XXI À Saint-Mandé

On cherchait l’enfant, on cherchait la Chiffonne, on cherchait l’individu qui avait pris part à l’enlèvement en remplissant les fonctions de cocher.

En dépit de tous leurs efforts et bien qu’ils fussent stimulés par la promesse d’une forte gratification, les agents de la sûreté ne trouvaient ni l’enfant, ni la Chiffonne, ni le cocher.

Les agents étaient allés dans tous les dépôts des voitures de place, chez tous les loueurs de voitures de remise.

Dans les dépôts de la Compagnie des petites voitures, on avait placé des affiches disant qu’une récompense de deux mille francs serait accordée à celui qui ferait connaître le cocher cherché ou donnerait seulement des indications précises sur sa personne.

Une note dans le même sens avait été insérée dans les journaux.

Et l’on ne découvrait rien.

Pendant les premiers jours qui avaient suivi son entrevue avec son oncle, dans le cabinet du chef de la sûreté, Mme Clavière avait été assez calme, relativement. Elle avait un espoir.

Elle s’était dit que, puisque la Chiffonne n’était pas une méchante femme, elle comprendrait la douleur, les souffrances d’une mère à qui l’on a pris son enfant, se laisserait attendrir et, prise de pitié, lui ramènerait son fils ou tout au moins lui écrirait pour la tranquilliser.

Mais quand elle se fut convaincue qu’elle s’était bercée d’un vain espoir, la douleur de la pauvre mère n’eut plus de bornes ; c’était un désespoir en présence duquel on se sentait frissonner.

Les crises de larmes et de sanglots se succédaient, nombreuses. Et quand ses yeux n’avaient plus de larmes, que sa poitrine brisée n’avait plus de sanglots, c’étaient des plaintes, des gémissements à fendre l’âme.

Ces crises de désespoir la prenaient à toute heure, le jour, la nuit. Elle ne dormait plus. Son beau visage amaigri avait une pâleur d’ambre ; ses traits étaient tirés ; ses yeux caves, toujours brillants de fièvre, s’entouraient d’un cercle noir. En une semaine elle avait vieilli de dix années.

Elle ne prenait plus aucun soin de sa personne. Elle se mettait au lit parce qu’on lui disait : il faut vous coucher. Elle se levait le matin de bonne heure, s’habillait machinalement, et c’était à peine si elle baignait sa figure dans l’eau fraiche, si elle passait le peigne dans sa magnifique chevelure blonde.

Elle était souvent dans un état de torpeur qui faisait craindre qu’elle ne tombât sérieusement malade.

Parfois, sortant tout à coup de son absorption, elle se dressait sur ses jambes, farouche, le regard chargé d’éclairs, et était prise d’un accès de fureur qui faisait trembler. Alors c’était une suite d’imprécations terribles : elle s’en prenait au ciel, à la terre, aux hommes, aux choses, à tout. Et avec de grands cris rauques elle appelait son enfant.

Si on l’y eût laissée, elle serait restée une journée entière dans sa chambre ou dans un des salons, assise à la même place, la tête penchée sur son sein.

Mais il fallait qu’elle prît un peu d’exercice ; on la forçait à descendre au jardin. Elle se promenait, marchant lentement, allant de tous les côtés, excepté à l’extrémité du petit parc où se trouvait la porte. Elle s’arrêtait aux endroits où son fils avait l’habitude de jouer le plus souvent, et les yeux fixés sur le sol, immobile, songeuse, absorbée en elle-même, elle restait quelquefois un long quart d’heure à la même place.

En d’autres moments elle allait et venait, les yeux égarés, hochant la tête, agitant les bras, poussant de longs soupirs.

La voyant ainsi, Mme Durand et Louise s’effrayaient ; elles avaient la même pensée qu’elles n’osaient pas se communiquer. Elles avaient peur que leur maîtresse ne devînt folle.

Mme Clavière ne semblait être mieux pour les fidèles servantes que lorsqu’elle avait une visite. Et presque chaque jour quelqu’un venait la voir.

Quand ce n’était pas M. Chevriot ou Me Mabillon ou Philippe Beaugrand, c’était le curé ou le maire de Vaucresson, puis aussi Mme Joubert, qui vint deux fois accompagnée de son fils.

Mme Clavière, en effet, faisant des efforts pour bien accueillir les visiteurs, sortait de son inquiétante torpeur. Devant quelqu’un elle n’avait pas de ces terribles accès qui bouleversaient les servantes.

Avec assez de calme, mais non sans pleurer, elle écoutait les paroles de consolation qu’on lui adressait. On parvenait même à la faire causer un peu.

Tous lui disaient d’espérer. Oh ! espérer !… Ce mot résonnait à ses oreilles comme une lugubre raillerie. Hélas ! elle n’espérait plus.

Cependant, avec un redoublement d’activité et de zèle, les agents de la police de sûreté continuaient leurs recherches.

Ils ne trouvaient pas le complice de Gallot et de la Chiffonne ; ils le cherchaient à Paris et il était en Belgique. Cet individu, de nationalité belge, était le voleur de profession. Le samedi soir, après l’enlèvement de l’enfant, l’ancien serrurier lui avait donné deux louis, prix convenu ; aussitôt il s’était rendu à la gare du Nord et était parti, avec l’espoir que, dans son pays, son métier serait plus lucratif.

Les agents ne trouvaient ni l’enfant, ni la Chiffonne ; et cependant l’enfant et la Chiffonne étaient tout près de Paris, à Saint-Mandé, chez cette amie de la maîtresse de Gallot à qui l’enfant avait été confié dès le premier jour et qui avait accepté, comme histoire vraie, le conte que la Chiffonne lui avait glissé en douceur.

Cette femme, qui se nommait Aurélie Gosselin et était âgée de trente ans, avait aussi sa douloureuse histoire.

Née dans la Nièvre, elle était venue à Paris à dix-huit ans. Après avoir été d’abord domestique, elle avait appris l’état de passementière.

À vingt-six ans elle avait épousé un garçon de café. Malheureusement, Gosselin avait une mauvaise santé, il était poitrinaire. Peu de temps après son mariage la passementière devint enceinte, et quand le moment de sa délivrance approcha, elle se rendit chez sa mère pour y faire ses couches. Elle mit au monde un garçon à qui elle donna les prénoms de Aurélien-Marius-André et qu’elle appela Marius comme son mari.

Le petit Marius reçut le baptême dans la petite église du village nivernais.

Trois jours après, Aurélie reçut une lettre qui la rappelait en toute hâte à Paris. Son mari, qu’on avait transporté à l’hôpital, était à l’agonie ; elle arriva juste à temps pour lui fermer les yeux.

Elle avait laissé son enfant à sa mère, mais la paysanne était pauvre, très pauvre ; elle dut travailler dur, – car la passementerie ne rapporte pas beaucoup, – pour se suffire à elle-même et afin, surtout, que là-bas, la vieille mère et le petit ne manquassent de rien.

Quand il eut deux ans, elle reprit son enfant ; il ne profitait pas, au village, il était toujours malingre, souffreteux. Hélas ! le pauvre petit avait dans le sang le germe de la maladie qui avait emporté son père. Il était condamné dès le jour de sa naissance. Il mourut. Aurélie, qui pleurait encore son cher petit, était donc parfaitement disposée à accueillir l’enfant que la Chiffonne lui amenait et qu’elle lui présentait comme orphelin de père et de mère. Il était à peu près du même âge que son fils et – heureuse coïncidence – il s’appelait André, un des prénoms de son cher petit mort.

Certes, l’enfant de Mme Clavière aurait pu tomber plus mal.

Aurélie avait encore dans sa chambre, près du sien, le petit lit de son fils ; il fut vite préparé pour recevoir celui qui, pendant quelque temps, allait prendre la place laissée par Marius. La passementière, du reste, avait encore dans son armoire le linge et les effets d’habillement de son enfant.

Inutile de dire qu’elle combla de caresses le petit André et mit tout en œuvre pour le consoler et sécher ses larmes.

Tout de suite elle avait remarqué qu’il n’était pas vêtu comme un enfant d’ouvriers ou de gens pauvres. Elle en avait fait l’observation à la Chiffonne, qui avait répondu :

– Dans ces petites villes de province les malheureux sont tous comme ça : ils n’ont pas, souvent, de quoi s’acheter du pain et ils ne trouvent rien de trop beau à mettre sur le dos de leurs enfants.

Aurélie eut un sourire de mère.

Toutefois, le lendemain, quand elle leva l’enfant, bien que ce fût dimanche, elle l’habilla complètement avec un des vêtements de son fils.

Elle achevait la toilette d’André lorsque la Chiffonne survint.

– Tiens, fit-elle, tu lui as mis les affaires de ton petit.

– Son costume, brodé à la main, est trop joli, trop beau pour le lui laisser galvauder.

– Au fait, tu as raison, il aura bien le temps de l’user. Nous le lui mettrons mardi si, comme je le pense, je viens le prendre pour le mener promener.

Ayant fait sa visite à son amie et à l’enfant, la Chiffonne retourna vite rue des Vinaigriers où, avec l’ancien serrurier, elle écrivit la lettre que nous connaissons.

Ce fut Gallot qui se chargea de la mettre à la poste. Toujours plein de prudence, – les coquins en manquent rarement, – il la porta au bureau de poste de la place de la Bourse.

Ensuite il se rendit chez un marchand de vin du quartier du Temple où il était sûr de trouver quelques camarades.

En effet, trois étaient là.

L’un d’eux dit à l’ancien serrurier :

– Sais-tu la nouvelle ?

– Quelle nouvelle ?

– Comme il voulait vendre la chaîne et la montre du bourgeois de l’autre nuit, Filoselle a été pincé.

– Diable !

– Te voilà prévenu, tiens-toi sur tes gardes.

À la Centrale de Melun, Filoselle s’est fait mouton ; c’est un traître, toujours prêt à vendre ses frères ; à l’heure qu’il est, il doit déjà vous avoir dénoncés, toi et l’autre.

D’un coup de poing sur la table Gallot renversa les bouteilles et fit sauter le vin des verres.

– S’il a fait ça, le chien, dit-il sourdement, je lui crèverai la peau du ventre.

Après avoir trinqué et vidé son verre, le borgne sortit du débit et, ayant l’air tranquille d’un honnête citoyen, se dirigea, sans se presser, vers sa demeure.

La nuit commençait à venir ; la Chiffonne, qui n’attendait plus son homme, se disposait à sortir.

Soudain, Gallot se précipita dans le taudis pâle, effaré, essoufflée.

Ayant vite refermé la porte, il dit à la Chiffonne :

– Je vais être arrêté !

– Ah ! répliqua-t-elle, terrifiée, je t’avais prévenu, je ne voulais pas…

– Hé, il ne s’agit point du gosse de Vaucresson.

– Il y a donc autre chose ?

– Parbleu !

– Et l’on va t’arrêter ?

– Je viens de te le dire.

– Tu te trompes peut-être.

– Je ne me trompe pas ; une canaille m’a dénoncé.

– Mais qu’as-tu donc fait ?

– Ça, c’est pas ton affaire.

– Comment sais-tu qu’on va t’arrêter ?

– D’abord, un camarade m’a averti, et puis je viens de voir dans la rue des hommes qu’on reconnaît à leur allure, ce sont des roussins ; ils sont au moins quatre ; ils pouvaient se jeter sur moi, si j’avais fait mine de fuir ; hardiment, voulant te voir, ayant à te parler, je me suis avancé ; ils ne m’ont pas mis la main au collet, ils m’ont laissé passer. Une politesse. Mais ils vont venir, je ne peux pas leur échapper et je sais ce qui m’attend.

Tonnerre ! être pincé en ce moment, pas de chance !

– Alors je vais être arrêtée aussi, moi ?

– Des bêtises ! Tu n’as pas été dénoncée, toi, et d’ailleurs, tu n’as rien fait.

Mais le temps passe, parlons peu et parlons bien.

Tu n’iras pas après-demain au Père-Lachaise, je te le défends.

– Mais la dame y viendra.

– Ça m’est égal.

– Elle attendra.

– Ça m’est égal.

– Pourquoi ne pas faire ce qui a été dit : prendre les cent mille francs et rendre l’enfant ?

– Ah ! vraiment, la Chiffonne, tu aurais le cœur d’empocher l’argent pendant que je serais en prison ? Tonnerre de Dieu ! si tu faisais ça… Tiens, regarde ces deux pattes, ce sont des tenailles, je t’étranglerais !…

Tu n’iras pas au cimetière…

– Je n’irai pas.

– C’est bien.

– Mais l’enfant ?

– Tu le garderas.

– Comment, tu ne veux pas que je le rende à sa mère ?

– Non, non, mille fois non ! Ce n’est pas pour rien que je me suis donné le mal de l’aller prendre à Vaucresson. L’affaire n’est pas manquée, elle n’est que retardée ; ce qui ne sera pas fait après-demain, nous le ferons à ma sortie de prison. Arrange-toi comme tu voudras, mais quand je reviendrai, serait-ce dans trois ans, dans cinq ans, il faudra que je retrouve le petit.

Écoute, la Chiffonne, si tu l’avais rendu ou si tu ne pouvais pas me dire :

« Il est à tel endroit », aussi vrai que je n’ai plus qu’un œil, je te saignerais comme une poule !

Maintenant, autre chose : on ne sait pas ce qui peut arriver, on peut découvrir que c’est nous qui avons enlevé l’enfant ; pour cette raison, tu n’es plus en sûreté ici ; dès ce soir, il faut que tu disparaisses et que tu saches si bien te cacher que les plus malins de la Rousse ne puissent te mettre la main dessus.

À ce moment, un grand bruit de pas retentit dans l’escalier.

– Ce sont eux, ils montent, dit froidement le bandit. Ah ! si pour venir ils avaient seulement attendu jusqu’à dix heures, ils n’auraient plus trouvé leur gibier au gîte. Enfin, il n’y a pas à hurler ni à faire le méchant ; cette fois je suis pris, je me suis jeté comme un imbécile dans la gueule du loup. Mais voilà, la Chiffonne, je voulais te dire ce que je t’ai dit ; ne l’oublie pas.

On frappa violemment à la porte.

On y va, cria l’ancien serrurier.

Et lui-même alla ouvrir.

– Ah ! c’est vous ; messieurs, dit-il d’un ton gouailleur, je vous attendais.

Deux agents le saisirent.

– C’est bon, c’est bon, fit-il, on sait se tenir, il n’y aura pas de chahut on a du respect pour la justice.

– Est-ce que nous emmenons aussi la femme ? demanda un troisième agent.

Le borgne tressaillit, et la Chiffonne se recula instinctivement jusqu’au fond de la pièce.

– Dans l’ordre qui m’a été donné, répondit le chef de l’escouade, il n’est pas parlé de la femme ; si l’on a besoin d’elle, on nous le dira.

– À la bonne heure ! se dit Gallot, soulagé d’un poids énorme.

Les agents l’entraînèrent.

La Chiffonne s’était affaissée, défaillante. Au bout de quelques instants, elle se remit sur ses jambes.

– Il m’a dit que je n’étais plus en sûreté ici, murmura-t-elle ; je crois bien qu’il a raison et que, sans tarder, je dois partir. Mais où vais-je aller ?

Elle resta un instant songeuse, puis, se frappant le front :

– Oui, se dit-elle, je n’ai que cette ressource-là.

Une heure et demie plus tard, elle frappait à la porte de son amie Aurélie.

– Qui est là ? demanda celle-ci.

– Moi, Julie.

Aurélie ouvrit… Elle était en chemise, prête à se mettre au lit. Le petit André dormait.

– Comment, c’est toi ! fit la veuve, qu’est-ce qui t’amène à pareille heure ?

– Ah ! ne m’en parle pas, je viens te demander asile.

– Je veux bien te recevoir et t’offrir la moitié de mon lit ; mais que t’est-il donc arrivé ?

– Un coup de tête ; je me suis disputée avec ma patronne et tout de suite j’ai tout lâché.

La Chiffonne avait toujours fait croire à son amie qu’elle était en place.

– Je ne savais pas que tu avais une mauvaise tête, dit Aurélie.

– Que veux-tu ! on est parfois poussé à bout ; les maîtres aujourd’hui sont d’une exigence… Eh bien, j’en ai assez d’être au service des autres ; je ne veux plus me placer, on tombe trop souvent dans une baraque.

– Qu’est-ce que tu feras ?

– Autre chose. Tiens, il me vient une idée, tu m’apprendras ton métier de passementière. Est-ce long à apprendre, la passementerie ?

– Non, mais on gagne si peu !

– Bah ! pourvu que ça donne à manger… C’est dit, je veux être passementière et ouvrière comme toi.

– J’ai bien peur que tu n’en aies vite assez.

– Tu te trompes, ma chère, tu verras. Pendant quelque temps je resterai ici, avec toi, si je ne te gêne pas trop.

– Oh ! me gêner !

– Je te promets que nous ferons bon ménage ; c’est moi qui ferai la cuisine, si tu veux. Et puis, comme nous ne pouvons le garder longtemps, je chercherai un endroit où, sans avoir à payer cher, on voudra bien prendre mon petit neveu.

Les deux amies se couchèrent.

Le lendemain ce fut la Chiffonne qui leva et habilla l’enfant. Aurélie s’était mise à son ouvrage.

André ne pleurait plus ; les douces paroles, les caresses avaient apaisé son gros chagrin ; mais il répétait toujours :

– Je veux voir maman !

– Eh bien, oui, mon petit André, disait la Chiffonne, si tu es bien sage, je te mènerai voir ta maman.

– Je serai bien sage…

Et la Chiffonne embrassait l’enfant. Et avec des larmes dans les yeux elle murmurait :

– Pauvre petit !

C’était à la mère qu’elle pensait.

Quand elle eut fait les deux lits, nettoyé, mis tout en ordre dans la chambre et donné à l’enfant, pour son déjeuner, une tartine de confiture, elle s’assit en face d’Aurélie.

– Si tu veux, dit-elle, je vais commencer mon apprentissage.

La passementière lui donna une bande d’étoffe, qui devait être soutachée, d’abord, sur un dessin tracé, garnie de perles de jais ensuite, et lui indiqua la manière de s’y prendre.

La Chiffonne n’avait pas la tête dure, elle était intelligente, adroite, avait les doigts souples ; au bout d’une heure elle ne travaillait déjà plus comme une apprentie.

– C’est très bien, disait Aurélie, je suis vraiment émerveillée ; si tu continues, tu seras dans trois mois une bonne ouvrière passementière.

– Je t’ai dit que je voulais être ouvrière.

L’enfant, qui avait promis d’être bien sage, s’amusait avec quelques jouets ayant appartenu à Marius.

À onze heures, Aurélie dit à son amie :

– Il faudrait aller chercher quelque chose pour notre déjeuner.

La Chiffonne tira un louis de sa poche et le tendit à Aurélie.

– Mais je n’ai pas besoin de ta pièce d’or, dit celle-ci, je ne suis pas à court d’argent, Dieu merci.

– N’importe, prends toujours.

– Alors c’est moi qui vais aller aux provisions ?

– Tu connais ton quartier, tu as tes fournisseurs, tu sauras mieux faire que moi.

D’ailleurs ce sera toujours toi qui achèteras ; je me contenterai de faire notre cuisine.

Comme Aurélie se préparait à sortir, la Chiffonne lui dit :

– Tu n’as pas besoin de raconter aux gens que tu as donné asile à une de tes amies ; cela les rendrait curieux et ce serait un sujet à questions qui t’ennuieraient et moi aussi.

Ne parle de moi à personne, ça me fera plaisir ; je n’ai pas besoin qu’on me connaisse dans le quartier, pas même dans la maison.

– C’est bien, sois tranquille, répondit Aurélie.

Bonne femme sans malice, la veuve Gosselin n’y voyait pas plus loin que le bout de son nez.

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