X La fille aux asperges

Gallot avait pris un étroit sentier et s’était bientôt trouvé loin des habitations, au milieu des champs couverts de plantes maraîchères. Il s’éloignait à regret, car il n’avait pas recueilli les renseignements qui lui étaient nécessaires, croyait-il.

Il se demandait ce qu’il devait faire.

Allait-il rejoindre la grande route et poursuivre son chemin vers Saint-Cloud ou retourner à Vaucresson ?

Comme il s’était arrêté, hésitant, et jetait autour de lui un regard investigateur, il aperçut, à une vingtaine de pas, une jeune femme assise au bout d’un champ d’asperges, sur un talus, à l’ombre d’un pommier.

Il s’approcha d’elle.

Elle venait de couper des asperges, dans le champ, il y en avait plein un panier placé près d’elle ; son travail l’avait mise en nage.

Gallot aussi avait chaud, car plusieurs fois il s’était essuyé la figure inondée de sueur.

– Quelle chaleur, madame, dit-il, quelle chaleur étouffante !

– Oui, vraiment, monsieur, répondit-elle en laissant voir de longues dents jaunes, on se croirait aux jours de la canicule ; il est vrai que nous approchons du mois de juin.

– Les chaleurs prennent de bonne heure cette année, ce doit être un bon temps pour les récoltes.

– Très bon temps ; mais une petite pluie douce, qui tomberait pendant une demi-journée, serait meilleure encore pour nos champs.

– Elle viendra, la pluie. En attendant, on n’est pas à son aise en voyageant avec ce soleil sur la tête et les épaules : je suis exténué.

– Vous venez de loin ?

– De Vaucresson seulement ; mais j’ai beaucoup marché, puisque je suis venu de Saint-Cloud à pied.

– Si vous n’êtes pas trop pressé, reposez-vous un peu et asseyez-vous là, sur cette touffe d’herbe, si le cœur vous en dit.

Gallot s’empressa de se rendre à l’invitation.

– Ce n’est pas le bon fauteuil des riches, reprit la femme avec un petit rire aigu, mais on y est bien assis-tout de même et on ne craint pas de le casser.

– C’est vrai, fit Gallot, riant aussi ; on est bien, ma foi, sur cette touffe d’herbe, les jambes pendantes le long du talus, ça repose ; et puis ça va me donner l’agrément de causer un instant avec vous.

– Une distraction que l’on n’a pas souvent dans les champs.

Bien qu’elle n’eût guère que vingt-cinq ou vingt-six ans, elle n’avait déjà plus ce qu’on appelle la beauté du diable, la paysanne. Sa figure hâlée, criblée de taches de rousseur, était outrageusement fanée et ridée.

Elle était coiffée d’un madras à carreaux rouges, comme la plupart des paysannes des environs de Paris, coiffure primitive, s’il en fut, laquelle emprisonnait complètement sa tignasse rousse. Non, elle n’était pas jolie, elle était même laide avec son front étroit, ses petits yeux de chauve-souris, son gros nez et ses lèvres épaisses.

Vieille fille, déjà, elle avait dû beaucoup souffrir de sa laideur, qui avait constamment repoussé les amoureux, et elle ne devait guère aimer les autres jeunes filles mieux favorisées des dons de la nature.

Tout en la regardant, Gallot se disait :

– Vais-je pouvoir la faire causer ?

Ce fut elle qui reprit la parole.

– Ainsi, monsieur, dit-elle, vous êtes venu ce matin de Saint-Cloud à Vaucresson ?

– Oui, une bonne trotte.

– Est-ce que vous êtes de Saint-Cloud ?

– Non, je suis de Paris. Je suis venu jusqu’à Saint-Cloud en chemin de fer.

– Ah ! vous êtes de Paris, fit-elle, c’est beau Paris !

Elle ajouta avec un soupir qui exprimait un regret, peut-être une douleur :

– Je ne connais pas Paris, moi, je n’y suis jamais allée.

– Si vous êtes de Vaucresson, vous n’en êtes pas si éloignée que vous ne puissiez y aller à certains jours de fête.

– Je suis de Vaucresson, j’y suis née ; mais on ne va pas à Paris sans argent, et puis, il faut au moins un brin de toilette.

– Êtes-vous mariée ?

Elle eut comme un tressaillement et ses grosses lèvres se crispèrent.

– Non, répondit-elle avec un accent singulier, je ne suis pas mariée.

– Ce champ d’asperges est à vous ?

– Il est à mes maîtres ; moi, je n’ai rien, je ne possède rien, je ne suis qu’une servante.

– Vous avez des gages, vous êtes payée.

– Ah ! oui, fit-elle avec aigreur, on les paie si bien à la campagne, les servantes, pas même assez pour qu’elles puissent s’habiller, avoir du linge.

– Je verrai à vous trouver une place à Paris.

– Vous êtes bien bon, monsieur, ce serait mon rêve ; mais ce n’est pas la peine de vous occuper de moi ; je ne connais que le travail des champs, je ne saurais rien faire à Paris. Est-ce que vous venez souvent à Vaucresson ?

– Très rarement, au contraire.

– Qu’est-ce qui vous y a amené aujourd’hui ?

– Quelque chose que j’avais à remettre à une dame de la part d’un de ses amis.

– Ah ! Et quelle est cette dame ?

– Bon, se dit Gallot, elle est curieuse, elle doit être bavarde.

Il répondit :

– Cette dame se nomme Mme Clavière ; vous devez la connaître.

– Certainement, tout le monde la connaît à Vaucresson.

– Une bien charmante jeune femme, généreuse, pas fière du tout et belle à ravir.

– Belle, c’est vrai, et encore cela dépend des goûts.

– Je suis de votre avis, cela dépend des goûts.

– Moi, je n’aimerais pas sa figure ; d’abord, j’ai horreur des blondes c’est fadasse.

Gallot se mit à rire, en se disant :

– Parbleu, elle aime mieux les rousses.

– À part ça, reprit la servante, on ne peut pas dire qu’elle est mal, Mme Clavière. Elle n’est pas fière, comme vous venez de le dire, cependant elle ne parle pas à tout le monde. Elle ne va chez personne et personne ne va chez elle ; elle vit seule, renfermée, avec son petit garçon et ses deux servantes. On ne la voit jamais rire, ça se comprend, car elle a eu de grands malheurs : Avoir perdu son mari si jeune ! Tout de même, elle a une drôle d’existence. Il y en a qui disent qu’il y a dans sa vie quelque chose qu’elle cache.

– Ah ! on dit cela ?

– Dame, elle est si mystérieuse ! Mais comme elle fait assez de bien dans le pays, elle n’est pas mal regardée et même on l’estime.

– Ainsi elle fait du bien dans le pays ?

– Elle donne pas mal aux pauvres gens.

– Elle est riche ?

– On ne sait pas au juste quelle est sa fortune ; on pense qu’elle a dix ou douze mille francs de rente.

– Moi, je sais qu’elle a mieux que çà, se dit Gallot ; pas de train de maison, dépenses presque nulles, elle fait de grosses économies pour le mioche. Tout ça est bon à savoir.

Il reprit à haute voix :

– Y a-t-il longtemps qu’elle demeure à Vaucresson ?

– Depuis bientôt deux ans.

– Depuis deux ans seulement ! Où était-elle donc avant ?

– Personne ne le sait.

– C’est drôle.

– On ne sait rien de son passé, monsieur, et voilà ce qui fait dire qu’il y a un mystère là-dessous.

– Cela n’empêche pas qu’elle soit estimée, considérée.

– Dame, elle est riche ! Laissez faire, si c’était une malheureuse, ça ne serait pas la même chose.

– Je suis de votre avis : c’est toujours aux pauvres la besace. Elle est pieuse, elle va à l’église, elle doit être bien avec le curé.

– Avec lui comme avec tout le monde ; je vous le répète, elle est très estimée, très considérée à Vaucresson.

– Est-elle en location ou la propriété lui appartient-elle ?

– La propriété lui appartient ; je sais qu’elle l’a achetée et payée argent comptant.

– Autant que j’ai pu voir, c’est très beau chez elle.

– Comme elle ne reçoit personne, on ne sait pas ce qu’il y a dans la maison ; cependant, au dire du jardinier, il paraît que c’est magnifique.

Elle n’est guère coquette, pourtant ; toujours elle est habillée simplement, une robe de cachemire noir l’été, une robe de popeline de laine noire l’hiver ; quant à ses chapeaux, il y a des filles de cultivateurs à Vaucresson qui en ont de plus jolis ; oh ! elle ne dépense pas beaucoup pour sa toilette.

Par exemple, pour son petit garçon, elle n’y regarde pas ; il est toujours comme un petit prince ; il n’y a pas d’étoffes assez belles et assez riches pour lui.

– Cela prouve qu’elle aime beaucoup son enfant.

– C’est-à-dire qu’elle en est folle.

– Quel âge a-t-il, ce petit ?

– Il n’était pas encore sevré quand Mme Clavière est venue à Vaucresson ; c’est tout au plus s’il a deux ans et demi.

– Est-ce qu’il avait une nourrice ?

– Non pas, c’était sa mère elle-même qui le nourrissait.

– Ne m’avez-vous pas dit que Mme Clavière avait un jardinier ?

– Il faut bien qu’elle en ait un pour soigner le jardin qui est assez grand.

– Alors il y a dans la propriété un logement pour le jardinier ?

– Non, le jardinier n’est pas à demeure ; il travaille à la journée ou plutôt à l’heure, comme c’est l’usage dans nos pays, et il ne va chez Mme Clavière que trois fois la semaine, puis la matinée du dimanche.

– Est-ce que Mme Clavière sort souvent ?

– Non, elle sort peu, seulement une fois par semaine, presque toujours le samedi, dans l’après-midi, entre une heure et deux heures.

Une voiture vient la chercher et la ramène.

– Ah ! Et elle est longtemps absente ?

– Elle ne rentre jamais que vers cinq ou six heures.

– Où donc va-t-elle ?

– Voilà ce qu’on se demande à Vaucresson.

– Alors on ne sait pas.

– On ne sait rien, toujours le mystère. On a essayé de questionner le cocher de la voiture ; mais il a répondu de façon à ne pas donner envie aux curieux de recommencer. Quand je vous dis, monsieur, que tout est mystérieux autour de Mme Clavière. Tenez, c’est comme sa cuisinière, une femme déjà d’un certain âge, impossible de lui arracher une parole de la bouche, à moins que ce ne soient des réponses comme celles-ci : « Qu’est-ce que ça peut vous faire ? De quoi vous mêlez-vous ? Cela ne vous regarde pas ! Occupez-vous donc de vos affaires et non de celles des autres, etc… » Quand elle n’est pas contente, elle vous a un air rébarbatif, roule de gros yeux et lance des regards qui font peur. Par exemple, en voilà une qui est dévouée à sa maîtresse, il ne faudrait pas en dire du mal devant elle, elle serait capable de vous arracher les yeux. Eh bien, le cocher dont je viens de vous parler est tout pareil.

– Enfin c’est le samedi que Mme Clavière va en visite ?

– Oui, c’est le samedi, presque jamais un autre jour.

– Elle emmène son petit ?

– Jamais ce jour-là ; il reste avec Louise, la jeune servante chargée de veiller sur lui et qui ne le quitte pas d’un instant.

– De quoi peut-on avoir peur ? fit Gallot, dont l’œil s’éclaira d’une lueur fauve.

– Dame, un accident est si vite arrivé ! On sait bien comment sont les enfants.

– C’est vrai. Ainsi le petit ne sort jamais ?

– Oh ! que si : on le mène promener dans les bois ; il a une petite voiture dans laquelle on le met quand il est fatigué de marcher ou de courir, et que la servante pousse devant elle. Je l’ai vu plusieurs fois, le bébé, il est joli comme un amour.

– Et c’est Louise, la servante, qui mène promener le petit dans les bois ?

– C’est-à-dire que la servante accompagne toujours Mme Clavière quand elle mène promener son enfant ; il ne sort jamais sans sa mère. Le laisser sortir sans elle, oh ! la, la, elle aurait trop peur.

– De quoi ?

– Est-ce qu’on sait ?

– Pourtant, elle ne peut pas être constamment avec lui.

– Bien sûr ; mais quand il est dans le jardin avec Louise, elle est tranquille. Quand elle s’en va, le samedi, il est expressément défendu à la servante de sortir du jardin, ni avec l’enfant, ni même seule. Du reste il est assez grand, le jardin, pour que le petit puisse s’y amuser et y courir tout à son aise.

– C’est vrai.

– Mais, en bavardant, je ne m’aperçois pas que le temps passe et j’oublie que la maîtresse m’attend. Quelle heure peut-il être ?

– Pas loin de dix heures.

– Déjà si tard ! je vais être grondée ; ces asperges sont commandées pour midi et il faut les mettre en bottes et les porter. Tenez, il y en a une botte pour Mme Clavière.

Le borgne fronça les sourcils et se gratta l’oreille.

La fille rousse s’était levée et avait pris son panier.

– À propos, dit Gallot, en se levant à son tour, ne dites à personne que nous avons causé ensemble de Mme Clavière ; si elle apprenait que vous m’avez raconté ceci et cela, elle pourrait être fort mécontente.

– En effet, car elle n’aime pas qu’on s’occupe d’elle. Mais je n’ai rien à dire aux gens ; d’ailleurs ça ne peut intéresser personne.

– Oh ! mon Dieu, non, personne.

– Au revoir, monsieur.

– Au revoir, mademoiselle.

La rousse s’en alla de son côté et Gallot du sien.

La fille l’avait rassuré ; elle ne dirait rien.

Et il se disait que le hasard l’avait admirablement servi. Beaucoup plus facilement qu’il ne l’avait espéré, il avait appris à peu près tout ce qu’il tenait à savoir.

Maintenant son plan était définitivement arrêté dans sa tête. Il n’avait plus qu’à en préparer l’exécution, en prenant bien ses mesures pour qu’il réussît.

Gallot appelait cela dresser ses batteries.

Dans la bande où le misérable s’était enrôlé, il n’avait jamais été qu’un comparse, il faisait nombre, voilà tout. C’était un méconnu, on ne savait pas, on ne se doutait même pas de ce qu’il valait. Eh bien, on le verrait à l’œuvre, l’homme aux combinaisons ténébreuses.

Au bout de quelques jours il revint à Vaucresson. Il était sorti de Paris la veille, à pied, avait passé une partie de la nuit dans les bois et, à la première lueur de l’aube, il pénétrait dans la propriété de Mme Clavière, en escaladant le mur, ce qui n’avait pas présenté de grandes difficultés, grâce à un vieux néflier, au tronc tordu, dont les branches noueuses s’étendaient en dehors de l’enclos.

À la villa tout le monde dormait encore, ainsi qu’en témoignaient les persiennes hermétiquement fermées.

Du reste, Gallot ne tenait pas à s’aventurer sur la pelouse, ni à s’approcher de l’habitation, c’était seulement le haut du jardin, la partie boisée qu’il voulait explorer.

Tout d’abord il s’occupa de la porte ouvrant sur le chemin rural ou de vidange.

Il reconnut que, ainsi qu’il l’avait pensé, elle était fermée à deux tours de clef.

Évidemment, excepté quand la jeune mère sortait par cette porte pour faire une promenade dans les environs, elle était constamment fermée ainsi.

Mais faire sortir le pêne de la gâche n’était pas pour Gallot une grosse affaire ; il savait se servir d’une fausse clef ; en cet exercice il était depuis longtemps passé maître.

Mais comme il l’avait également pensé, la porte, en plus de sa serrure, avait un solide verrou. Ça, ce n’était plus la même chose, car si du dehors on pouvait avoir raison de la serrure, le verrou restait inattaquable, à moins de faire dans le mur une forte entaille, ce qui présentait des difficultés au point de vue de la sécurité.

– C’est bon, se dit-il, je n’ouvrirai pas du dehors, voilà tout, et le verrou m’embarrassera moins que la serrure.

Il se mit ensuite à fureter à travers le petit bois, en se rapprochant de l’endroit où il avait opéré son escalade.

Bien que le jour augmentât peu à peu, cette partie du jardin où se trouvait Gallot était encore dans l’obscurité.

Tout à coup, il se sentit enlacé, garrotté par des espèces de liens ornés de pointes aiguës qui déchiraient sa chair comme les dents d’une scie. C’étaient de hautes ronces, très serrées, après lesquelles s’entortillaient les innombrables rameaux d’une énorme clématite ; cela ressemblait un peu à ces lianes impénétrables des forêts vierges de l’Amérique.

Gallot se dépêtra avec beaucoup de peine, mais non sans s’être mis les mains en sang. Toutefois, c’était une précieuse découverte qu’il venait de faire. Tout en la cherchant, il avait découvert une cachette qu’il n’espérait pas trouver. Sous ce buisson épais, touffu, qui se défendait lui-même avec ses ronces avancées, garnies de crocs redoutables, on pouvait se tenir caché, en plein jour, pendant des heures, et sans risquer d’être découvert, car nul ne devait jamais s’approcher de cet endroit, repaire de crapauds, d’orviets, peut-être de couleuvres.

Gallot tourna autour de cette espèce de redoute fortifiée et s’aperçut que, du côté du mur, où les ronces poussaient avec moins de vigueur et même mouraient, on pouvait se glisser aisément, sans trop craindre les écorchures, sous le dôme de la clématite.

– Bonne affaire, murmura-t-il. Allons, tout va bien !

Le jour était venu, et comme le borgne n’était pas homme à se laisser surprendre, il se hâta de sortir de la propriété de la même manière qu’il y était entré.

Il n’y avait personne encore dans les champs ; mais du village montait une rumeur, annonçant le réveil des habitants. Des chiens aboyaient et déjà on entendait le roulement de quelques voitures.

Gallot se jeta à travers champs et, marchant très vite, il eut bientôt gagné les bois. Il n’avait été vu par personne.

Dès le jour de sa première apparition à Vaucresson, après qu’il eut entendu dans le jardin la voix de l’enfant et acquis la certitude que cet enfant était bien le fils de Mme Clavière, il avait décidé qu’il enlèverait le petit André. Oui, le misérable voulait s’emparer de l’enfant, le voler à sa mère !

Ne fallait-il pas qu’il exploitât sa mine d’or ? L’innocent petit être, le cher adoré ferait le jeu de son chantage.

– Non, vraiment, s’était-il dit, je ne peux pas trouver un meilleur moyen de la faire casquer.

L’enlèvement de l’enfant aurait-il lieu la nuit ou dans la journée ?

Trois femmes seules dans une maison presque isolée ne sont pas bien à craindre ; mais la nuit, même quand on n’a pas à redouter la visite des voleurs, on a l’habitude de fermer ses fenêtres, ses portes, de les barricader, ce qui n’est pas, d’ailleurs, une précaution inutile. Or, si habile qu’on puisse être à ouvrir une porte ou à pénétrer dans une habitation par une fenêtre, quand il est impossible d’y entrer par la porte, on est toujours forcé de faire du bruit, si peu que ce soit ; les femmes s’effrayent, à juste titre, crient, appellent au secours et peuvent être entendues ; ensuite, si elles n’ont pas la force de l’homme, elles ne sont pas toujours sans courage et, dans certains cas, elles savent se défendre.

Du reste, pour avoir raison de trois femmes qui ne tombent pas en syncope en face du danger, il faut deux hommes, au moins, car l’ancien serrurier savait par expérience que sa nièce, répondant à une attaque, valait un homme.

Gallot avait fait ces réflexions et s’était dit :

– La chose ne peut pas se faire la nuit.

D’ailleurs, pour cette grosse affaire, le borgne ne voulait s’associer ni deux, ni même un seul de ses camarades. Elle était à lui, bien à lui, cette affaire, il la gardait pour lui seul. Il avait la Chiffonne pour l’aider, c’était assez.

Il avait donc décidé qu’il enlèverait l’enfant en plein jour, un samedi, pendant que sa mère serait absente, et c’était dans ce but qu’il était venu explorer le haut de la propriété.

Le samedi qu’il choisirait pour faire le coup, le temps serait beau, ensoleillé ; l’enfant serait dans le jardin et on s’emparerait de lui pendant qu’il prendrait ses joyeux ébats sur la pelouse.

Il n’y avait plus que les petites choses de détail à régler ; elles entreraient dans la combinaison, naturellement. Quand on a conçu un plan, il faut que rien n’y manque sous peine de le voir piteusement avorter. Gallot savait cela et il mettait toute son intelligence au service de ses machinations.

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