VIII La chasse à la dame

Un peu avant quatre heures, la Chiffonne rentrait au taudis de la rue des Vinaigriers.

Elle avait la mine piteuse et était toute tremblante. La malheureuse s’attendait à recevoir sa raclée.

– Hein, fit Gallot, qui se disposait à sortir, te voici déjà !

– Je n’avais plus rien à faire là-bas.

– Comment cela ?

– La dame est venue.

– Bravo ! exclama-t-il. Alors tu as fait ce que je t’avais dit ?

– Je n’ai pu la suivre que jusqu’à la sortie du cimetière.

– Ça m’est égal si tu peux me dire où elle demeure.

– Je ne le sais pas, puisque je n’ai pas pu la suivre.

Le regard de Gallot s’éclaira d’une lueur sombre et une ride profonde se creusa sur son front.

– Pourquoi ne l’as-tu pas suivie ? demanda-t-il d’une voix sourde.

– Elle est montée dans une voiture.

– Une voiture de maître ?

– Non, un fiacre de la compagnie des petites voitures.

– Quelle direction a-t-elle prise ?

– Le fiacre a suivi le boulevard extérieur.

– Et tu ne sais pas où il est allé… Coquine, propre à rien, tu as laissé échapper la dame. Tu ne pouvais pas la suivre à la course, je le comprends ; mais tu devais prendre aussi un fiacre.

– C’est ce que j’aurais fait si j’avais pu ; mais je n’avais pas un sou dans ma poche. Ce matin, quand tu es sorti, j’étais encore couchée, tu as fouillé la poche de ma robe où j’avais encore cinq francs et tu me les as pris.

C’était vrai.

Mais Gallot voulait toujours avoir raison, même quand il avait tort.

Il devint furieux tout à coup, et ne pouvant tourner sa colère, contre lui-même, la Chiffonne devait forcément en pâtir. Il commença par deux gifles rudement appliquées, puis, l’accès de rage montant encore, il cribla la malheureuse de coups de poing et de coups de pied.

Elle ne se défendait pas, elle recevait les horions silencieusement, sans rien dire, retenant ses larmes. Elle savait depuis longtemps, par expérience, que les plaintes et les cris n’avaient pas d’autre effet que d’exciter son bourreau, de donner un nouvel aliment à sa fureur et de faire tomber sur elle des coups plus nombreux et plus violents.

Quand il jugea la correction imméritée suffisante, Gallot cessa de frapper ; il se calmait. Cependant pendant quelques instants encore, tournant autour de la chambre comme un fauve en cage, gesticulant, frappant du pied, il continua à ronchonner.

S’arrêtant brusquement devant la Chiffonne, qui essuyait ses yeux et se secouait comme un caniche mouillé, il lui dit :

– As-tu eu au moins l’idée de prendre le numéro du fiacre ?

– J’y ai pensé, mais je n’ai pas eu le temps.

– Ah ! tonnerre, tu vois bien que tu n’es propre à rien.

– Je m’approchais de la voiture pour prendre son numéro quand elle est partie au grand trot.

– Tu es toujours comme une engourdie, tu n’as pas été assez vive.

– Tu m’avais recommandé surtout de ne pas me faire remarquer par la dame.

– Enfin, quoi, la chose est ratée, rien de fait, c’est à recommencer et il faut encore attendre, attendre des mois. Et dire que j’avais si bien pris mes mesures… Ah ! c’est à devenir enragé !

Il mit sur sa tête son chapeau de feutre mou.

– Je sors, dit-il, j’ai rendez-vous ce soir avec les camarades. Il y a une affaire… Je ne sais pas si je rentrerai dans la nuit, dans tous les cas j’espère bien que demain il y aura de la galette.

Il partit.

Restée seule, la Chiffonne se mit en devoir de rattacher ses cheveux qui s’étaient dénoués et emmêlés sous les coups.

Cela fait, elle se laissa tomber sur une chaise et se mit, franchement à pleurer. Loin du terrible Gallot elle pouvait à son aise verser des larmes. C’était ainsi qu’elle se consolait.

– Et dire que je me suis follement attachée à cet homme-là, pensait-elle ; comme il y a des femmes qui sont bêtes ! Mais voilà, c’est comme ça. Il n’est pas beau, il n’a qu’un œil, c’est un brutal, un vaurien, il me bat et je l’aime ainsi… Oh ! oui, c’est bête, c’est bête ! C’est à croire que j’ai été attirée vers lui plus encore par son œil de moins et sa laideur que par la force de ses bras. Je l’aime si bien que, s’il me quittait, j’irais me jeter dans la Seine ; je suis comme le chien fidèle qui plus il est battu, plus il aime son maître et s’attache à lui.

Je suis l’esclave de Gallot, je n’ai plus d’autre volonté que la sienne, je fais ce qu’il veut, tout ce qu’il veut ; il m’ordonnerait de me précipiter dans un brasier, de me jeter dans un précipice, la tête la première, j’obéirais ; je crois même, Dieu me pardonne, que je serais capable de commettre un crime s’il me disait : Je le veux !

La Chiffonne resta un instant plongée dans ses réflexions puis, soudain, elle se redressa.

– Mais, murmura-t-elle, quelle est donc cette femme dont il tient tant à connaître la demeure et qu’il cherche depuis si longtemps ? Je l’ai vue, et entre mille, maintenant, je la reconnaîtrais. Elle est toute jeune et belle, belle à ravir les anges.

Bien qu’elle soit mise très simplement, il est facile de voir que ce n’est pas une personne du commun. Bien sûr elle est riche, et c’est probablement pour ça… Et pourtant, non, il faut qu’il y ait autre chose que je ne peux pas deviner.

Je voudrais bien savoir… mais comment ? Mon homme, même quand il est ivre, ne dit jamais, que ce qu’il veut perdre. Ah ! ce n’est point par la langue qu’il se compromettra, celui-là.

Je ne sais ni ce qu’il pense, ni ce qu’il fait ; il ne me dit rien, il me cache tout. Pourtant, il devrait avoir confiance en moi.

Il est parti, il ne sait pas quand il rentrera, où doit-il aller ? Une affaire. Quelle affaire ?

Elle eut comme un frisson.

– Eh bien, non, reprit-elle, je ne veux pas savoir quelles sortes d’affaires on peut traiter la nuit avec des camarades.

Sa pensée revint à la dame du cimetière.

– Qu’est-ce que Gallot peut donc lui vouloir, à cette belle jeune femme ? se demanda-t-elle ; voilà la seule chose que je voudrais savoir. Est-ce qu’il la connaît ? Et s’il la connaît, où donc et comment l’a-t-il connue ?

Quand elle est arrivée devant le monument ; quand après avoir tiré une clef de sa poche et ouvert la porte de la petite chapelle, elle a relevé son voile avant d’entrer, je fus tout éblouie de sa beauté et il m’a semblé que c’était une sainte qui m’apparaissait ; pour un peu je me serais élancée de ma cachette et précipitée à ses genoux.

Oh ! je ne veux pas que mon homme lui fasse du mal, je ne le veux pas !

Il y avait dans cette exclamation un élan du cœur qui faisait honneur à la Chiffonne. Ce qui prouve que, même chez la créature la plus dégradée, la plus avilie, tous les bons sentiments, tous les sentiments honnêtes ne sont pas complètement étouffés.

La Chiffonne hocha tristement la tête.

– Pour qu’il veuille tant savoir où elle demeure, se dit-elle, il faut qu’il ait depuis longtemps manigancé quelque chose. Quoi ? Je ne peux pas le deviner. Je connais Gallot, il ne renoncera pas à son idée et ce qu’il a résolu de faire, il le fera. La chose est sérieuse et mérite sûrement la peine que Gallot se donne ; il n’est pas homme à courir après une ombre ou une bulle de savon.

Hélas ! soupira-t-elle, en hochant de nouveau la tête, la jeune dame n’a rien de bon à attendre de Gallot ; s’il lui réserve quelque chose, se sont des douleurs et des larmes.

Des mois s’étaient écoulés sans apporter aucun changement dans la fortune de l’ancien serrurier. Lui et sa compagne continuaient de tirer le diable par la queue ; c’était toujours la même chose.

On avait bien de loin en loin deux ou trois jours d’abondance pendant lesquels, rien ne manquant, on faisait ripaille, histoire de rire un peu avec les amis qu’on festoyait. À ces heures joyeuses et trop courtes, succédaient de longs jours de disette. On était retombé dans la misère noire et les maigres épaules de la Chiffonne en supportaient les conséquences.

Mais Joseph Gallot n’était point sans espoir de voir arriver des jours meilleurs ; il avait sa branche de salut à laquelle il s’accrochait avec l’énergie de l’homme qui se noie et ne veut pas mourir.

Mener l’existence paisible d’un bon bourgeois avec quelques milliers de francs de rente, voilà ce qu’il désirait, voulait, oh ! pas davantage !

Il était fatigué, il en avait assez de ce chien de métier qu’il faisait et il se disait que le repos d’un farniente sans fin était une bien douce chose.

De gré ou de force, le chantage aidant, sa nièce lui donnerait bien une centaine de mille francs. Que diable, ça ne la ruinerait pas, d’autant plus qu’elle devait avoir fait des économies.

On était arrivé au 18 mai, et c’était le matin de ce jour-là, en s’habillant et en gourmandant la Chiffonne, qui ne s’attifait pas assez vite, que Gallot se livrait à ses réflexions de futur rentier.

Tous deux allaient se rendre au Père-Lachaise.

Gallot ne doutait pas un instant que sa nièce ne vint dans la journée prier sur la tombe d’André Clavière.

– Cette fois, disait-il, avec un de ces gros jurons qui lui étaient familiers, je ne veux pas être dindonné.

Comme il ne tenait nullement à ce que la jeune veuve le reconnût et découvrit ainsi qu’elle était épiée, ce qui aurait pu anéantir ou tout au moins contrarier ses projets, il avait décidé que ce serait la Chiffonne seule qui agirait. Mais comme il redoutait qu’elle ne fît encore quelque maladresse, il l’accompagnerait afin de la surveiller.

La matinée se passa sans incident. Le borgne se promenait aux alentours, lisant les épitaphes, pendant que la femme, accroupie sous le cyprès, faisait bonne garde.

À midi, assis sur une pierre tombale, le couple cassa une croûte en vidant un flacon de rhum, buvant à même, l’un après l’autre. La Chiffonne se remit à guetter pendant que Gallot reprenait sa promenade circulaire.

À trois heures, rien encore. Gallot était comme sur des charbons ardents. Perdant patience il se mordait les lèvres jusqu’au sang et s’en prenait aux tombeaux qu’il semblait vouloir démolir à coups de poing.

– Mais elle n’arrive pas, grogna-t-il ; ah çà ! décidément, est-ce qu’elle ne viendra pas ? Pourtant, c’est le jour.

Un quart d’heure s’écoula encore. Tout à coup Mme Clavière parut. Gallot, qui la reconnut aussitôt à son vêtement noir et à ses cheveux blonds, car elle avait son voile baissé, n’eut que le temps de se jeter derrière un tuya boule.

La jeune femme passa si près de lui qu’il aurait pu saisir sa robe en allongeant le bras.

Elle était accompagnée d’un homme chargé de couronnes ; elle-même avait à la main un énorme bouquet de myosotis bleus et blancs. Son compagnon n’était pas un cocher, mais tout simplement un homme de peine, un commissionnaire.

Elle entra dans la chapelle, l’homme resta devant le monument ; et quand il eut remis les couronnes, il s’éloigna.

La veuve s’était agenouillée et priait.

Gallot s’approcha du cyprès et dit à voix basse :

– Viens.

La Chiffonne sortit de sa cachette.

– Il est inutile que nous restions ici, reprit Gallot, allons attendre à la porte du cimetière.

Ils se mirent à marcher d’un pas rapide. Quand ils se furent suffisamment éloignés, ils allèrent plus lentement.

– Il était temps qu’elle arrive, dit la Chiffonne, je n’en pouvais plus, je suis toute courbaturée.

Il se mit à rire entre ses dents.

– Pourtant, fit-il, ta besogne n’est pas achevée. Aujourd’hui as-tu de l’argent ?

– Tu sais bien que j’ai cinq francs, puisque ce matin tu m’as donnée cinq pièces de vingt sous.

– Je veux être sûr que tu ne les as pas perdues, montre-les-moi.

– Eh bien, tiens, les voilà.

– C’est bon, tout va bien.

La Chiffonne se garda bien de lui dire qu’en plus de ses cinq francs elle avait, cachée au fond de sa poche, une belle pièce de vingt francs.

Ils sortirent du cimetière et pendant plus d’une demi-heure ils battirent le pavé lui d’un côté, elle de l’autre. Enfin ils virent paraître Mme Clavière.

– Tu sais ce que tu as à faire, dit Gallot à la Chiffonne en passant rapidement près d’elle ; attention et pas de sottise.

Mme Clavière sortit du cimetière et se dirigea vers une voiture qui stationnait à l’écart de plusieurs autres, qui étaient là, attendant qu’on vînt les prendre.

La jeune femme n’était pas encore montée dans sa voiture que déjà la Chiffonne disait au cocher du fiacre qu’elle avait choisi :

– Vous voyez cette voiture, dans laquelle monte une dame vêtue de noir, je vais où elle va, vous allez la suivre ; il y aura un bon pourboire.

– Compris, ça me va, répondit le cocher.

La Chiffonne se jeta dans le fiacre.

– Eh ! eh ! se disait le cocher, qui avait lorgné du coin de l’œil la jolie veuve, c’est une petite dame qui a des rendez-vous au Père Lachaise et que fait suivre un vieux mari jaloux.

Et avec un air suffisant :

– Eh ! eh ! on connaît ça !

Mais le pauvre homme, à quoi ça l’avance-t-il ?

À mieux mesurer la longueur des… choses dont il est coiffé.

La voiture de son confrère s’étant mise en marche, il cingla de deux coups de fouet les flancs de sa vieille jument poussive.

– Hue, Zozo, hue, et allons-y gaiement.

L’œil fixé sur les deux fiacres qui s’éloignaient, Gallot grommela sourdement :

 

– Si ce soir elle revient bredouille, gare à sa peau.

Cela dit, il enfonça ses mains dans les poches de son pantalon et suivit le boulevard pour gagner la rue du Faubourg-du-Temple.

Les deux voitures roulaient sur le pavé à vingt ou trente pas l’une de l’autre. Elles s’arrêtèrent presque en même temps devant la gare Saint-Lazare.

La Chiffonne sauta sur le trottoir et, vivement, mit trois francs dans la main du cocher.

Celui-ci, qui avait compté sur une meilleure aubaine, trouva que le pourboire était maigre, mais il ne manifesta son mécontentement d’aucune manière, ce qui eût été d’ailleurs fort inutile, car sa cliente s’était élancée sur les talons de Mme Clavière et avait disparu.

Elle rejoignit la jeune femme au guichet où l’on distribuait les billets pour Versailles et toutes les stations de la ligne. Elle entendit la douce voix de Mme Clavière qui demandait un billet de première pour Saint-Cloud. À son tour elle passa au guichet et se fit délivrer un billet de deuxième classe pour Saint-Cloud.

Le train allait être mis en marche.

La Chiffonne se rendit en courant sur le quai de départ et arriva assez tôt pour voir Mme Clavière monter dans un compartiment de première classe réservé aux dames seules.

Elle prit place dans la voiture de deuxième classe la plus rapprochée des voitures de première, en se disant :

– Je ne peux pas mieux faire.

Jusque-là tout marchait à souhait : la dame allait à Saint-Cloud, elle le savait ; mais était-ce bien à Saint-Cloud qu’elle demeurait ? Sachant comment elle serait reçue en rentrant, si elle ne pouvait pas dire où habitait la dame, la Chiffonne était tourmentée, très inquiète.

On arriva à Saint-Cloud.

La Chiffonne descendit de voiture un peu avant Mme Clavière. Celle-ci sortit de la gare après avoir remis son billet au gardien de la porte. Chiffonne, qui ne voulait pas la perdre de vue, la suivait à dix pas de distance. Mais, soudain, elle tressaillit et son front se couvrit d’une sueur froide.

Arrivée sur la route au-dessous de la gare, la dame montait dans un coupé qui l’attendait et évidemment commandé d’avance.

La Chiffonne ahurie, hébétée, les bras ballants, ouvrant des yeux énormes, resta immobile, plantée sur ses jambes comme un poteau.

Cependant, si bouleversée qu’elle fût, elle tendait ses deux oreilles, espérant qu’elle entendrait la dame dire au cocher où il devait la conduire.

Mais ce cocher, qui n’était autre que Pinguet, savait où il devait aller. Aussi Mme Clavière s’était-elle seulement contentée de le saluer d’un mouvement de tête accompagné d’un sourire.

Comme elle refermait la portière du coupé que, déjà, le cheval impatient ébranlait, un employé de la gare, en passant, la salua respectueusement, tenant à la main sa casquette galonnée.

Ceci n’échappa point à la Chiffonne, et, aussitôt, une idée jaillit de son cerveau. La voiture partait, emportée par le trot rapide du cheval.

Subitement revenue de son émotion, la Chiffonne rejoignit l’agent de la compagnie des chemins de fer de l’Ouest.

– Monsieur, lui dit-elle d’une voix triste, je suis une pauvre mère de famille ; j’ai eu le malheur de perdre mon mari il y a cinq mois ; c’était un brave et honnête ouvrier ; hélas ! il m’a laissée avec quatre enfants en bas âge.

L’employé l’examina et fut frappé de son air souffrant.

– Votre sort est digne de pitié, répondit-il ; malheureusement, je ne suis pas riche et j’ai aussi trois petits enfants à élever ; je n’ai pas un sou dans ma poche et, à mon grand regret, je ne puis rien vous donner.

– Oh ! répliqua-t-elle, ce n’était pas pour vous demander une aumône que je ne suis permis de vous arrêter. Tout à l’heure, à cette dame, qui vient de partir dans une voiture et que vous avez saluée, j’ai parlé de ma douloureuse situation ; aussitôt elle m’a mis une pièce dans la main. Oh ! la chère dame du bon Dieu, elle est aussi charitable qu’elle est jeune et belle.

Mais jugez de ma surprise, de ma stupéfaction, monsieur, quand, en ouvrant ma main, je vis la pièce de vingt francs que voilà. Bien sûr, la bonne dame s’est trompée ; c’était une pièce de vingt sous qu’elle croyait me donner. J’ai couru pour lui rendre sa pièce d’or, mais je n’ai pas eu le temps, il était trop tard, la voiture partait. Et vous me voyez bien en peine. Je suis pauvre, dans la misère, mais cela ne m’empêche pas d’être honnête. Non, non, pour rien au monde je ne voudrais profiter d’une erreur. Je ne serai tranquille que lorsque j’aurai fait savoir, à la charitable, dame qu’elle s’est trompée en me donnant une pièce de vingt francs croyant me donner une pièce de vingt sous.

– Monsieur, vous avez salué cette dame, vous la connaissez, oh ! je vous en prie, dites-moi son nom et où elle demeure.

– Je ne la connais pas autrement, que pour la voir de temps à autre à la gare ; c’est, moi qui, aujourd’hui, lui ai donné son billet pour Paris et lui ai changé un billet de banque de cinq cents francs, ce dont elle m’a gracieusement remercié. Je ne sais pas comment elle s’appelle, tout ce que je peux vous dire, c’est qu’elle demeure à Vaucresson.

– Ah ! Vaucresson, fit la Chiffonne dont le cœur battait fort. Est-ce que c’est loin de Saint-Cloud, Vaucresson ?

– Deux petites lieues de chemin, le village après Garches, sur la route.

– Merci, monsieur, merci mille fois.

– Cependant, je crois que vous pouvez sans scrupule garder la pièce de vingt francs.

– Non, non, je la rendrai.

– Il y a cent à parier contre un que si vous allez à Vaucresson la reporter, la dame vous dira de la garder.

– C’est possible, monsieur ; mais alors seulement les vingt francs seront à moi, pour mes petits.

L’employé s’éloigna.

– Tout de même, se disait-il, il y en a, parmi les misérables, qui ont des sentiments délicats.

Certes, la Chiffonne avait si bien joué sa petite comédie que bien d’autres que l’employé s’y seraient laissé prendre.

Pour le moment, elle n’avait plus rien à faire ; aussi bien que possible elle avait rempli sa tâche. Elle savait que la dame habitait à Vaucresson ; c’était quelque chose, c’était même beaucoup. Bien sûr, à moins de vouloir exiger l’impossible, son homme se montrerait satisfait. Elle rentra dans la gare, prit son billet et attendit le premier train pour Paris.

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