Les deux hommes restèrent un instant silencieux.
Soudain, M. Chevriot saisit la main d’André.
– Je ne veux pas vous cacher, monsieur, dit-il, que vous m’êtes très sympathique.
– Merci, monsieur le docteur.
– Je m’intéresse beaucoup à Mlle Sorel, et je suis heureux de savoir qu’elle a un ami tel que vous.
– Ah ! monsieur, si son bonheur ne dépendait que de moi !
– J’ai compris, mon jeune ami, et quelque chose me dit que Mlle Sorel sera un jour heureuse par vous.
– Puissiez-vous ne pas vous tromper.
– Laissons passer les mauvaises heures.
– Êtes-vous certain, monsieur le docteur, que sa vie n’est plus en danger ?
– Je l’ai dit devant vous, demain elle sera remise sur pied. Nous pouvons dire qu’elle a été miraculeusement sauvée, car un quart d’heure plus tard, c’était fini.
– Je désirais la voir ce matin, et je me sens frissonner, monsieur le docteur, en pensant que j’aurais pu ne venir qu’à une heure plus avancée.
– Ainsi c’est vous qui l’avez sauvée ?
– Moi et les braves gens qui sont entrés avec moi dans le logement. Comme il était de très bonne heure et que je pouvais supposer que Marie n’était pas encore levée, je causais avec la concierge, dans la loge, avant de monter. Une femme vint nous dire qu’une forte odeur de charbon s’était répandue dans toute la maison. Un pressentiment me saisit aussitôt, et je grimpai rapidement l’escalier. Je sonnai, je frappai : Marie ne répondant pas, je poussai des cris de douleur ; je crus que je devenais fou. J’aurais voulu pouvoir enfoncer la porte ; mais, solide, elle résistait à tous mes efforts. Heureusement la concierge avait, une seconde clef du logement ; elle courut la chercher. Ce qui s’est passé ensuite, monsieur le docteur, vous le devinez.
Quand je la vis étendue sur son lit, inerte, déjà glacée et blanche comme neige, je crus qu’elle était morte, et il me sembla que je recevais un coup de massue en pleine poitrine. À partir de ce moment et jusqu’à celui où je suis descendu dans la rue pour me mettre en quête d’un médecin, j’ai été comme un corps sans âme, n’ayant plus conscience de rien.
La voix de la jeune fille se fit entendre.
Elle rappelait le docteur et André.
Le vieillard et le jeune homme rentrèrent dans la chambre. Marie les accueillit avec un pâle sourire.
– Eh bien, lui dit M. Chevriot, comment êtes-vous ?
– Bien, docteur, je me sens beaucoup mieux.
– Grâce à ce que vous prendrez dans la journée votre extrême lassitude disparaîtra et nous aurons également raison des lourdeurs de tête. Je vais écrire mon ordonnance.
Il sera nécessaire, continua-t-il tout en écrivant, que vous ayez auprès de vous une personne pour vous faire prendre les médicaments.
– Mme Durand, la concierge, me rendra ce service très volontiers.
– Eh bien, je donnerai tout à l’heure mes instructions à Mme Durand.
Ayant écrit son ordonnance, le docteur revint près du lit.
André, silencieux, avait pris une main de la jeune fille, qu’elle lui abandonnait.
– Monsieur le docteur, dit Marie, j’ai été bien près de la mort, n’est-ce pas ?
– Oui, mon enfant, bien près.
– C’est mal, très mal ce que j’ai fait, j’en ai le regret et ma conscience me le reproche cruellement.
– Vous étiez égarée, folle, Dieu vous pardonne.
– Peut-être suis-je indigne de pardon. Monsieur le docteur, j’ai quelque chose à vous demander.
– Voyons.
– N’ai-je pas tué l’enfant que je porte dans mon sein ?
– N’ayez pas cette affreuse pensée ! M. André Clavière, en pénétrant dans cette chambre, a en même temps sauvé la mère et l’enfant !
Marie arrêta sur André un regard d’une expression indéfinissable.
– L’assurance que vous me donnez, mon bon docteur, calme les angoisses de mon âme. Je ne suis donc pas aussi criminelle que je pouvais l’être. Il faut que je vous le dise, avant d’allumer le charbon et après encore, je n’ai pas pensé au pauvre petit être. Oh ! c’était abominable… Mais depuis que vous m’avez arrachée des bras de la mort, je sens que mon enfant me rattache à la vie et que pour lui, quelle que soit la destinée qui m’attend, je dois vivre !
Elle adressa encore un long regard à André, laissa échapper un profond soupir, puis ses yeux se fermèrent et elle parut s’assoupir.
– Laissons-la reposer, dit tout bas le docteur.
Et il emmena le jeune homme qui, avant de franchir la porte, se retourna vers le lit et prononça en lui-même le mot : Adieu !
M. Chevriot remit son ordonnance à la concierge et causa quelques instants avec elle, lui faisant ses recommandations.
– Oui, appuya André, ayez bien soin de Marie, madame Durand.
Le vieillard et le jeune homme firent ensemble quelques pas. Arrivés devant l’église Saint-Vincent-de-Paul, M. Chevriot tendit la main à André.
– Mon jeune ami, dit-il, j’espère que nous nous reverrons.
– Monsieur le docteur, j’ai également cet espoir.
*
* *
André venait de rentrer à l’hôtel, à neuf heures et demie, lorsque MM. Philippe Beaugrand et Charles Balley arrivèrent.
André se jeta dans les bras du major et les deux anciens camarades s’embrassèrent avec effusion.
– Ah ! Charles, comme je suis heureux de te revoir ! disait André.
– Je vois, mon cher André, que l’amitié qui nous unissait autrefois est restée la même. Voilà réunis, les trois inséparables ; c’est ainsi qu’on nous appelait au lycée. Maintenant, j’espère que nous ne nous perdrons plus de vue, n’importe où les hasards de la vie pourront nous conduire. Moi aussi, mon cher André, je suis heureux de te retrouver, et Philippe peut te dire quelle a été ma surprise, quelle a été ma joie en apprenant que tu étais à Paris. Seulement, mon ami…
– Eh bien ?
– Je n’aurais pas voulu te revoir dans une pareille circonstance.
– Que veux-tu, mon cher Charles, on n’est pas maître des événements.
– C’est vrai. Ainsi, André, ce duel est inévitable ?
– Oui, mon ami, inévitable. Tu as accepté d’être mon témoin, Charles, merci.
– Et comme je te l’avais promis, André, dit Philippe, nous arrivons avant dix heures afin de ne pas faire attendre les témoins de ton adversaire. J’ai appris à Balley ce que je sais des causes de ce duel, et bien que tu veuilles absolument te battre, il pense comme moi que nous devons faire tout ce qui dépend de nous pour empêcher cette rencontre.
– André, reprit le major, je suis ton témoin et je t’accompagnerai sur le terrain si Philippe et moi ne parvenons pas à arranger l’affaire ; mais je dois te le dire, je n’ai jamais été et ne serai jamais un partisan du duel, qui est trop souvent la conséquence d’un faux point d’honneur, d’une vanité ou d’un amour-propre blessé. La vie d’un homme est précieuse et les lois humaines condamnent celui qui, dans un duel, risque de la perdre. Il n’en est pas de même quand par dévouement, pour sauver son semblable d’un danger, on brave la mort ; dans ce cas, le courageux citoyen mérite des éloges, il a bien mérité de l’humanité. Qu’on se batte, qu’on verse son sang pour la défense de la patrie, c’est le dévouement c’est l’abnégation, c’est le devoir du soldat. Mais le duel, le duel… Autrefois il était défendu, condamné par la loi. Aujourd’hui, pour un oui, pour un non, on va sur le terrain et deux épées se croisent menaçant les poitrines. Quelques gouttes de sang coulent et l’on dit : l’honneur est satisfait. Ah ! quand il ne s’agit que d’une piqûre ou d’une égratignure, le mal n’est pas grand ; mais lorsque la lame devient meurtrière, lorsque l’un des deux combattants tombe mortellement frappé, alors, André, alors le duel est maudit et si celui qui a tué ne peut pas être considéré comme un assassin, il aura à se reprocher toute sa vie d’avoir été un meurtrier.
Malheureusement, le duel est entré dans nos mœurs et mes paroles et celles de bien d’autres ne peuvent rien contre cette manie ou plutôt cette fureur insensée qui pousse les hommes à vouloir s’entr’égorger.
Si seulement le duel était le jugement de Dieu ; mais non. Trop souvent c’est l’injustice qui triomphe. Là, règne en maître le droit du plus fort.
André, d’après ce que m’a dit notre ami Philippe, c’est ton adversaire, M. Raoul de Simiane, qui est l’offensé.
– Oui, je l’ai insulté, je lui ai craché au visage mon mépris et mon dégoût.
– Dans un moment d’emportement ; mais depuis tu as réfléchi et peut-être regretté…
– Non, non, je ne regrette rien ; tout ce que j’ai dit à ce misérable, je le lui dirais encore.
– Alors, André, tu ne veux pas, devant les témoins de M. de Simiane, qui vont venir, présenter des excuses en manifestant le regret des paroles qui te sont échappées ?
– N’ayant pas à regretter mes paroles, répondit vivement le jeune homme, ce serait de ma part une lâcheté d’essayer seulement de faire des excuses. Je n’ai nul besoin de voir les témoins de M. de Simiane, qui vont venir pour s’entendre avec vous. Vous les recevrez ici, dans ce salon ; pendant ce temps, je pourrais me tenir dans ma chambre, mais comme je ne veux pas que vous puissiez être gênés par ma présence, je vais vous quitter. Vous me retrouverez sous les arcades de la rue de Rivoli. Je n’ai pas besoin de vous dire, n’est-ce pas, que nous déjeunerons ensemble.
– André, dit M. Beaugrand, la mission que tu nous confies est très délicate.
– Je le sais ; aussi vous suis-je infiniment reconnaissant de l’avoir acceptée.
– N’as-tu pas quelques instructions à nous donner ?
– Aucune. Je m’en rapporte absolument à vous et j’approuve d’avance tout ce que vous ferez.
Dix heures allaient sonner. André tendit la main à ses amis et sortit. L’ingénieur et le médecin restèrent un instant silencieux, se regardant tristement.
– Tu l’as entendu, dit Philippe Beaugrand, il s’est mis dans une situation terrible et ne veut pas qu’on fasse un effort pour l’en sortir.
Le médecin militaire hocha la tête.
– Vraiment, fit-il, on dirait qu’il a le désir de se faire tuer.
– Ce n’est pas cela. J’ai deviné la pensée de notre ami.
– Alors ?
– Il croit avoir trouvé, dans ce duel, le moyen de se faire aimer.
– S’il en est ainsi, mon cher André, plein de confiance dans le dieu des amoureux, va de l’avant sans même songer au danger qu’il affronte.
– Espérons que le dieu des amoureux le protégera.
– En attendant, il fera bien de s’exercer à l’escrime pendant quelques heures cet après-midi.
– C’est convenu. Pons est prévenu, il attend son nouvel élève à deux heures.
Un coup de sonnette se fit entendre.
M. Beaugrand alla ouvrir.
Deux hommes entrèrent gravement, serrés dans leur redingote boutonnée jusqu’au cou. Ils pouvaient avoir l’un et l’autre de trente-cinq à quarante ans.
On se salua.
– Messieurs, dit le médecin, c’est vous, sans doute, que nous attendons.
– Monsieur, répondit l’un des deux hommes, nous sommes envoyés ici par M. le baron de Simiane, qui nous a chargés d’une grave mission. Je me nomme Ernest de Fontaride et monsieur, second témoin de M. de Simiane, est le comte Arthur de Blancheville.
Les témoins d’André s’inclinèrent.
– Messieurs, dit Philippe, je me nomme Philippe Beaugrand et suis ingénieur des mines ; monsieur, qui est le second témoin de M. André Clavière, se nomme Charles Balley et est médecin major au cinquième régiment de cuirassiers.
Les témoins de M. de Simiane s’inclinèrent à leur tour.
– Maintenant, messieurs, dit le docteur, nous pouvons parler de l’affaire qui vous amène.
– M. le baron de Simiane, notre ami, est l’offensé, le reconnaissez-vous ?
– Oui.
– Il a donc le choix des armes.
– Il en est toujours ainsi.
– M. de Simiane demande que la rencontre ait lieu à l’épée.
– C’est bien.
– Le combat pourra avoir plusieurs reprises et ne prendra fin que lorsque l’un des deux adversaires sera mis dans l’impossibilité de le continuer.
– Messieurs, répondit le docteur, dans l’intérêt de M. Clavière comme dans celui de M. de Simiane, nous demandons, c’est notre droit, que le combat prenne fin au premier sang.
Les témoins du baron se consultèrent du regard.
– Au nom de M. de Simiane, dit M. de Fontaride, nous acceptons cette condition.
– Mais, messieurs, reprit le comte Arthur de Blancheville, est-ce que vous tenez absolument à ce que cette rencontre ait lieu ?
– Non, certes, monsieur, répondit Philippe ; nous voudrions, au contraire, pouvoir l’empêcher.
– Eh bien, il y a un moyen.
– Dites, monsieur.
– Que M. André Clavière écrive à M. le baron de Simiane une lettre d’excuse, que vous nous remettrez ; alors nous rédigerons et signerons tous quatre un procès-verbal, qui donnera satisfaction à notre ami, et les choses en resteront là.
Le jeune ingénieur secoua la tête.
– M. André Clavière, dit-il, refuse absolument de faire des excuses.
– En ce cas, messieurs, nous ne pouvons plus rien.
– Du moment que l’injure n’est pas effacée, ajouta M. de Fontaride, il faut une réparation par les armes.
– M. André Clavière ne songe pas à s’y soustraire.
– La rencontre aura lieu demain.
– Où ?
– Dans le bois qui enveloppe l’étang de Saint-Cucufa, si cela vous convient.
– Ce lieu en vaut un autre. Où se trouvera-t-on ?
– Au bord de l’étang.
– À quelle heure ?
– Six heures du matin.
– Soit, demain matin, à six heures, au bord de l’étang.
Alors, d’un commun accord, le procès-verbal suivant fut rédigé :
« À la suite de paroles injurieuses adressées par M. André Clavière à M. le baron Raoul de Simiane, celui-ci a envoyé à M. André Clavière MM. Ernest de Fontaride et Arthur de Blancheville chargés de lui demander rétractation ou réparation par les armes.
« Les témoins de M. de Simiane ont été mis en rapport avec MM. Philippe Beaugrand et Charles Balley, amis de M. André Clavière.
« Les quatre témoins, après mûr examen, ont reconnu que tout arrangement était impossible et que la qualité d’offensé appartenait à M. le baron de Simiane.
« En conséquence, une rencontre a été décidée.
« L’arme choisie est l’épée de combat, gant de ville à volonté.
« Le combat prendra fin quand l’un des adversaires sera dans un état d’infériorité constaté. »
Les témoins signèrent :
Pour M. le baron Raoul de Simiane :
ERNEST DE FONTARIDE,
Comte ARTHUR DE BLANCHEVILLE.
Pour M. André Clavière :
PHILIPPE BEAUDRAND,
CHARLES BALLEY.
Les témoins de M. de Simiane se retirèrent.
L’ingénieur et le médecin s’empressèrent de rejoindre André qui les attendait, comme il l’avait dit, en se promenant sous les arcades de la rue de Rivoli.
Le jeune homme fut immédiatement instruit de ce qui venait d’être décidé.
– C’est bien, c’est très bien, répondit-il simplement.
Maintenant, ajouta-t-il, prenant un air gai, allons déjeuner.
À table, André eut beau vouloir se montrer de joyeuse humeur, il ne parvint pas à tromper ses amis ; ils voyaient très bien que sa gaieté était factice, qu’il était soucieux, inquiet, qu’il avait l’esprit préoccupé, la tête pleine de pensées.
André avait, en effet, de grosses préoccupations ; mais ce n’était pas son duel qui l’inquiétait ; il ne pensait qu’à Marie, aucune autre chose ne le tourmentait.
En sortant du café Anglais, où les trois amis venaient de déjeuner. M. Balley se dirigea vers la gare Saint-Lazare. Appelé par son service, il était forcé de retourner à Versailles. Mais le lendemain matin, à l’heure dite, il se trouverait au lieu du rendez-vous. Et, mieux encore, avec l’autorisation du colonel, un autre médecin militaire prendrait son service toute la journée.
Philippe conduisit André chez le maître d’armes Pons, qui attendait les deux amis.
Pendant deux heures, ne s’arrêtant que pour reprendre haleine et reposer ses membres peu habitués à ce genre d’exercice, André fit des armes avec le célèbre professeur ; qui déclarait que M. Clavière, ayant d’étonnantes dispositions, deviendrait vite un très habile tireur.
Mais André n’était pas de ceux qui se laissent prendre à la glu de la flatterie. Quand quatre heures sonnèrent, il jeta son fleuret en disant :
– C’est assez.
Il paya le prix de la séance, promit au professeur de revenir et sortit de la salle d’armes suivi de Philippe, à qui il dit, dès qu’ils furent dans la rue :
– Mon cher ami, quatre heures viennent de sonner, il faut que je te quitte à l’instant.
– Où vas-tu donc ?
– À un rendez-vous que je ne peux pas remettre à demain.
– Ne voulant pas être indiscret, mon cher André, je ne te questionne plus.
– Combien nous faudra-t-il de temps pour nous rendre de chez toi à l’étang de Saint-Cucufa ?
– Moins d’une heure, avec un bon cheval.
– C’est bien, à quatre heures demain matin je sonnerai à ta porte.
– Je t’attendrai.
Les deux amis se séparèrent.
André monta dans un fiacre et vingt minutes après il entrait dans le cabinet de maître Mabillon.
Ainsi que le notaire l’avait promis, le testament était prêt. Comptant sur l’exactitude du jeune homme, maître Mabillon avait fait appeler les témoins qui étaient là depuis dix minutes.
D’une voix lente et avec une sorte de solennité, le notaire lut le testament. Sa lecture achevée :
– Il n’y a plus, dit-il, qu’à ajouter le nom de l’exécuteur testamentaire ; j’ai laissé la place en blanc.
– Alors, monsieur Mabillon, répondit André, veuillez mettre votre nom à cette place.
– Mais, mon jeune ami…
– Je vous en prie monsieur.
– Vous le voulez absolument ?
– C’est une nouvelle faveur que je demande à votre amitié.
– Qu’il soit donc fait selon votre désir.
Et maître Mabillon écrivit ses nom, prénoms et qualité.
Ensuite André, les témoins et le notaire signèrent l’acte public.
– Messieurs, voilà qui est fait, dit maître Mabillon s’adressant aux témoins, je vous remercie.
Ceux-ci se retirèrent.
Un instant après, André prit à son tour congé du notaire.
– Maintenant, se dit-il, en remontant dans sa voiture, me voilà plus tranquille.
Et il poussa un soupir de soulagement.
Il se fit conduire rue de Chabrol. Il avait bien le désir de voir Marie ; mais craignant de manquer de force devant elle, de se trahir, il voulait seulement avoir de ses nouvelles.
La concierge, qui était presque constamment restée au chevet de la jeune fille, venait justement de descendre dans sa loge.
– Eh bien, comment va-t-elle ? lui demanda André.
– Bien, tout à fait bien ; en ce moment elle dort, j’ai profité de son sommeil pour descendre.
– Je ne veux pas troubler son repos, madame Durand, mais vous lui direz que je suis venu prendre de ses nouvelles.
– Bien sûr, que je le lui dirai, et elle sera contente. Ah ! la chère enfant, elle ne pense plus à mourir, maintenant. Mais est-il Dieu possible qu’elle ait eu une pareille idée !
Elle a beaucoup pleuré dans la journée, elle poussait de gros soupirs, ça la soulageait. Moi, je lui faisais prendre les choses ordonnées par le médecin. Tout de même, monsieur André, ce bon vieux docteur est un grand médecin. Soyez-en sûr, si vous n’aviez pas eu le bonheur de le trouver dans la rue, la pauvre Marie Sorel n’existerait plus. Au lieu de cela, les forces lui reviennent à vue d’œil et elle a maintenant sur les joues ses belles et fraîches couleurs. Comme nous l’a annoncé le bon docteur, demain elle sera sur pied et ne se ressentira plus de rien.
– N’importe, madame Durand, donnez-lui toujours vos bons soins, et vous ferez bien, je crois, de passer la nuit auprès d’elle.
– C’est mon intention, monsieur André ; oh ! vous pouvez être tranquille. Je l’aime, voyez-vous, cette chère petite, je l’aime autant que si elle était ma fille.
– Votre affection et votre dévouement pour elle seront récompensés.
– Je n’ai pas besoin de récompense, monsieur André ; ce que je fais, c’est mon cœur qui me le commande.
– Je le sais, je le sais. Cependant, madame Durand, Mlle Marie peut avoir ces jours-ci besoin d’argent, et comme je n’ose pas lui en donner, c’est à vous que je vais remettre une petite somme. Tenez, voici cinq cents francs, c’est pour vous et pour elle, en cas de besoin et en attendant qu’il me soit permis de faire davantage.
Les yeux de la brave femme s’étaient remplis de larmes.
– Elle vous aimera, monsieur André, s’écria-t-elle, elle vous aimera, et j’espère que, bientôt, j’assisterai à votre mariage.
– Oh ! gardez-vous bien de lui parler de cela !
– Oui, nous attendrons ; mais vous verrez, vous verrez.
Elle prit les billets de banque, qu’elle glissa dans le corsage de sa robe, et le jeune homme se retira.
– Ah ! quel brave garçon ! se disait la concierge. Pour ne pas l’aimer il faudrait être sans cœur. Mais Mlle Marie en a un, et c’est bien le meilleur qu’il y ait au monde.