VII LA CHIFFONNE JOUE UN NOUVEAU RÔLE

Mme de Mégrigny avait passé dans les larmes la fin de la journée du vendredi. La nuit fut affreuse. Bien qu’elle se fût couchée à une heure avancée, elle ne put trouver un instant de sommeil. Continuellement elle répétait :

– Il faut que je voie Henri, il le faut ; ce qu’il me conseillera de faire, je le ferai.

Elle se leva à sept heures, s’habilla très simplement, comme une petite bourgeoise, et à neuf heures moins quelques minutes elle sortit, ayant le visage couvert d’un voile épais.

Elle avait à faire un assez long trajet pour ses pieds peu habitués à la marche ; cependant elle ne songea pas à prendre une voiture. Que lui importait qu’elle fût espionnée ? Elle n’avait plus à se cacher.

Elle arriva rue de la Chaussée-d’Antin par la rue de Provence.

Soudain, dans un homme qu’elle vit d’abord marcher lentement sur le trottoir, comme un promeneur peu pressé, puis s’arrêter devant le magasin de modes de la maison où demeurait M. de Bierle, elle reconnut l’individu qu’elle avait rencontré à peu de distance de l’hôtel de Mégrigny le matin du jour où elle était allée voir sa fille à Bourg-la-Reine.

Cette seconde rencontre lui fit éprouver la même sensation désagréable, indéfinissable.

Instinctivement, elle s’effaça dans l’angle d’un pilastre de la porte-cochère. Elle tremblait comme si elle avait eu la fièvre.

– Cet homme est un espion de mon frère, se dit-elle ; c’est ce misérable qui m’a suivie l’autre jour et a ainsi découvert où était ma fille. Que fait-il là aujourd’hui ?

Une subite clarté l’éclaira.

– Ah ! je comprends : maintenant, c’est M. de Bierle qu’il espionne.

Elle ne se trompait pas. Mais, comme nous allons le voir bientôt, ce fut un bonheur pour elle de reconnaître le misérable.

Peut-être l’ancien serrurier aimait-il à se donner l’aspect d’un vieillard ; dans tous les cas, en se déguisant ainsi le matin, il ne se doutait guère du mauvais service qu’il allait rendre à M. le baron, son maître.

Cependant Mme de Mégrigny vit l’espion s’éloigner et descendre la rue dans la direction du nouvel Opéra alors en construction.

Vivement, la jeune femme sortit de sa cachette. Mais comme elle arrivait devant le magasin de modes, elle vit l’homme se retourner brusquement et revenir sur ses pas.

Craignant à son tour d’être reconnue, ne sachant plus ce quelle faisait, perdant la tête, elle ouvrit la porte du magasin et se précipita à l’intérieur, affolée.

– Cachez-moi, vite, cachez-moi ! dit-elle à la demoiselle de magasin qui s’avançait vers elle.

La demoiselle n’eut pas le temps de prononcer une parole.

Mme de Mégrigny avait vu la porte de l’arrière-boutique ; elle s’élança de ce côté, ouvrit, entra et se trouva en présence des trois femmes stupéfaites.

– Je vous demande pardon, mesdames, dit-elle, oh ! oui, pardonnez-moi ; je suis très effrayé et, vous le voyez, je suis toute tremblante.

– Que puis-je faire pour vous, madame ? demanda la modiste.

– Ce que vous pouvez faire… balbutia la jeune femme regardant de tous les côtés avec effarement.

Son regard rencontra celui de Mme Clavière.

– La Dame en noir ! exclama-t-elle.

Et, se rapprochant de Mme Clavière, elle lui saisit les deux mains.

– Qui êtes-vous, madame ? demanda Marie.

– Ah ! oui, vous ne me reconnaissez pas sous mon voile.

D’un mouvement brusque elle arracha le voile en disant :

– Je suis Mme de Mégrigny !

Mme Clavière éprouva un vif saisissement de surprise.

– Chère madame, dit-elle, vous n’avez rien à craindre ici, rassurez-vous. Vous paraissez, en effet, très effrayée ; puis-je vous en demander la cause ?

– Un homme, dans la rue…

– Cet homme vous aurait-il insultée ?

– Non. Je ne crois pas qu’il m’ait vue ; dans tous les cas, grâce à mon voile, il n’a pu me reconnaître.

– Qu’est-ce donc que cet homme ?

– Un misérable, un vil espion !

– Oh ! fit Mme Clavière, échangeant un rapide regard avec Charlotte et la Chiffonne.

– Le voilà, le voilà qui passe ! s’écria Mme de Mégrigny, en reculant jusqu’au fond de la pièce.

Les regards tournèrent du côté de la rue.

L’ancien serrurier passait, en effet, devant le magasin.

– Je me trompais tout à l’heure, dit tout haut la Chiffonne, ce n’est pas à moi qu’il en veut.

– Ce serait donc, en ce cas, M. de Mégrigny qu’il poursuit, dit Mme Clavière.

– Je ne le pense pas, répondit Blanche ; moi, il m’a suivie, espionnée il y a quelques jours ; aujourd’hui, j’en suis sûre, c’est un jeune homme qui reste dans cette maison qu’il est chargé d’espionner.

– Comment se nomme ce jeune homme ? demanda Charlotte.

– Henri de Bierle, répondit Mme de Mégrigny, dont le visage pâle se couvrit d’une légère couche de carmin.

– Je connais très bien M. de Bierle ; nous causons quelquefois ensemble ; s’il est chez lui en ce moment, je vais le prévenir qu’il ait à se défier de ce misérable.

Sur ces mots, Mme Pinguet s’élança dans l’escalier en colimaçon qui conduisait à son atelier, à l’entresol.

Mme Clavière avait remarqué la rougeur subite de Mme de Mégrigny et deviné, aussitôt, une partie de la vérité.

À son tour, elle prit une des mains de Blanche qu’elle serra doucement et lui dit :

– Voulez-vous me dire ce que vous avez à redouter de cet homme que vous appelez un espion ?

– Tout, madame, tout !

– Il vous a suivie, espionnée dernièrement, pourquoi ?

– Pour savoir où j’avais placé, je puis même dire caché mon enfant, dont j’avais cru devoir me séparer.

– Ah ! Et qu’est-il arrivé ?

– Ce qui est arrivé, répondit Blanche en pleurant, on m’a pris, on m’a volé mon enfant !

– Oh ! fit Mme Clavière, qui ne put s’empêcher de tressaillir.

La Chiffonne, les yeux étincelants, se rapprocha vivement.

– Madame, quand vous a-t-on volé votre enfant ? demanda-t-elle.

– L’avant-dernière nuit.

– C’est une petite fille, n’est-ce pas ?

– Oui.

– Il y a un monsieur, un baron mêlé dans l’affaire ?

– Oui, oui, mon frère ! Mais comment savez-vous ?…

– Répondre à votre question en ce moment serait trop long, plus tard…

Madame, continua la Chiffonne, s’adressant à la Dame en noir, c’est lui qui a fait le coup !

– Je le crois comme vous ; ah ! le misérable !

– Ils étaient deux hommes, dit Mme de Mégrigny, un de petite taille, l’autre grand, très fort, ayant la barbe et les cheveux noirs.

– C’est cela même, il avait teint ses cheveux et sa barbe.

Mme de Mégrigny sanglotait.

– Ne pleurez plus, madame, et soyez consolée ! s’écria la Chiffonne ; je sais où est votre petite fille et, pas plus tard que ce soir, je vous la rendrai.

– Que dites-vous ! exclama la pauvre mère éperdue.

– Je vous rendrai votre enfant !

– Et c’est vrai, vous ne me trompez pas ? Mais qui êtes-vous donc ?

Les yeux de la Chiffonne se remplirent de larmes.

Regardant tristement la mère d’André, elle répondit :

– Je suis une ancienne voleuse d’enfant !

– Julie, Julie, dit Mme Clavière, pourquoi revenir ainsi sur les choses passées.

– Vous avez raison, madame, je ne dois pas être pour moi plus terrible que vous-même. Ah ! Dieu me pardonne à son tour, puisqu’il se sert de moi pour sécher les larmes de cette pauvre mère après tant de douleurs que j’ai causées à une autre.

– Julie, reprit Mme Clavière, après un instant de silence, pouvez-vous nous dire ce que vous comptez faire ?

– Oui, certainement ; il le faut, du reste, car je vais avoir besoin d’une certaine somme d’argent, que je ne possède pas.

– Tout ce que vous voudrez, je vous le donnerai, dit vivement Mme de Mégrigny.

– Madame, reprit la Chiffonne, votre petite fille est à Belleville ; elle a été confiée, hier matin, à une vieille femme appelée Topin, mais plus connue à Belleville, Ménilmontant, les Prés-Saint-Gervais et Romainville sous le nom de la Fauvette. Cette vieille, qui n’a pas moins de soixante-ans, a fait dans sa vie toutes sortes de vilains métiers ; elle a été marchande à la toilette et en même temps receleuse ; aussi a-t-elle eu souvent maille à partir avec la justice.

– Oh ! Et c’est à une pareille créature que l’on a confié mon enfant !

– Probablement, madame, parce que l’on n’a pas trouvé mieux.

Je connais la Fauvette et suis allée une fois dans la maison où elle demeure à Belleville, rue des Rigoles. Maintenant, voici ce que je ferai : J’irai la trouver et lui dirai de me rendre l’enfant.

– Le voudra-t-elle ?

– Oui, car je lui parlerai de la bonne manière, et rien qu’en la menaçant du commissaire de police…

– Si c’est possible, il faut éviter de faire intervenir la police.

– Je le comprends si bien, madame, que c’est pour cela que j’aurai besoin d’une certaine somme.

– J’ai quatre mille francs sur moi, tenez, les voici.

– C’est trop, madame, la moitié de cette somme sera suffisante : La Fauvette a reçu cinq cents francs pour garder la petite fille et on lui a promis de lui donner plus tard une pareille somme. Eh bien, quand je lui offrirai deux mille francs, elle s’empressera de me rendre l’enfant. Avec cette somme et les cinq cents francs qu’elle a déjà, elle pourra quitter l’espèce de galetas où elle habite et aller se loger ailleurs afin de ne pas avoir à redouter la colère de ceux qu’elle aura trahi.

Oh ! vous pouvez être tranquille, madame, bien tranquille, je réussirai.

– Que Dieu vous entende et soit avec vous !

– Quand j’aurai votre petite fille, madame, où devrai-je la conduire ?

– Oh ! pas à l’hôtel de Mégrigny, non, non, pas là ! Ni à Bourg-la-Reine, chez sa nourrice… Mon Dieu, où donc vais-je pouvoir placer ma chère petite ?

– Comment pouvez-vous être embarrassée, quand vous connaissez la maison de Boulogne ? dit doucement Mme Clavière.

– C’est vrai, c’est vrai ! Et vous pensez que la bonne mère Agathe acceptera mon enfant ?

– Avec joie, avec bonheur ; et si la mignonne a encore besoin des soins de sa nourrice, celle-ci sera également reçue à la Maison maternelle.

– Mais c’est donc la Providence qui m’a conduite ici !

À ce moment Mme Pinguet reparut, rentrant par la porte du magasin. Mme de Mégrigny l’interrogea avidement du regard.

– M. de Bierle n’est pas chez lui, dit Charlotte ; c’est Mme Gallois, sa femme de ménage qui m’a ouvert. J’ai trouvé la brave femme tout en larmes et c’est un peu à cause de cela que je suis restée plus longtemps que je ne l’aurais voulu.

Il paraît qu’une chose très malheureuse est arrivée à M. de Bierle.

– M. Henri, m’a dit Mme Gallois, est sorti ce matin de très bonne heure pour aller aux environs de Paris où il y avait quelqu’un à voir.

– Il ne savait rien encore, dit Mme de Mégrigny, il est allé à Bourg-la-Reine et la nourrice lui a tout appris.

Charlotte, étonnée, regarda tour à tour Mme de Mégrigny, son amie et la Chiffonne.

– Continue, ma chère Charlotte, dit Mme Clavière, tout à l’heure nous t’expliquerons ce que tu ne comprends pas maintenant.

– Je disais donc, reprit la modiste, que M. de Bierle était allé voir quelqu’un aux environs de Paris. Il est rentré après neuf heures, pour prendre son courrier, et après avoir causé un instant avec la femme de ménage, il est de nouveau sorti.

– Vous seriez montée deux minutes plus tôt, vous l’auriez rencontré dans l’escalier, m’a dit Mme Gallois.

Mme de Mégrigny ne se trompait pas en disant que l’homme aux cheveux blancs espionnait M. de Bierle. Je viens de regarder de tous les côtés dans la rue, l’homme a disparu.

Faisant son métier d’espion, il s’est mis à suivre M. de Bierle.

Avec la permission de Mme de Mégrigny, Mme Clavière mit son amie au courant de la situation. Puis, s’adressant à la Chiffonne, elle reprit :

– Ce soir, avez-vous dit, vous vous ferez rendre la petite fille ; mais en une pareille circonstance il vaut mieux agir plus tôt que plus tard, quand c’est possible. Est-ce que vous ne pouvez pas disposer de votre après-midi entière ?

– Si madame ; mais il faut que retourne à Saint-Mandé prévenir Aurélie, qui sans cela, serait très inquiète.

– Écoutez, Julie, voici, je crois, ce que nous devons faire : on enverra un télégramme à votre amie pour qu’elle ne soit pas inquiète ; moi-même en ferai parvenir un à la mère Agathe pour la prévenir que j’arriverai tard à Boulogne.

Se tournant vers Mme de Mégrigny :

– Je pense, madame, que vous voudrez accompagner Mlle Julie à Belleville.

– Mademoiselle doit me rendre mon enfant ; je ne veux plus la quitter avant qu’elle l’ait mis dans mes bras.

– Eh bien, madame, j’irai à Belleville avec vous et Mlle Julie.

– Oh ! vous êtes bonne !

– Je connais la douleur que vous avez éprouvée et je compatis à toutes les souffrances. Donc, voilà déjà une chose décidée.

– Maintenant, où nous retrouverons-nous et à quelle heure ?

– Si vous êtes attendue, ne pouvez-vous pas envoyer aussi un télégramme ?

– Je ne suis pas attendue et n’ai personne à prévenir chez moi.

– En ce cas, ne nous quittons pas, nous déjeunerons ici. Tu entends, Charlotte, tu peux prévenir ta cuisinière.

– Et tout de suite, ma chère Marie, dit Mme Pinguet, qui remonta vite à l’entresol.

– Quand nous aurons déjeuné, reprit Mme Clavière, nous monterons dans une voiture de remise qu’on ira nous chercher et nous nous rendrons à Belleville. Nous ne vous accompagnerons pas, Julie, chez cette vieille femme que, vous appelez la Fauvette. Pendant que vous irez prendre l’enfant, nous vous attendrons dans la voiture, madame et moi, au coin de la rue ou à un autre endroit que vous désignerez. Acceptez-vous ces arrangements ?

– Oui, oui, répondirent Mme de Mégrigny et la Chiffonne.

Charlotte étant redescendue, Mme Clavière lui demanda si son mari était rentré.

– Oui, depuis un quart d’heure, répondit Charlotte ; s’il n’est pas venu ici, c’est qu’on lui a dit que tu étais en société.

– Tu le prieras d’aller porter nos dépêches au bureau télégraphique.

Mme Clavière se fit donner ce qu’il fallait pour écrire, rédigea son télégramme à la mère Agathe, puis celui de la Chiffonne à Aurélie, qu’elle signa : C. Pinguet, et qui était ainsi conçu :

« Je garde votre amie Julie toute cette après-midi. »

À son tour, Mme de Mégrigny prit la plume et traça les lignes suivantes :

« Henri,

« Ce matin encore j’étais dans le désespoir ; mais à l’heure où je vous écris je suis consolée. Je sais où est ma fille, dans quelques heures elle sera dans mes bras, je la presserai contre mon cœur. Je remercie Dieu qui a placé sa Providence entre mon frère et moi.

« Mme Pinguet, qui vous remettra cette lettre, vous dira comment je suis entrée chez elle et ce qui s’y est passé.

« BLANCHE. »

* *

*

À deux heures de l’après-midi, une voiture de remise attelée de deux chevaux, stationnait au bas de la rue des Rigoles, à Belleville. La Dame en noir et Mme de Mégrigny attendaient la Chiffonne.

– Mon Dieu, si elle ne réussissait pas ! disait Blanche, dont le cœur battait à se rompre.

– N’ayez pas cette crainte, répondit Mme Clavière ; je connais Julie Verrier, du moment qu’elle vous a dit : je réussirai, c’est qu’elle avait la certitude de ne pas vous donner une fausse espérance.

– Je saurai m’acquitter envers elle, mais envers vous, madame, je ne le pourrai jamais… Ah ! croyez-le bien, mon cœur vous gardera une éternelle reconnaissance.

– Me permettez-vous de vous parler en amie et de vous donner un conseil ?

– Ah ! vous me comblez, Madame : Oui, oui, accordez-moi votre amitié, qui me sera si précieuse et si chère et conseillez-moi.

– Ce matin même on m’a parlé de votre frère.

– Qui donc peut s’occuper de ce misérable ?

– Mon notaire, qui est en même temps un de mes meilleurs amis. Il sait que vous êtes une ancienne élève de la mère Agathe et qu’elle vous porte un vif intérêt.

– « Si Mme de Mégrigny n’y prend garde, m’a-t-il dit, si, immédiatement, elle ne retire pas à son frère les pouvoirs qu’elle lui a donnés, il la ruinera, elle et son enfant, il les mettra sur la paille. »

Non seulement ces paroles n’émurent point Mme de Mégrigny, elles parurent lui causer, au contraire, une satisfaction si vraie, que Mme Clavière la regarda avec un profond étonnement.

Blanche devina la pensée de sa nouvelle amie et un sourire intraduisible glissa sur es lèvres.

– La grande fortune que m’a laissée M. de Mégrigny est un fardeau si lourd qu’il m’écrase, dit-elle ; ce que vous venez de m’apprendre ne me surprend pas beaucoup, je m’en doutais. Qu’il me ruine, qu’il me ruine donc ! C’est seulement quand je ne l’aurai plus, cette fortune de M. de Mégrigny, que je serai heureuse !

Vous ne comprenez pas, vous ne pouvez pas comprendre, parce qu’il est des choses terribles que vous ignorez et que je n’ai pas encore osé révéler à la mère Agathe ; mais je vous les ferai connaître, ces terribles choses, et vous aurez pitié de moi et vous me donnerez les conseils dont j’ai tant besoin ; aujourd’hui même, ce soir, à vous et à l’excellente mère Agathe je ferai ma confession.

– Vous avez souffert, je le vois.

– Énormément souffert.

– Hélas ! il semble que la femme est faite pour connaître toutes les douleurs. Comme vous, madame de Mégrigny, j’ai eu déjà de bien mauvaises heures dans ma vie ; nous sommes sœurs par la souffrance.

Les deux jeunes veuves se tendirent la main.

– Mon Dieu, dit Blanche, il me semble que Mlle Julie est bien longtemps.

Mme Clavière avança la tête par un des carreaux baissés de la portière.

– La voici, dit-elle.

– Et ma fille !

– Votre fille est dans ses bras.

Mme de Mégrigny se précipita vers la portière en poussant un cri de joie.

– Allons, soyez calme, lui dit la Dame en noir, ne nous faisons pas remarquer.

Et, vivement, elle ouvrit la portière.

La Chiffonne arrivait essoufflée, haletante, mais toute rayonnante.

– Maman, maman, maman ! s’écria la petite Henriette en reconnaissant sa mère.

Et des bras de la Chiffonne l’enfant passa dans ceux de sa mère, qui l’étreignit contre son cœur et couvrit son front, ses yeux et ses joues de baisers délirants.

La Chiffone avait reprit sa place dans la voiture qui partit à fond de train, emportée par le trot rapide des chevaux.

En route, à un endroit assez rapproché de la rue de la Chaussée-d’Antin, la voiture s’arrêta pour permettre à la Chiffonne de mettre pied à terre. Elle quittait là les deux jeunes femmes et allait, avant de retourner à Saint-Mandé, annoncer à Mme Pinguet que l’enfant avait été rendu à sa mère.

La Chiffonne s’éloigna ayant au cœur la plus grande joie qu’elle eût jamais éprouvée. Mme de Mégrigny l’avait appelée son amie et l’avait embrassée !

La voiture filait maintenant comme un trait dans la direction de Boulogne.

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