XVI AU BORD DE L’EAU

Alfred de Linois, avec l’assentiment de M. le comte, car il ne pouvait rien faire ni aller nulle part sans l’autorisation de l’un ou l’autre des auteurs de ses jours, Alfred de Linois, disons-nous, était allé dîner chez les de Lancelin, au Petit Château, et il y devait passer la soirée.

Par contre, M. Logerot avait dîné aux Pins, entre M. et Mme de Linois. Et si l’on avait permis à Alfred de se rendre au Petit Château, c’est qu’on avait tenu à l’éloigner afin de causer plus à l’aise avec le curé de Grisolles.

Celui-ci avait à rendre compte de la mission dont la comtesse l’avait chargé ; mais n’ayant rien de bon à annoncer, il s’était dit :

– J’attendrai qu’on m’interroge.

Le repas s’était terminé sans qu’on eût seulement prononcé le nom de Mlle Dubessy ; cela signifiait que c’était uniquement à elle qu’on pensait. Et si le curé eût su qu’après lui le comte avait vu la jeune châtelaine, il aurait compris pourquoi la comtesse faisait piteuse mine et pourquoi le comte avait le regard sombre, bien qu’il affectât de paraître très gai.

Maintenant, on était au salon.

– Eh bien, monsieur le curé, dit enfin Mme de Linois, avez-vous causé avec Mlle Claire Dubessy ?

– Oui, chère madame, et assez longuement ; aussi bien que je le pouvais, je me suis acquitté de la mission dont vous m’aviez chargé et que j’avais acceptée avec plaisir.

– Malheureusement, votre démarche n’a pas eu le résultat que nous désirions tous.

M. Logerot secoua la tête.

– Et pourtant, fit-il, j’ai chaleureusement plaidé la cause de M. le vicomte.

– M. le comte et moi en sommes convaincus, monsieur le curé. Ainsi, c’est toujours la même réponse : « – Je ne suis pas encore décidée à me marier. »

– Oui, chère madame.

– Étrange jeune fille ! car, enfin, et j’en suis sûre, Alfred ne lui déplaît pas.

– Loin de là ; M. le vicomte lui est, au contraire, très-sympathique, – elle me l’a dit, – et elle ne méconnaît aucune de ses qualités.

– Eh bien, alors ?

– Mais son affection pour M. le vicomte n’est qu’une sincère amitié.

Mme de Linois eut un mouvement d’impatience et de dépit.

– Monsieur le curé, reprit-elle, ne croyez-vous pas qu’elle ait quelque arrière-pensées ?

Le comte, qui jusque-là avait paru concentré en lui-même, se redressa et regarda fixement le vieillard.

– Mlle Dubessy, répondit-il, ne m’a rien laissé deviner de ce qui se passait en elle.

– Oh ! Elle a un grand empire sur elle-même ; je l’ai souvent constaté. Enfin, monsieur le curé, quelle est l’impression qui vous est restée après les réponses qu’elle vous a faites ?

– Je l’ai quittée avec cette conviction que M. le vicomte n’avait plus qu’à renoncer à ses projets.

– C’est impossible, il l’aime trop ! s’exclama Mme de Linois, en jetant un regard sur le comte.

Celui-ci était très pâle et avait dans le regard un sombre éclair.

– Malheureusement pour M. le vicomte, répondit le curé, je vous le dis en toute sincérité, il n’y a pas à conserver le moindre espoir.

– Ainsi, ce serait la vie de notre fils brisée ! Mon Dieu, mais il pourrait en devenir fou ou en mourir !

– Quand il y a nécessité absolue, chère madame, il faut savoir prendre de grandes résolutions. Assurément, M. le vicomte souffrira cruellement ; mais il aura près de sa mère, qui puisera dans son cœur de chrétienne de bonnes paroles de consolation, et avec le temps et surtout l’aide de Dieu, M. le comte guérira de son amour.

– On ne guérit pas d’un amour comme le sien, on en meurt !

– Allons, allons, ne doutez pas de la miséricorde du Seigneur, qui est infinie.

– Monsieur le curé, s’écria Mme de Linois qui paraissait prête à suffoquer, je suis tentée de croire que mon fils a été desservi, peut-être calomnié auprès de Mlle Dubessy.

– Oh ! ne pensez pas cela !

– Repoussé, lui, Alfred ! Et pourtant, ce n’est ni le sec Bertillon, ni le gros de Lancelin, ni M. Marcillac, ni même M. Trumelet qu’elle peut préférer à mon fils !

– Ces messieurs peuvent aussi cesser de prétendre à la main de Mlle Dubessy.

– Elle vous a dit cela !

– Non, mais je sais…

– Vous savez… Ah ! monsieur le curé, dites-nous ce que vous savez.

M. Logerot n’était ni bavard, ni indiscret ; mais il pensa que, dans l’intérêt du jeune de Linois, il avait le droit de révéler ce que M. Darimon lui avait appris. Ne soupçonnant point le mobile qui faisait agir les de Linois, il était loin de se douter de l’effet foudroyant qu’il allait produire.

– Eh bien, madame la comtesse, eh bien, monsieur le comte, Mlle Dubessy n’a plus le cœur libre comme on le croit, elle aime ! Et nous la connaissons assez pour être certains que celui qu’elle aime est l’époux qu’elle a choisi.

Le comte bondit sur son siège. La comtesse était livide. Tous deux paraissaient écrasés. Mais ce ne fut qu’un instant de stupeur.

– Qui est donc celui que Mlle Dubessy aime ? demanda le comte.

– M. Édouard Lebel, répondit le curé.

Mme de Linois poussa une exclamation rauque, qui contenait toute sa rage. Et, debout, la poitrine haletante, elle allait jeter feu et flamme lorsque d’un regard terrible le comte lui imposa silence.

– Ah ! ah ! fit-elle, en retombant lourdement sur son siège.

– Est-ce que M. Édouard Lebel aime Mlle Dubessy ? demanda le comte avec calme et ayant le sourire sur les lèvres.

Mais M. Logerot devinait chez le comte et la comtesse une fureur mal dissimulée, et se repentant déjà d’en avoir trop dit, il répondit :

– Je ne sais pas si le jeune peintre aime Mlle Dubessy ; mais, ce qui est certain, c’est qu’il n’a jamais prononcé une parole qui pût le faire soupçonner.

– Je ne connais pas ce garçon, dit le comte ; il est intelligent, paraît-il, et a, dit-on, quelque talent ; mais sans famille, ramassé sur la voie publique et élevé par charité dans une maison d’assistance, il doit comprendre qu’entre Mlle Dubessy et lui il y a un abîme. Et c’est donner une preuve de son intelligence que de savoir se tenir à sa place et à distance.

Quant à Mlle Dubessy, si elle aime réellement ce jeune homme, elle fait bon marché de sa dignité et manque absolument de cette fierté, de cette élévation de sentiment dont on se plaisait à faire son plus bel ornement. Mais pour l’honneur de la jeune châtelaine de Grisolles, j’aime à croire que vous avez été mal renseigné, monsieur le curé. Dans tous les cas, ce ne pourrait être qu’une fantaisie, un caprice comme il en passe souvent dans la tête des jeunes filles. Il est inadmissible que Mlle Dubessy, qui s’est placée si haut dans l’estime des honnêtes gens, puisse songer sérieusement à épouser cet artiste qui sort on ne sait d’où et ignore probablement de qui il est né.

Enfin, et quoi que vous en puissiez dire, monsieur le curé, le vicomte de Linois ne renoncera pas au bonheur de donner son nom à Mlle Claire Dubessy. Je connais les femmes ; elles sont changeantes comme l’onde, et j’espère que chez Mlle Dubessy un revirement se produira en faveur de mon fils.

M. Logerot ne crut pas devoir répliquer, et la conversation en resta là.

Quelques instants après le vieux prêtre se retira.

Alors, n’ayant plus à se contraindre, le comte asséna un formidable coup de poing sur la table près de laquelle il était assis. Et, après un épouvantable juron :

– Il était grand temps que j’arrive et vienne jouer mon rôle dans cette affaire ! s’écria-t-il ; si j’avais retardé d’un mois, tout, peut-être, aurait été perdu ! Ton curé n’a pas dit tout ce qu’il sait…

– Pourtant…

– Il sait que cet artiste de malheur aime la riche héritière et il n’a pas voulu nous le dire. Pourquoi ? Probablement parce que lui-même est honteux de cela.

Maintenant, il n’y a plus à roucouler, à faire la roue, mais à aller de l’avant et bon train. Alfred épousera la châtelaine, il nous faut ce mariage ; qui veut la fin veut les moyens ; eh bien, les moyens, on les trouvera !

Il ajouta avec un regard de fauve :

– Je me jette dans la mêlée, et gare à qui se placera en travers de mon chemin : je l’écraserai !

*

* *

Il pouvait être dix heures du soir. Le ciel, qui était magnifiquement étoilé une heure auparavant, s’était couvert presque subitement. La nuit était noire et il y avait menace d’orage ; de temps à autre, à l’ouest, un éclair jetait son éblouissante clarté, et dans le lointain on entendait le grondement sourd du tonnerre.

Un homme d’une trentaine d’années, aux allures mystérieuses, marchait lentement et avec précaution sur le sentier qui longe le mur du jardin de la villa des Pins, d’un côté, et de l’autre la petite rivière dont nous avons déjà parlé et qu’on appelle la Lurette.

Cet homme, vêtu comme les paysans du pays, portait une blouse serrée au-dessus des hanches par une ceinture, était coiffé d’une casquette et avait les pieds dans des chaussons de feutre, ce qui lui permettait de marcher sans bruit. Mais que faisait-il là à cette heure déjà avancée de la nuit ? Était-il à un poste d’observation ou en quête de quelque découverte ? Peut-être l’un et l’autre.

Il marchait lentement et sans bruit, nous l’avons dit, et à chaque instant il s’arrêtait, plongeait son regard dans les ténèbres et tendait l’oreille comme s’il eût eu peur d’être surpris.

Il arriva à la petite porte du jardin contre laquelle il se disposait à coller son oreille, lorsque de l’autre côté un bruit de pas se fit entendre.

Notre homme n’eut que le temps de se rejeter en arrière et ensuite de se blottir dans une touffe épaisse de ces osiers verts qui croissent sur les bords de beaucoup de rivières.

La porte s’ouvrit et un homme sortit du jardin portant une douzaine de ces engins appelés balances, dont on se sert pour pêcher les écrevisses.

Le pêcheur, qui n’était autre que le factotum, le domestique de confiance du comte et de la comtesse de Linois, tendit ses balances le long même de la propriété de ses maîtres, sachant évidemment qu’à cet endroit les crustacés qu’il voulait prendre n’étaient pas moins nombreux que partout ailleurs dans la Lurette.

Par exemple, l’homme caché dans les osiers et qui ne s’y trouvait pas à son aise, n’était pas content. Il ne voulait pas être vu, c’est-à-dire se montrer, et il se demandait s’il allait être condamné à rester plusieurs heures enfermé dans la touffe d’osiers, ou si le pêcheur aux écrevisses, rentrant dans le jardin, ne lui permettrait pas de s’esquiver.

L’aventureux jeune homme ne put battre en retraite ainsi qu’il le désirait, mais un intéressant dialogue qu’il entendit et dont il ne perdit pas un mot, le dédommagea amplement de la courbature que lui valut sa faction forcée dans les osiers, où il n’était pas aussi à son aise que couché sur un lit de roses.

Le pêcheur venait de lever une première fois ses balances et de mettre une vingtaine d’écrevisses dans son sac, lorsqu’un nouveau personnage sortit du jardin et s’avança de quelques pas sur le sentier. C’était le comte de Linois, fumant un fin cigare de la Havane.

– Bertrand, es-tu là ? demanda-t-il sans trop élever la voix.

– Oui, me voici, répondit le domestique, s’empressant de rejoindre son maître.

– Quelle diable d’idée as-tu eue de venir à la pêche par cette nuit noire ? reprit le comte.

– L’idée de vous régaler demain d’un superbe buisson d’écrevisses.

– En prendras-tu seulement une ?

– J’en ai déjà vingt ou vingt-deux dans ce sac.

– Ah ! Pourtant le temps est fortement à l’orage.

– C’est précisément ce qui m’a décidé à tendre mes balances ; la pêche aux écrevisses est toujours bonne quand il y a de l’orage en l’air.

– Tiens, je ne savais pas cela.

– Hé, hé, maître, si vous saviez tout, vous seriez trop savant, répliqua assez irrévérencieusement Bertrand.

– Soit. Mais on apprend tous les jours des choses fort singulières, et ce soir même…

– Vous apprenez que les écrevisses se font prendre plus facilement quand le temps est à l’orage.

– Cela, oui, mais une autre chose plus sérieuse.

– Qu’est-ce donc ?

– Crois-tu qu’il n’y a personne par ici qui puisse nous entendre ?

– Qui voulez-vous qui vienne se promener au bord de l’eau à pareille heure et quand on y voit à peu près comme dans un four ?

– Tu as raison, Bertrand ; et puisque je n’ai pas la moindre envie de m’aller mettre au lit, nous allons causer. On peut s’asseoir, je pense ?

– À cet endroit, maître, sur ce talus couvert d’une herbe épaisse : nous serons là, les jambes pendantes au-dessus de l’eau, comme dans de bons fauteuils.

Les deux hommes s’assirent au bord de la rivière, et si près de la touffe d’osiers où le promeneur nocturne s’était caché, qu’ils auraient pu entendre le bruit de sa respiration, s’il n’eût pas été couvert par le clapotage continuel des eaux de la Lurette.

– Maintenant, maître, dit Bertrand, qu’avez-vous à me dire ?

– D’abord que nous jouons de malheur.

– Comment cela ?

– Loin de marcher comme je le voudrais, l’affaire du mariage menace de nous échapper.

– Tonnerre ! jura le domestique ; alors, elle a dit son mot, elle ne veut pas de M. le vicomte ?

– Elle ne s’est pas prononcée aussi catégoriquement, mais elle m’a fait comprendre qu’il ne fallait plus espérer. Et puis, ce qu’elle ne m’a pas dit, à moi, le curé nous l’a appris ce soir : le choix de son futur mari est fait.

– Roulés, nous sommes roulés !

– Oh ! pas encore, prononça sourdement le comte.

– Qui est celui qu’elle a choisi ?

– Ce misérable barbouilleur qu’elle a fait venir de Paris et tiré ainsi de la plus profonde misère.

– Est-ce possible ? C’est à n’y pas croire. Et le mariage est décidé ?

– Non, pas encore.

– Qu’allez-vous faire ?

– Tout ce qu’il faudra pour la forcer à épouser Alfred, répondit le comte d’une voix creuse.

– À la bonne heure. Vous n’êtes pas homme à laisser échapper les millions, ni à permettre qu’on vous coupe l’herbe sous le pied. Quel est votre projet ?

– Il n’est encore qu’à l’état d’ébauche ; le moment venu, je te le ferai connaître ; du reste, j’aurai besoin de toi pour l’exécution.

– Tout à vos ordres, maître.

– Sans doute, puisque tu es associé dans l’affaire.

– Comme vous j’ai des besoins à satisfaire, comme à vous il me faut de l’or, beaucoup d’or.

– Aussi ne reculerons-nous devant rien.

– Voyons, si l’on commençait par se débarrasser de l’artiste ?

– C’est à examiner. Il faut voir quelle difficulté présenterait la chose, quel pourrait en être le résultat ; c’est-à-dire bien peser si le danger à courir ne serait pas plus grand que l’avantage à en tirer.

– Sans doute, maître ; dans tous les cas, rien ne serait plus facile que de lui planter une fine lame d’acier dans la poitrine, et en défiant après tous les hommes de justice de Poitiers de découvrir celui qui aurait fait le coup. Je crois même que la justice s’égarerait si bien dans ses recherches que, croyant avoir trouvé le coupable, elle mettrait sa griffe sur un innocent.

Mais, à ce propos, ce M. Lebel est un chenapan de la plus belle eau, un Parisien vraiment fin de siècle ; il chasse en même temps deux gibiers à la fois, un gros et un petit, et peut-être trouve-t-il que ce n’est pas assez. Pourtant, c’est assez joli : la brune châtelaine pour ses écus et la jolie femme blonde du menuisier Moranne pour le plaisir. Ah ! le gaillard, comme il y va !

– Ah çà ! Bertrand, qu’est-ce que tu racontes ?

– Vous ne savez donc pas ?…

– Je ne sais rien.

– Eh bien, maître, l’artiste fait positivement et très assidûment la cour à la femme du menuisier Moranne, qui est on ne peut plus appétissante. Depuis quelque temps déjà, il passe toutes ses soirées dans la maison du menuisier, qui voit ou ferme les yeux, – ça, c’est son affaire, – et il se plaît si bien en la compagnie de la jolie blonde, qu’il ne rentre plus au château que passé minuit.

– Oh ! oh ! fit le comte, voilà qui est bon à savoir.

– Je suis surpris que madame… la comtesse ne vous ait pas déjà parlé de cela. C’est connu à Grisolles et le monde en jase. On trouve que le menuisier est un… singulier mari, et que s’il a la tête bien ornée, il n’a que ce qu’il mérite.

Quant à Mlle Dubessy, si elle aime M. Lebel, comme vous le dites, et qu’elle soit disposée à l’épouser, cela prouve qu’elle n’est pas aussi difficile qu’elle voulait le paraître, et qu’il ne lui déplaît pas de partager avec une autre.

– La situation est à exploiter, grommela le comte entre ses dents.

– Et l’on en peut tirer beaucoup, fit l’autre.

– Elle servira de base à un plan qui nous livrera pieds et poings liés la demoiselle aux millions.

– C’est ce qu’il faut, maître. Mille tonnerres ! vous ne seriez plus vous et je ne vous reconnaîtrais plus si vous ne parveniez pas à mâter une petite fille qui se permet de préférer à M. le vicomte un badigeonneur de vieilles toiles.

Mais pour en revenir à celui-ci, on pourrait, par une nuit noire comme celle-ci, l’attendre à sa rentrée au château, tout près de la porte du jardin dont il a une clé. Un coup rudement porté, d’une main sûre, et il aurait son compte. Le lendemain, tout le monde dans le pays crierait : C’est Moranne qui l’a tué, le menuisier s’est vengé !

– Bien trouvé, Bertrand, appuya le comte ; mais nous ne pouvons rien décider encore. Nous verrons.

Sur ces mots, les deux misérables se levèrent.

– Hum ! fit le comte, l’air se rafraîchit et il me semble que l’orage approche ; je rentre. Et toi ?

– Moi, maître, je vais terminer ma pêche ; seulement j’ai bien peur que les coquines de bêtes n’aient dévoré toutes les amorces et qu’il n’en reste plus une seule sur mes balances.

– Eh bien, Bertrand, bonsoir et bonne chance.

– Oh ! encore une vingtaine, et la cuisinière aura son buisson.

– Surtout, recommande-lui bien de ne pas mettre de vinaigre.

Le comte rentra dans le jardin et s’enfonça sous la charmille.

Bertrand, pêcheur et même assassin à l’occasion, se mit en devoir de faire la seconde et dernière levée de ses balances.

Comme il l’avait prévu, beaucoup de ses appâts avaient été mangés pendant qu’il causait avec son maître ; néanmoins, il arriva au nombre d’écrevisses qu’il lui fallait pour régaler le comte et aussi Mme de Linois et son amour d’Alfred.

Quand il fut à son tour rentré dans le jardin et qu’il eut soigneusement refermé la porte, l’homme accroupi au milieu de la touffe d’osiers sortit enfin de sa cachette, en poussant un long soupir de soulagement.

Il n’était pas bien solide sur ses jambes gourdes et ce ne fut qu’au bout de quelques instants, la circulation du sang s’étant rétablie, qu’il put reprendre son équilibre.

– Allons, se dit-il, je n’ai pas perdu ma soirée ; mais quels profonds scélérats que ces deux hommes !

Quelques instants après il était sur la route et se dirigeait d’un pas rapide vers le château de Mme la comtesse de Blérac.

Share on Twitter Share on Facebook