XVII AVERTISSEMENT

Tout n’avait pas été rose jusqu’à présent pour les époux Moranne. Le ménage avait eu des jours difficiles, de grande gêne, pour ne pas dire de grande misère. Le mariage, les frais de déplacement et d’autres dépenses forcées avaient absorbé les maigres économies de l’un et de l’autre et le travail manquait.

On ne connaissait pas le jeune menuisier, et bien qu’il eût travaillé à Paris et peut-être à cause de cela on était en défiance, et les anciens clients de l’oncle s’adressaient au concurrent du neveu qui, disait-on, n’avait pas pour quarante francs de bois dans son atelier et son magasin.

C’était vrai. Ce n’était pas un riche cadeau que le vieux avait fait à son neveu Moranne, en lui léguant sa clientèle qui, en réalité, n’existait plus. Il y avait bien l’immeuble et l’outillage ; mais que faire d’un vaste atelier, d’un superbe hangar et des meilleurs outils quand, pour travailler, on n’a pas la matière première, le bois, et qu’on manque absolument d’argent pour s’approvisionner ? Aussi le pauvre Moranne, ne sachant à quel saint se vouer, avait-il vivement regretté d’avoir quitté Paris pour venir s’installer à Grisolles où il ne connaissait personne.

Mais cette situation déplorable avait subitement changé à partir du jour où Édouard Lebel était entré pour la première fois dans la maison du menuisier.

Les habitants de Grisolles apprirent, non sans étonnement, que la comtesse de Blérac venait de confier à Moranne d’importants travaux de menuiserie qu’elle avait à faire exécuter dans son château. Plusieurs chargements de planches et autres bois à ouvrer furent emmagasinés ; et dans l’atelier, naguère silencieux, retentissait le bruit des marteaux, des scies et des rabots, maniés par quatre ouvriers habiles que Moranne avait embauchés à la ville et avec lesquels il travaillait comme un simple compagnon.

Et tout cela s’était fait comme par enchantement. Et toutes les fournitures avaient été payées comptant ! Qui donc était le personnage mystérieux qui protégeait le menuisier ?

On savait que le curé s’intéressait à Moranne ; mais, bien sûr, ce n’était pas le curé, pauvre comme Job, qui donnait l’argent.

On apprit alors que le peintre du château, évidemment attiré par les yeux bleus de Mme Moranne, était devenu l’hôte assidu de la maison du menuisier ; et, circonstance aggravante, il n’y venait que la nuit. Aussitôt les commentaires allèrent bon train et la malveillance aiguisa ses longues dents.

– Voilà, disaient les plus hardis et aussi les plus méchants, il y a toujours de la ressource dans un ménage quand la femme est jeune et jolie et qu’elle sait le prix qu’on doit mettre à ses faveurs.

Cependant, on ne disait pas encore ouvertement dans le village que Louise Moranne était la maîtresse d’Édouard Lebel ; mais, déjà, beaucoup de gens le pensaient.

Et ni la jeune femme, ni son mari, ni Édouard ne se doutaient que, peut-être, le jour était proche où toutes les mauvaises langues du pays étant déchaînées contre eux, ils seraient déchirés sans pitié, honnis et traînés dans la boue.

 

Pour le moment, Moranne et ses ouvriers travaillaient à l’atelier ; mais le menuisier se rendait souvent au château de la comtesse de Blérac pour prendre des mesures, consulter l’architecte et recevoir ses ordres.

Le lendemain de la conversation entre M. de Linois et Bertrand, que nous avons rapportée, un homme d’un certain âge, portant sur sa douce physionomie l’empreinte de la douleur, entra dans une salle du château, où Moranne était occupé à prendre les mesures d’une boiserie.

Cet homme, que le menuisier n’avait pas vu encore, était depuis quinze jours déjà l’hôte de Mme de Blérac, dont il était l’ami. Il attendit que l’entrepreneur eût pris toutes ses mesures, qu’il inscrivait sur un carnet de poche. Alors, comme le menuisier le saluait, prêt à se retirer :

– Attendez, monsieur Moranne, lui dit-il, je désire causer un instant avec vous.

Le jeune homme s’inclina respectueusement, et, très surpris, resta immobile en face du personnage qui le regardait avec beaucoup de bienveillance.

– Monsieur Moranne, reprit l’hôte du château, j’ai causé de vous ce matin avec Mme la comtesse de Blérac, qui s’intéresse beaucoup à vous et à votre femme. Vous lui avez été recommandé par M. le curé de Grisolles et plus particulièrement encore par un jeune homme qu’elle a pris en grande amitié, M. Édouard Lebel.

– C’est vrai, monsieur, et je dois à M. le curé et à M. Lebel d’être sorti d’une situation extrêmement pénible. Je n’oublierai jamais ce que M. Édouard Lebel a bien voulu faire pour moi.

– Il vous a ouvert sa bourse ?

– Oui, monsieur, généreusement ; c’est grâce à une somme relativement importante qu’il m’a avancée, sans même vouloir une reconnaissance, que j’ai pu entreprendre les travaux de menuiserie que Mme la comtesse m’a confiés, peut-être un peu contre la volonté de son architecte, qui avait un autre entrepreneur plus riche que moi.

– En effet, l’architecte n’était pas pour vous ; mais il est revenu de ses préventions et hier, devant moi, il faisait hautement votre éloge, disant à Mme la comtesse que vous étiez un ouvrier de premier ordre et que vous connaissiez à fond votre métier. Loin de chercher à vous nuire désormais, il vous procurera des travaux.

– Je lui en suis reconnaissant, monsieur ; j’ai besoin de travailler.

– Vous n’avez qu’un enfant.

– Un petit garçon de ma première femme ; mais un autre va venir bientôt, ma seconde femme est enceinte de trois mois.

– Ah !… Maintenant, monsieur Moranne, savez-vous ce que l’on commence à dire à Grisolles ?

Le menuisier ouvrit de grands yeux étonnés.

– Non, monsieur, je ne sais pas, répondit-il.

– On dit que M. Édouard Lebel fréquente beaucoup votre maison, qu’il y est attiré par Mme Moranne, une très jolie personne, et l’on ajoute, sans le dire encore bien haut, que le jeune artiste a votre femme pour maîtresse.

– Infamie ! exclama Moranne, une flamme dans le regard et rouge d’indignation.

– Je ne connais pas personnellement M. Édouard Lebel, mais je sais comment et par qui il a été élevé ; nature droite, il a trop de fierté dans l’âme pour se laisser entraîner à une action répréhensible, et je n’hésiterais pas à affirmer hautement que lui et Mme Moranne sont victimes d’une lâche et odieuse calomnie.

– Oui, monsieur, ils sont tous deux odieusement calomniés, dit le menuisier, dont les yeux s’étaient remplis de larmes. Ainsi, continua-t-il avec un mouvement de colère, voilà comment sont récompensées aujourd’hui les bonnes actions. À quoi donc sert-il d’être honnête, quand on voit le mal partout ? La bonté, la générosité, le dévouement, on n’y croit plus ; on n’admet pas qu’une franche et sincère amitié puisse exister entre une jeune femme et un jeune homme ; ils ne peuvent se voir sans être coupables, sans avoir des pensées criminelles !

Je suis désolé de ce que vous venez de m’apprendre, monsieur, désolé à cause de M. Édouard Lebel, qui nous a sauvés de la misère, à qui je dois tout. Ah ! quand il saura… quelle douleur ! Il vient chez nous le soir et en sort à une heure assez avancée de la nuit, c’est vrai ; mais il ne peut venir qu’à ces heures-là, ayant à travailler tout le jour au château.

– Dans son intérêt, monsieur Moranne, dans l’intérêt de votre femme et le vôtre, il devra cesser ses visites.

– Ah ! je le comprends, monsieur ; mais ce sera pour ma femme et moi un véritable chagrin ; nous n’avons que lui et M. le curé pour amis.

– En ce moment, mais patience, vous en aurez d’autres.

– Je ne l’espère pas puisque, sans que nous l’ayons en rien mérité, la méchanceté s’acharne ainsi après nous.

Voulez-vous savoir pourquoi M. Lebel s’est intéressé à nous et a bien voulu devenir notre ami ? Je vais vous le dire, monsieur : Louise, ma femme, n’a jamais connu ni sa mère, ni son père ; toute petite elle a été abandonnée et recueillie dans une maison de bienfaisance. C’est là qu’elle a été élevée et gardée jusqu’à l’âge de treize ans ; or M. Édouard Lebel a été aussi élevé dans cet asile consacré à l’enfance.

– La Maison maternelle de Boulogne-sur-Seine ! s’écria l’ami de Mme de Blérac ; ah ! maintenant, je comprends, je comprends !

– Ainsi, monsieur, vous connaissez la Maison de Boulogne ?

– Oui, j’y suis allé.

– Vous avez vu la bonne mère Agathe…

– C’est la supérieure de la Maison, une sainte femme.

– Elle aimait beaucoup Louise, monsieur ; aussi a-t-elle voulu assister à notre mariage. Et quand nous avons quitté Paris, c’est la bonne mère Agathe qui a donné à ma femme une lettre de recommandation pour M. le curé de Grisolles.

Malgré tout cela, voilà où nous en sommes ; on nous déteste, pourquoi ? je me le demande. D’innocentes visites donnent lieu à des interprétations d’une malveillance inouïe ; on ternit la réputation de ma femme qui, je puis le dire, est honnête comme pas une.

À Paris, monsieur, on est moins méchant que dans les villages : on ne clabaude pas contre Pierre ou Paul ; au contraire, on se soutient, on s’entr’aide ; enfin on ne se mêle point des affaires de ses voisins et on les laisse en paix.

– Monsieur Moranne, ne prenez point trop à cœur ce que je viens de vous dire.

– C’est un bienveillant avis que vous m’avez donné, monsieur, et je vous en remercie. Oh ! certainement, cela me fait beaucoup de peine d’apprendre que ma chère femme et surtout M. Édouard Lebel sont aussi mal jugés ; mais ma tranquillité de mari ne saurait être troublée. Seulement, je n’oserai jamais dire à M. Lebel qu’on lui prête des idées et des intentions qui sont si loin de sa pensée, et moins encore le prier de ne plus revenir chez nous.

– Ne lui dites rien, monsieur Moranne, et rien à votre femme ; gardez pour vous seul ce que vous savez maintenant et faites-en votre profit. Oui, Mme Moranne ne doit rien savoir ; à quoi bon la tourmenter, lui causer du chagrin ? Quant à M. Lebel, à qui je m’intéresse beaucoup et sans qu’il le sache, puisqu’il ne me connaît pas, je le préviendrai moi-même.

Je ne vous retiens plus, monsieur Moranne, vous pouvez retourner à votre atelier.

*

* *

La demie de onze heures venait de sonner à l’horloge de l’église de Grisolles.

Édouard Lebel, déjà à quelque distance du village, avait pris un sentier au milieu des blés verts, mais déjà grands, lequel raccourcissait de dix bonnes minutes le chemin qu’il avait à faire.

Tout à coup, un homme, qui avait dû se dissimuler derrière un buisson, se dressa sur le sentier, paraissant vouloir barrer le passage au jeune homme.

Celui-ci s’arrêta brusquement. Il était surpris, un peu effrayé, peut-être, mais certainement très ému.

– Monsieur Lebel ; dit l’inconnu, s’avançant à la rencontre de l’artiste, c’est être bien imprudent de vous promener dans les champs, à cette heure de la nuit.

– Mais il me semble que vous n’êtes pas moins imprudent que moi, répliqua Édouard.

– Moi, fit l’homme, je ne suis pas seul.

L’artiste vit alors deux têtes émerger au-dessus du buisson.

Il tressaillit, et d’une voix forte :

– Est-ce donc un guet-apens ? demanda-t-il.

– Non, ne craignez rien ; mais vous voyez que, en effet, vous pourriez tomber dans un guet-apens. Et tenez, je parie que vous n’êtes pas armé.

– Armé, pourquoi faire ? Je connais le pays, les chemins y sont sûrs ; on n’y rencontre pas de malfaiteurs. Et, d’ailleurs, je n’ai rien sur moi qui puisse tenter un voleur.

– Soit ; mais vous pouvez vous trouver en face d’un ennemi.

– Est-ce que j’ai des ennemis, moi ?

– Oui, peut-être.

– Ah ! fit l’artiste avec hauteur, seriez-vous donc un de ces ennemis ?

– Non, puisque je suis un de vos amis.

– Vous ? Mais je ne vous connais pas… Qui êtes-vous ?

– Pour le moment, monsieur Édouard Lebel, il importe peu que vous sachiez mon nom, permettez-moi donc de vous le cacher ; mais pour signe de reconnaissance je vous dirai que je connais la noble femme qui a veillé sur votre enfance et votre jeunesse et que son fils, le sous-préfet d’Avranches, est ce que j’ai de plus cher au monde.

– Quoi ! s’écria le jeune homme, sous le coup d’une émotion indicible, vous connaissez Mme Clavière, vous connaissez André ?

– Mme Clavière, votre seconde mère ; André, votre frère !

– Oh ! monsieur, monsieur… balbutia Édouard, s’emparant de la main que l’inconnu lui tendait.

Puis après un silence :

– Mais, monsieur, reprit-il, n’allez-vous pas m’expliquer le hasard de cette rencontre ?

– Le hasard n’y est pour rien, je vous attendais, accompagné de ces deux hommes qui me sont dévoués ; plus prudent que vous, mon jeune ami, j’ai mes gardes du corps.

– Ainsi, vous m’attendiez ; mais pourquoi ?

– Pour vous voir, vous serrer la main, ce qui vient d’être fait, et vous connaître. Vous êtes bien le brave et fier jeune homme dont on m’a parlé et vous justifiez pleinement ce que je pensais de vous.

– Je vous remercie, monsieur, de ces paroles qui sont un hommage rendu à Mme Clavière, ma protectrice. Mais pourquoi êtes-vous venu m’attendre ici au lieu de me venir trouver au château ?

– Parce que, poursuivant dans ce pays un but mystérieux que je veux atteindre, ma présence y doit être ignorée. En ce qui vous concerne, monsieur Lebel, et je n’ai que cela à vous dire aujourd’hui, ne vous attardez plus sur des chemins déserts, ainsi que cela vous arrive souvent depuis quelque temps.

– Mais, monsieur…

– On peut en vouloir à votre vie. Je n’ai pas à m’expliquer autrement.

Le jeune homme eut un haussement d’épaules dédaigneux.

– Oui, monsieur Lebel, vous êtes plein de bravoure et vous ne redoutez aucun danger.

– Je ne vois pas ce que je puis avoir à craindre.

– Parce que vous ne vous connaissez pas d’ennemis. Mais tenez compte de mon avertissement ; je vous le répète, la nuit est dangereuse pour vous. « Si brave qu’il soit, on a vite fait de tuer un homme d’un coup de couteau, quand on l’attaque à l’improviste, lâchement, alors qu’il est sans défiance.

– Vous ne parviendrez pas à m’effrayer, monsieur.

– Je le crois. Mais, voyons, si vous étiez victime d’un guet-apens, ce qui, je l’espère bien, n’arrivera point, ne pensez-vous pas que le menuisier Moranne pourrait être accusé ?

Édouard eut un haut-le-corps et devint affreusement pâle.

– Monsieur, que voulez-vous dire ? interrogea-t-il anxieusement.

– Vous passez presque toutes vos soirées auprès de Mme Moranne, qui est une très jolie jeune femme ; comme tout le monde ne sait pas qu’elle est une ancienne pensionnaire de la Maison maternelle de Boulogne et que c’est à cela qu’elle et son mari doivent l’intérêt que vous leur témoignez et qu’elle doit, elle, l’affection fraternelle que vous lui avez vouée, on dirait, si vous étiez victime d’un attentat, que vous aviez pour maîtresse la belle Louise Moranne, et la rumeur publique, représentant le menuisier comme un mari jaloux, l’accuserait de s’être vengé !

– Mon Dieu, mais c’est affreux, épouvantable, ce que vous dites ! s’écria l’artiste d’une voix haletante.

– Ce ne sont que des suppositions ; il y a là, toutefois, ce me semble, matière à réfléchir. Je n’ai pas à diriger votre conduite, vous avez assez d’expérience et vous connaissez suffisamment le monde au milieu duquel vous vivez, pour savoir ce que vous devez faire ou ne pas faire.

Je suis votre ami, n’en doutez pas, et tout ce que je vous dis ici est une preuve de l’intérêt que je vous porte. Voyons, monsieur Lebel, ne craignez-vous pas que vos fréquentes visites chez le menuisier Moranne ne finissent par compromettre sa femme ?

Édouard tressaillit violemment.

– Sans compter le tort que vous pouvez vous faire à vous-même, ajouta l’inconnu.

– Du tort, à moi ! comment ?

– Auprès de Mlle Claire Dubessy.

– Pourquoi me parlez-vous de Mlle Dubessy, qui n’a rien à voir dans cette affaire ? répliqua vivement l’artiste.

– Je crains beaucoup, au contraire, qu’elle n’ait un rôle à y jouer.

– Mais, monsieur !…

L’inconnu se rapprocha du jeune homme et, baissant la voix :

– Mlle Dubessy vous aime, et jugez quel coup lui serait porté si la voix de la calomnie lui insinuait que vous êtes l’amant de Mme Moranne.

La pâleur du jeune homme s’accentua encore et il fut pris d’un tremblement nerveux. Mais, aussitôt, se raidissant :

– Et qui vous dit, monsieur, riposta-t-il d’un ton plein d’amertume, que je ne cherche pas à détacher de moi Mlle Dubessy ?

– Et sans doute aussi à vous détacher d’elle ?

– Peut-être, monsieur.

– Quoi, vous aimez, vous êtes aimé et vous avez de pareilles pensées ! Jeune homme, prenez garde, vous voyez les choses sous un faux jour, vous avez tort, et laissez-moi vous le dire, vous êtes fou !

– Pas encore, monsieur, mais je peux le devenir, répondit Édouard avec un accent de douleur profonde.

– Malheureux, que dites-vous ? Ah ! si la Dame en noir vous entendait !

Un sanglot déchirant s’échappa de la poitrine du jeune homme.

– Je suis né sous une mauvaise étoile, prononça-t-il sourdement ; condamné dès le berceau à une existence de douleurs et à mourir, un jour de misère, comme ma pauvre mère, c’est en vain qu’on a voulu changer le cours de ma vie. Je croyais, en venant ici, avoir échappé à la fatalité ; erreur, elle m’a ressaisi, plus implacable que jamais ; elle me pousse et je vais où elle me conduit. Bonne ou mauvaise, chacun a sa destinée ; que la mienne s’accomplisse !

– Monsieur Lebel, dit tristement l’inconnu, ce sont là les paroles d’un désespéré.

– Eh bien ! oui, monsieur, oui, je suis un désespéré !

L’inconnu lui saisit le bras, et le serrant avec force :

– Pourtant, jeune homme, dit-il d’un ton grave, vous n’avez pas le droit, à votre âge, de douter de l’avenir et de croire que votre destinée sera mauvaise ; vous oubliez trop ceux qui vous aiment ; dites-vous donc que votre mère, dont vous parliez tout à l’heure, et une autre femme, qui vous porte dans son cœur, veillent sur vous !

Édouard courba la tête et de grosses larmes jaillirent de ses yeux.

Très ému, l’inconnu lui prit la main et la serra silencieusement. Au bout d’un instant, il reprit :

– Courage, jeune homme, courage, et tournez vos regards vers la radieuse espérance. Je vous le dis encore, on veille sur votre avenir et votre destinée. Les obstacles que vous voyez aujourd’hui dressés devant vous disparaîtront quand, vous serrant dans ses bras, souriante et le front rayonnant, la Dame en noir aura parlé !

Et, maintenant, encore un mot avant de nous séparer : Réfléchissez bien à tout ce que je viens de vous dire et tâchez d’en faire votre profit.

Sur ces mots, l’inconnu s’éloigna rapidement, suivi des deux hommes qu’il appelait ses gardes du corps.

L’un de ces hommes était celui que nous avons déjà vu au bord de la Lurette, caché dans une touffe d’osiers.

Share on Twitter Share on Facebook