IX Bon chien chasse de race

Le faux vicomte de Linois avait accompagné sa mère jusqu’à l’auberge où, fidèle à sa consigne, Bertrand attendait avec une anxieuse impatience les ordres de ses maîtres. Là, le jeune homme avait dit à sa mère :

– Je ne vais pas avec toi aux Pins où je n’ai rien à faire.

– Où vas-tu, et que vas-tu faire ?

– Je vais à la gare où je pourrai prendre le train de Paris qui passe à minuit.

– Quoi, tu m’abandonnes !

– Nous nous retrouverons demain à Paris, à l’hôtel d’Orléans.

Antoinette essaya de retenir son fils. Mais il lui répondit brusquement :

– Non, tu n’as pas besoin de moi ; je pars ; à demain à l’hôtel d’Orléans.

Le jeune homme avait alors quitté sa mère sans que ni elle ni lui eussent songé à s’embrasser. Il était tout près de minuit.

Mais au lieu de se diriger vers la gare, Léon Picot tourna le coin de la rue et, au pas de course, se rendit au théâtre dont on allait bientôt sortir.

Ce soir-là, le spectacle était composé du Chalet et de laDame Blanche et ne devait finir qu’après minuit.

Le jeune homme savait que Mme de Lancelin et sa fille étaient au théâtre. Ces dames n’avaient rien de mieux à faire pour se distraire en l’absence de M. de Lancelin et de son fils, qu’une affaire d’une certaine importance avait appelés à Paris.

Après s’être assuré que la voiture des dames de Lancelin les attendait sur la petite place, Léon Picot pénétra résolument dans la salle de spectacle et eut bientôt découvert la loge où se trouvaient Mme de Lancelin et sa fille.

Il était temps. Le rideau se baissait sur le chœur final du dernier acte de l’opéra-comique de Boieldieu.

– Je suis venu à Poitiers pour faire quelques achats, dit-il à Mme de Lancelin, et comme je vous savais au théâtre, j’ai attendu pour avoir le plaisir de revenir avec vous si, toutefois, vous avez une place pour moi dans votre voiture.

– Certainement, et vous avez eu une très heureuse idée, répondit la dame.

Profitant d’un instant où Mme de Lancelin causait avec des personnes de sa connaissance, Léon Picot dit tout bas à l’oreille de Mlle Éliane :

– Je suis venu à Poitiers exprès pour vous voir ; il faut absolument que je vous parle cette nuit même ; dès que votre mère se sera couchée, sortez du château et venez dans ce bosquet où, l’autre jour, après m’avoir avoué que vous m’aimiez, nous avons échangé nos premiers baisers d’amour, je vous y attendrai.

– Mais pourquoi ce rendez-vous, la nuit ?

– Je vous le dirai. Vous viendrez, n’est-ce pas ?

– Oui.

– Merci, chère Éliane. Je vous aime !

Il aida la mère et la fille à monter dans le coupé, se plaça en face d’elles et l’on prit rapidement le chemin du Petit Château.

Le faux vicomte accompagna les dames jusqu’à leur demeure. Mme de Lancelin voulait que la voiture le conduisît aux Pins ; il refusa, disant que la distance n’était pas si grande, qu’il lui serait agréable de faire le chemin à pied.

Il s’éloigna, mais pour s’arrêter bientôt et revenir sur ses pas quand la mère et la fille furent rentrées. Pendant quelques instants il longea le mur du parc dans lequel il pénétra facilement, les murs de clôture n’étant pas hauts.

Il fut bientôt au milieu du bouquet d’arbres touffus dont il avait parlé et où se trouvaient des bancs et des chaises rustiques. Il attendit pendant un quart d’heure environ.

Un bruit de pas légers se fit entendre et presque aussitôt, Éliane, qui n’avait pas pris le temps de changer de vêtement et avait seulement ôté son chapeau, pénétra dans le bosquet.

L’aventurier la reçut dans ses bras et leurs lèvres s’unirent dans un amoureux baiser.

– Alfred, qu’avez-vous donc de si pressé à me dire ? demanda Éliane.

– J’ai eu une querelle très sérieuse avec mon père et ma mère, et j’ai quitté les Pins pour ne pas y rentrer de longtemps.

– Mon Dieu, que m’apprenez-vous ? Mais à quel propos ?

– Vous le devinez : toujours Mlle Dubessy ; je leur ai déclaré nettement que je ne l’aimais pas et que, quoi qu’ils pussent dire et faire, je ne l’épouserais pas. C’est sur ces paroles que mon père s’est emporté ma mère s’en est mêlée ; je me suis à mon tour mis en colère, et je suis parti en leur disant qu’ils ne me reverraient jamais.

– Alfred, mon ami, c’est bien grave tout cela.

– Soit, si vous voulez ; mais on n’a pas le droit de m’imposer des sentiments. Ce que j’ai fait, chère Éliane, c’est pour vous que j’aime, que j’adore !

Il reprit la jeune Mlle dans ses bras et la serra fortement sur sa poitrine.

– Alfred, mon ami, je vous aime ! balbutia-t-elle affolée de plaisir.

– Oui, vous m’aimez, oui, nous nous aimons, et nul au monde ne nous empêchera d’être heureux !

– Oui, mon ami, mais qu’allez-vous faire ?

– Quitter le pays.

– Vous voulez partir ?

– Partir avec vous, ma bien-aimée.

– Oh !

– Oui, je vous emmène, nous partons cette nuit même, dans une heure, le plus tôt possible.

– Alfred, mon ami, vous êtes fou ! Ce que vous voulez est impossible.

– Non, Éliane, non, si vous m’aimez.

– Je vous aime, mais…

– Tout pour l’amour, Éliane ; il faut que nous partions.

– Alfred, mais c’est un enlèvement !

– Eh bien ! oui, un enlèvement après lequel ni les miens ni les vôtres ne pourront mettre obstacle à notre union, à notre bonheur.

Mlle de Lancelin, troublée jusqu’au fond de l’âme, tremblait maintenant comme la feuille.

– Nous allons nous rendre au bourg de Viotte, continua le jeune gredin, j’y connais un voiturier qui nous conduira à la plus proche station du chemin de fer. D’ici à Viotte, il y a deux lieues ; nous ferons le trajet sans nous fatiguer. Nous irons au Havre ou à Dieppe pour passer ensuite en Angleterre.

Alors, mon Éliane adorée, vous écrirez à vos parents, moi aux miens, et nous attendrons qu’ils nous disent : « Revenez vite, chers enfants prodigues, nous consentons à votre mariage. »

Serrant toujours Éliane dans ses bras, il la dévorait de baisers brûlants et achevait de la rendre folle.

La malheureuse ne se doutait guère que le fils de l’ancienne femme de chambre jouait une odieuse comédie. Se croyant aimée, après avoir tant désiré l’amour et les caresses d’un homme, elle était heureuse.

Ah ! il sentait bien qu’elle n’aurait pas la force de lui résister, et pour endormir sa conscience, détruire ses scrupules, il l’enivrait de ses paroles d’amour, il la grisait de ses baisers.

Et quand il vit qu’elle était vaincue, qu’elle s’abandonnait complètement :

– Tu veux bien, n’est-ce pas ? lui dit-il.

– Oui, je me donne à toi, répondit-elle éperdue, emporte-moi, si tu veux, au bout du monde.

Après quelques instants de silence et avec un redoublement de caresses, Léon Picot reprit :

– Mon Éliane adorée, je n’ai que peu d’argent sur moi, pas assez pour aller jusqu’à Londres.

– J’ai ma bourse de jeune fille, répondit-elle vivement.

– Une grosse bourse ?

– Au moins deux mille francs.

– C’est déjà quelque chose ; mais si nous devons rester un peu en Angleterre, ce n’est pas assez.

– Mon Dieu ! mais alors, comment faire ?

Baissant la voix et la fascinant du regard.

– Vous pouvez ouvrir le secrétaire de votre père ?

– Oui.

– Il y a là votre dot, chère Éliane, vous pouvez prendre ce que vous voudrez sur les cent mille francs.

Elle était dans un tel état de surexcitation et d’égarement qu’elle ne comprit point qu’il lui conseillait un vol.

– C’est vrai, fit-elle.

– Eh bien, Éliane ! ma chérie, allez, et revenez vite ; jusqu’à votre retour je ne vivrai plus !

Elle se jeta dans ses bras, de nouveaux baisers grésillèrent, puis s’arrachant à l’étreinte du misérable, elle disparut en glissant comme une ombre.

Rentrée dans sa chambre, elle alluma un bougeoir et sans bruit, à pas de loup, traversa le salon et pénétra dans le cabinet de son père, contigu à la chambre à coucher de Mme de Lancelin.

Éliane s’approcha de la porte de la chambre, tendant l’oreille.

Mme de Lancelin ronflait.

Sous l’influence de la suggestion qu’exerçait sur elle le faux vicomte de Linois, Éliane pouvait agir en toute sécurité.

Sans avoir beaucoup cherché, elle trouva la clef du secrétaire, l’ouvrit, puis ouvrit ensuite un large tiroir à fermeture secrète qu’elle connaissait.

Il y avait dans ce tiroir des titres au porteur, de l’or : une partie de la fortune de M. de Lancelin.

Tout d’abord, Éliane fit main basse sur une douzaine de rouleaux d’or qu’elle jeta au fond du sac de voyage dont elle s’était munie ; cela fait, sans regarder, sans se rendre compte de ce qu’elle prenait, elle mit dans le sac de voyage un paquet de valeurs mobilières, représentant un capital de plus de quatre-vingt mille francs.

Son cœur battait fort, mais elle ne tremblait pas comme tout à l’heure dans les bras de son séducteur.

Elle referma le tiroir et le secrétaire, remit la petite clef à la place où elle l’avait trouvée et, toujours à pas de loup, rentra dans sa chambre.

Elle mit encore dans le sac de voyage ce qu’elle appelait sa bourse de jeune fille, ses bijoux et acheva de le remplir avec de fines dentelles et quelques colifichets auxquels elle tenait sans doute beaucoup.

Moins d’une demi-heure après l’avoir quitté, Éliane rejoignit Léon Picot dont elle était la complice presque inconsciente.

– Quelle somme avez-vous ? lui demanda-t-il.

– Je ne sais pas, répondit-elle ; j’ai des titres et des rouleaux d’or.

– Nous verrons, fit-il.

Ils sortirent du parc par une porte qui ne fermait que par un fort verrou à l’intérieur.

Le ravisseur avait pris le sac de voyage, disant à sa compagne :

– Il ne faut pas que vous vous fatiguiez.

Éliane avait seulement changé de chaussures et mis un autre chapeau que celui qu’elle avait au théâtre. Par-dessus sa robe de soie havane à gros grain, un peu décolletée, elle avait endossé une tunique de drap léger.

Elle n’avait pu songer à emporter d’autres effets d’habillement et du linge.

Elle avait de l’argent, elle pourrait acheter les choses dont elle aurait besoin dans une des villes où l’on s’arrêterait.

Hors du parc, ils s’étaient trouvés sur un chemin rural qu’ils suivirent jusqu’à la grande route. Alors ils se dirigèrent vers le bourg, en allongeant le pas, et y arrivèrent vers trois heures du matin.

Le voiturier que le faux vicomte connaissait ne fit aucune difficulté, moyennant un louis, de les conduire à la station du chemin de fer où ils arrivèrent en avance de plus d’une heure sur le passage du train. Ils prirent à l’hôtel une chambre dans laquelle on leur servit à déjeuner.

Le premier soin du faux vicomte avait été de faire l’inventaire du sac de voyage. Après quoi il avait tendrement embrassé Éliane, en lui disant :

– C’est bien, mon adorée, nous pourrons attendre.

Laissons-les poursuivre leur chemin jusqu’à Londres, en passant par Dieppe. Nous connaîtrons plus tard le dénouement de cette aventure.

*

* *

Mme de Lancelin fut désagréablement surprise à son réveil quand on lui annonça que Mlle Éliane n’était plus au Petit-Château. Elle se mit à pousser les hauts cris. Sa fille partie, disparue, était-ce possible ? Mais il fallait se rendre à l’évidence : la jeune fille avait dû s’enfuir peu de temps après avoir quitté sa mère, en revenant du théâtre. Elle ne s’était pas couchée, ainsi que l’attestait le lit non défait. Et la porte du parc, laissée ouverte, indiquait que la demoiselle était passée par là. Mais pourquoi s’était-elle enfuie ? Où était-elle allée ?

Après avoir jeté ses lamentations aux quatre points cardinaux, Mme de Lancelin se calma un peu et put réfléchir ; alors il se fit une clarté dans son cerveau : le vicomte de Linois avait enlevé sa fille ! Ah ! le brigand !

Tout de suite elle donna l’ordre d’atteler et se rendit aux Pins. Nouvelle surprise, nouvelle stupéfaction. La villa était fermée, il n’y avait plus personne.

Les gens de Grisolles que Mme de Lancelin interrogea n’en savaient guère plus qu’elle. Toutefois ils lui apprirent que les domestiques avaient été brusquement congédiés au milieu de la nuit et que le comte, la comtesse et leur fils étaient partis sans tambour ni trompette :

– Et ma fille avec eux probablement, se dit Mme de Lancelin.

Ah çà ! mais, ajouta-t-elle, qu’est-ce que c’est donc que ces gens-là ?

On ne parlait au village que du départ précipité, stupéfiant des de Linois. Chacun commentait l’événement à sa manière ; mais nous ne rapporterons pas tout ce que l’on disait, on le devine.

Le bon vieux curé Logerot était consterné.

 

Mlle Dubessy s’était réveillée à son heure habituelle et avait aussitôt sonné Julie, qui l’avait aidée à sa toilette. En dépit des cauchemars, Claire avait bien dormi ; cependant ses yeux étaient cernés et ses traits fatigués, et il lui restait encore, de ses terribles émotions de la nuit, une assez grande lassitude du corps et des membres.

Julie ne remarqua point que sa maîtresse fût autrement que les autres jours, et cependant Claire avait un peu de fièvre et était intérieurement extrêmement agitée.

Vers dix heures, seule dans son boudoir Pompadour, Mlle Dubessy travaillait à une broderie. Sans s’être annoncé en frappant, ainsi qu’il faisait toujours, M. Darimon parut devant sa pupille. Le vieillard avait la figure décomposée, l’air effaré.

– Claire, s’écria-t-il, savez-vous ce qui se passe ?

– Non, mon cher tuteur, mais apprenez-le-moi.

– Ah ! vous ne le devineriez jamais… La famille de Linois a disparu ; ils sont partis cette nuit après avoir congédié leurs domestiques et fermé la maison !

– En vérité !

– Et voilà tout ce que vous me dites ? et vous restez d’un calme…

– Croyez-vous donc, mon cher tuteur, répliqua-t-elle tranquillement, que je vais à cause de cela me cogner la tête contre les murs ? Les de Linois ont quitté le pays ; eh bien ! qu’y puis-je faire, et que voulez-vous que cela me fasse ?

– Ah ! fit le vieillard, accentuant longuement l’exclamation. Mais, reprit-il, il y a autre chose.

– Quoi donc ? demanda Claire vivement.

– Mlle de Lancelin a également disparu cette nuit, et l’on pense qu’elle est partie avec les de Linois, accrochée à M. le vicomte Alfred.

– Oh ! fit la jeune fille, très affligée, cette fois. Et tout bas elle se dit :

– La malheureuse, la folle ! La voilà perdue !

– Claire, cela vous fait de la peine, je le comprends.

– Oui, mon bon tuteur, soupira la jeune fille, une grande peine.

– Cela se terminera par un mariage.

Claire resta silencieuse. Mais elle pensait :

– Oui, la pauvre Éliane est perdue ; que va-t-elle devenir, maintenant ?

Et, dans son cœur, elle plaignait sincèrement M. de Lancelin, sa femme et son fils qui, après tout, étaient de très braves gens.

– À propos, Claire, dit M. Darimon après un silence, je sais où M. Lebel a dîné et passé la soirée hier soir.

La jeune fille ne put s’empêcher de tressaillir.

– Chez Mme la comtesse de Blérac, acheva le vieillard.

– Vous êtes sûr ?

– Absolument sûr.

– Et il est allé à pied à Blérac ?

– Et revenu de même.

– Quand il pouvait prendre le coupé ou la Victoria ! Mais qui vous a dit cela ?

– M. le curé, que j’ai vu ce matin ; j’arrive du village.

– Je comprends maintenant que vous sachiez tant de choses.

– Eh bien ! je vais vous dire encore ce que M. Logerot m’a appris.

– Dites, dites !

– Vous savez que j’ai remis depuis six semaines cinq mille francs à M. Lebel.

– Qu’il a donnés à Mme Moranne.

– À Mme Moranne, si vous voulez, mais enfin à son mari qui, grâce à M. Logerot et surtout à notre artiste, a obtenu l’entreprise des travaux de menuiserie du château de Blérac. Or, ce pauvre Moranne n’avait pas les premiers sous pour devenir entrepreneur ; c’est avec les cinq mille francs de M. Lebel qu’il a pu acheter les bois qui lui étaient nécessaires, embaucher des ouvriers et, enfin, marcher. Ce n’est pas tout, Claire.

– Qu’y a-t-il donc encore ?

– M. Édouard Lebel s’est pris d’une très grande amitié pour les Moranne ; on a même dit à ce sujet des choses… absurdes.

– Ah !

– Oui, on a prétendu que l’artiste faisait la cour à Mme Moranne.

– Eh bien ?

– Rien de plus faux ni de plus malveillant. L’amitié de M. Lebel pour les Moranne vient uniquement de ceci : Quand la jeune femme est venue ici poser pour la tête de la Vierge, elle a raconté son histoire à M. Lebel ; jugez de la surprise de notre artiste : Louise Moranne, une enfant trouvée, a été élevée à la Maison maternelle de Boulogne-sur-Seine où lui-même avait été recueilli.

Claire se dressa d’un seul mouvement, ayant dans le regard une joie rayonnante ; aussitôt, éclatant en sanglots, elle se jeta au cou du vieillard et l’embrassa.

 

À la même heure, à Poitiers, tout un quartier de la ville était en émoi. Il y avait foule dans la rue, devant l’hôtel des Bons Enfants, tenu par la veuve Ursule Crapelet. Tout ce monde parlait d’un drame que les journaux de Poitiers devaient raconter tout au long le lendemain.

Un voyageur de commerce du nom de Gallien s’était fait sauter la cervelle dans la chambre où il était descendu la veille.

Le procureur de la République, le juge d’instruction et un médecin légiste étaient sur les lieux.

Le suicide était dûment constaté ; du reste, un papier trouvé sur la table ne laissait aucun doute à ce sujet ; il expliquait pourquoi le malheureux désespéré avait mis fin à ses jours ; mais il ne fournissait aucun renseignement sur la famille du suicidé, ne disait point où il avait son domicile, ni quelle était la maison de commerce qu’il représentait.

On avait trouvé sur lui quatre mille francs en billets de banque et trois cents francs en or dans un porte-monnaie ; mais pas un autre papier. Ses papiers, il les avait certainement brûlés avant de se tuer ; les cendres étaient dans le foyer de la cheminée. Cette constatation faisait planer un mystère sur ce suicide et le suicidé lui-même.

La maîtresse de l’hôtel, interrogée, n’avait pu donner à la justice que des renseignements extrêmement vagues. Elle ne connaissait ce voyageur que pour être descendu plusieurs fois dans son hôtel, ainsi que le constatait son livre de police.

Cependant, et en attendant que l’on fût mieux renseigné, si on devait l’être, les magistrats délivrèrent le permis d’inhumer.

Resté seul dans la chambre, le baron de Simiane avait réfléchi ; il vit que, ainsi que le comte de Rosamont le lui avait dit, tout était fini pour lui, et il comprit qu’il n’avait plus qu’un moyen d’échapper aux travaux forcés à perpétuité, peut-être même à l’échafaud.

Le baron de Simiane avait eu le courage de se châtier lui-même. Il avait vécu en bandit et était mort presque en gentilhomme. Il sauvait son nom de la tache d’infamie, il rendait le repos à ceux dont il était la terreur. Il ne pouvait racheter autrement son horrible passé.

Seuls, les intéressés surent que dans le cimetière de Poitiers, sous le nom de Gallien était enterré le baron Raoul de Simiane, dernier descendant d’une illustre maison.

 

M. de Lancelin et son fils revinrent de Paris pour apprendre le malheur qui les avait frappés.

Le malheureux père pleura, et Auguste, sortant de son apathie habituelle, s’emporta et jura qu’il tuerait de ses mains son ex-ami le vicomte Alfred de Linois.

Quand, plus tard, M. de Lancelin ouvrit le tiroir de son secrétaire, il fut consterné en découvrant que les rouleaux d’or et beaucoup de titres au porteur n’étaient plus là.

Il accourut près de sa femme et lui dit :

– Près de cent mille francs ont été pris dans mon secrétaire. C’était la dot de notre fille. La malheureuse, la misérable me l’a volée !

Mme de Lancelin joignit les mains, tomba à genoux et, en pleurant, elle pria.

Elle priait pour sa fille, la pauvre mère, et, dans son cœur, elle lui pardonnait.

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