joyeuse des écoliers.

Mais à la vue de ces hommes armés, à l’uniforme et au visage crasseux, à l’air rébarbatif, les cris de joie cessèrent subitement. Se serrant les uns contre les autres, les enfants regardaient ces vilains soldats étonnés et quelque peu inquiets.

Le capitaine dardait son regard sombre, farouche sur toutes ces jeunes têtes, ayant sur les lèvres un hideux sourire de cruauté.

Tout bas il donna un ordre au sergent.

Celui-ci obligea les enfants à se placer sur trois rangs, les tout petits au premier rang, les plus grands au troisième.

– Sont-ils trente ? demanda le capitaine.

– Dix et dix vingt et dix… Oui, capitaine, trente.

– Bien, c’est le nombre.

Les enfants, toujours silencieux, semblaient se demander quelle espèce d’exercice on allait leur faire faire.

Les religieuses se sentaient saisies d’une vague inquiétude.

– Demandez les noms, ordonna le capitaine.

– Toi d’abord, petit, dit le sergent, comment t’appelles-tu ?

– Auguste, répondit l’enfant.

Le sergent passa au second :

– Et toi, comment t’appelles-tu ?

Le petit resta muet ; une sœur répondit :

– Alfred.

– Sergent, dit le capitaine, demandez donc son nom à celui-là du deuxième rang, qui vient de pincer le bras de son camarade.

– Réponds, gamin, quel est ton nom ?

– Je m’appelle Adolphe.

– Sergent, passez au troisième rang, ordonna le capitaine.

– Comment t’appelles-tu ? demanda le sergent au premier du troisième rang.

– Édouard, répondit le petit garçon.

– Et toi ? fit le sergent, s’adressant au suivant.

Celui-ci, à la mine éveillée, à l’œil clair et vif, aux longs cheveux bouclés autour de la tête, sourit et répondit :

– Moi, monsieur, je m’appelle André.

Un fauve éclair sillonna le regard du capitaine, et sa physionomie prit une telle expression de férocité que la mère Agathe, qui avait les yeux sur lui, se sentit frissonner jusqu’aux moelles.

– Très bien, fit le capitaine, il s’appelle André, ce petit.

Et comme s’il eût craint de se tromper :

– Voyons, continua-t-il, y en a-t-il un autre dans les rangs qui s’appelle aussi André ?

Et comme le petit André, probablement distrait en ce moment, restait silencieux, ce fut Édouard qui répondit :

– Monsieur, il n’y a que mon ami qui s’appelle André.

Alors, le capitaine, dans lequel le lecteur a certainement reconnu l’Œil-de-Verre, se tourna vers ses hommes et s’écria :

– Allons, vous autres, attention ! Toi, l’Hercule, fais ce que je t’ai commandé !

Aussitôt, un homme sortit du groupe.

Il était taillé comme un athlète de foire et avait une tête énorme plantée entre deux larges épaules sur un cou de taureau.

Il marcha vers André, et ses bras aux muscles d’acier enlevèrent l’enfant comme une plume.

Il y eut alors dans le préau un tumulte indescriptible.

Les enfants avaient rompu les rangs et pâles, tremblants, épouvantés, serrés les uns contre les autres, comme entassés, ils se mirent à pousser des cris perçants.

André se débattait entre les bras qui le tenaient, en criant :

– Laissez-moi, laissez-moi !

Édouard, les yeux enflammés, fort comme un homme dans sa colère, s’était accroché à une jambe de l’Hercule qui, malgré de fortes ruades, ne parvenait pas à se débarrasser de l’étreinte.

Une des institutrices s’affaissait sur le sol, prise d’une syncope.

Cependant, après le premier instant de stupeur profonde, la mère Agathe et l’autre religieuse s’étaient précipitées vers l’Hercule pour défendre l’enfant qui, continuant à se débattre, frappait l’homme au visage, à poings fermés, de toute la force qu’il avait encore.

Assurément, André ne faisait pas grand mal à l’Hercule, mais il l’obligeait à fermer les yeux pour les garantir, et l’aveuglait ainsi.

– C’est monstrueux, c’est infâme ! criait la mère Agathe, tout en essayant de délivrer l’enfant.

Sur un ordre de l’Œil-de-Verre, quatre hommes se précipitèrent sur les religieuses, les saisirent et les tinrent en respect.

D’un coup de pied un autre misérable étendait Édouard sur le sol.

– Vous n’êtes pas des soldats, disait la mère Agathe tout en larmes, oh ! non, vous n’êtes pas des soldats, vous êtes des bandits !

– Bâillonnez-la, bâillonnez-la, cette folle ! hurla le capitaine.

La résistance était vaincue.

– Au secours, au secours ! criaient les deux femmes.

Du côté des enfants les clameurs redoublaient.

Et maintenant, dans l’autre préau, les petites filles mêlaient leurs cris à ceux des petits garçons.

Deux autres religieuses se montrèrent et reculèrent devant les canons des fusils.

– Emporte-le, mais emporte-le donc ! vociféra le capitaine ; en avant, l’escorte, en avant ! Si des béguines vous barrent le passage, assommez-les à coups de crosse, et si les coups de crosse ne suffisent pas, fusillez, fusillez !

L’Œil-de-Verre avait de l’écume aux lèvres. Ce n’était plus un homme, mais une bête féroce, un monstre hideux.

L’Hercule, tenant l’enfant, qui ne se défendait plus, se dirigea vers la sortie du préau. Quatre hommes le suivaient, prêts à protéger sa marche.

La mère Agathe et la sœur institutrice, maintenues par les bandits, réduites à l’impuissance, appelaient à leur secours et au secours de l’enfant Dieu, la Vierge, les saints et tous les anges du paradis.

Édouard, qui s’était relevé, menaçait du poing le capitaine.

À ce moment, poussant un cri terrible, une sorte de rugissement de lionne furieuse, une femme de haute taille, vêtue de noir, pâle, échevelée, les yeux pleins de flammes, parut à l’entrée du préau.

– Maman, maman ! cria l’enfant.

Pareille à la lionne au cri de détresse de son lionceau, la Dame en noir bondit sur l’Hercule.

Et avant que le bandit eût eu le temps de se reconnaître, de revenir de la surprise que lui avait causée la subite apparition, la mère lui avait arraché son enfant des bras.

Le regard fulgurant de la femme avait paralysé les forces de l’Hercule, et son enfant à sauver avait décuplé les forces de la mère.

Maintenant son fils était dans ses bras, contre son cœur ; et la tête haute, frémissante, les yeux étincelants, faisant face à tous les bandits, elle semblait leur dire :

– Osez donc me le reprendre !

Gallot, en reconnaissant sa nièce, avait proféré un horrible blasphème.

Devant cette jeune femme si merveilleusement belle et en même temps si menaçante dans son attitude, devant cette mère qui défendait son enfant, l’Hercule et les autres bandits reculèrent.

L’Œil-de-Verre fit entendre un nouveau et effroyable juron et, s’élançant vers ses hommes :

– Ah ! ça, camarades, dit-il, est-ce que maintenant vous auriez peur d’une femme ? Reprenez le gosse, mille tonnerres ! reprenez-le ! En avant !

Les hommes firent un mouvement pour entourer la mère.

– Arrêtez, arrêtez ! leur cria-t-elle, ne m’approchez pas ! Je ne suis qu’une femme, mais une femme qui est mère ; c’est mon fils, entendez-vous ? c’est mon fils, je le défends ! Pour l’arracher de mes bras, il faut me tuer ! Eh bien, oserez-vous tuer une femme, une mère, vous qui êtes des hommes, des soldats français ?

Les bandits s’étaient arrêtés dominés, intimidés par cette femme qui exerçait sur eux comme une fascination.

– Ah ! ils ont peur, peur d’une femme ! ricana l’Œil-de-Verre. Mais vous êtes donc des lâches ! exclama-t-il.

Les hommes eurent un frémissement.

– Messieurs, reprit la Dame en noir d’une voix forte et vibrante comme un timbre de métal, il n’y a ici qu’un lâche, et ce lâche est celui qui vient de vous donner ce nom. Le lâche, c’est cet homme qui vous commande ; il est officier, capitaine ; qui donc les lui a donnés, ou plutôt où donc les a-t-il pris, ces galons de capitaine ? Oh ! lui, lui, commander à des soldats !

Je le connais, cet homme, votre chef, je le connais depuis longtemps ; il croit avoir à se venger de moi, et il voudrait vous associer à sa vengeance. Oh ! oui, il est lâche, lâche et plus infâme encore !

S’adressant directement à l’Œil-de-Verre, elle continua :

– Joseph Callot, vous trouvez donc que vous ne vous êtes pas encore assez souillé de crimes ? Est-ce que vous n’entendez pas les voix vengeresses qui crient contre vous et réclament votre châtiment ? C’est Mme de Mégrigny à qui vous aviez volé son enfant ! C’est M. de Bierle que vous avez, tout près d’ici, frappé d’un coup de poignard !

Voleur d’enfants, vous m’aviez aussi pris le mien, et je vous ai épargné ; mais vous avez oublié que je vous ai sauvé du bagne… Ah ! vous m’avez bien fait comprendre depuis qu’on ne doit jamais avoir pitié d’un misérable !

Aujourd’hui vous voudriez me reprendre mon fils ; non, non, moi vivante vous ne me prendrez pas mon enfant, vous ne l’arracherez pas de mes bras, lâche, voleur, assassin !

Callot, blême de fureur, l’œil injecté de sang, écumant, n’avait plus figure humaine.

– Assez, assez ! hurla-t-il, nous n’entendrons pas plus longtemps les divagations et les insultes de cette furie. À moi, mes fidèles, à moi les Sans-Peur de la Chapelle, de Popincourt et de Belleville !

Maintenant les dix hommes et leur chef étaient prêts à se ruer comme des loups enragés sur Mme Clavière.

La mère Agathe et sa compagne, laissées libres, se précipitèrent vers la Dame en noir, et avec deux autres religieuses et trois converses accourues aux cris, elles firent à la mère et à l’enfant un rempart de leur corps.

Édouard était aussi un des défenseurs de sa protectrice, de sa seconde mère.

Huit femmes et un enfant contre onze bandits armés jusqu’aux dents ! La lutte ne pouvait pas être longue.

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