XII Monsieur Coffard

L’homme des informations reçut Mme Joubert avec courtoisie, la fit entrer dans son cabinet, et quand elle se fut assise :

– Madame, lui dit-il, votre visite me dit que vous avez quelque chose à me demander ; veuillez me dire comment je puis vous être agréable.

– Monsieur, il s’agit de certains renseignements…

– C’est beaucoup pour cela que j’ai des visites, fit-il en souriant.

– Ces renseignements dont j’ai besoin ; monsieur, j’espère les obtenir de vous.

– Si je les possède, madame.

– Vous savez tout, monsieur.

– Beaucoup de choses, madame, mais pas tout.

– Monsieur, il y a trois ans, un duel, qui a eu un assez grand retentissement, a eu lieu dans le bois de Saint-Cucufa, près de Rueil.

– Ah ! oui, le duel André Clavière.

– Vous vous souvenez ?

– Très bien ; c’est moi-même, en personne, qui ai suivi toute cette affaire.

– Alors vous la connaissez dans tous ses détails ?

– Oui, madame. Le malheureux André Clavière a été mortellement blessé et a rendu l’âme quelques jours après dans une maison de la Jonchère où il avait été transporté.

– Je sais cela, monsieur, je sais aussi que dans cette maison de la Jonchère a été célébré un mariage in extremis.

– Oui, avant de mourir, André Clavière a épousé Mlle Marie Sorel.

– Ah ! elle se nommait Marie Sorel ?

– Vous l’ignoriez ?

– Oui, et bien d’autres choses encore, sans doute. Eh bien, monsieur, c’est précisément sur Mlle Marie Sorel, aujourd’hui Mme Clavière, et pour des raisons extrêmement délicates, que je ne dois pas vous faire connaître encore, que je désire avoir des renseignements.

– Je suis prêt à vous donner tous ceux que j’ai pu recueillir.

– Merci, monsieur. On m’a dit que Mlle Sorel était pauvre, qu’elle avait été ouvrière.

– Oui, madame, ouvrière couturière.

– Puis demoiselle de magasin.

– Dans une maison de confiserie du boulevard des Italiens.

– Est-ce que les journaux ont raconté tout cela ?

– Non, madame, non ; les journaux, au contraire, ont très peu parlé de Mlle Sorel.

– Ah !

– Il y avait là, madame, une grande douleur à respecter ; cette belle jeune femme, veuve après quelques heures seulement de mariage, intéressait tout le monde. Les journalistes, madame, ont aussi leurs sentiments de délicatesse.

Mme Joubert s’inclina.

– Sans s’être entendus, madame, continua Coffard, ils n’ont écrit et fait connaître au public qu’une faible partie de ce qu’ils savaient.

– C’était très bien. Cependant, monsieur, pour expliquer le mariage in extremis, MM. les journalistes ont dû dire que Mlle Sorel était la maîtresse de M. André Clavière.

– Aucun d’entre nous, madame, ne se serait permis une pareille calomnie.

– Une calomnie !

– Mlle Sorel n’était pas la maîtresse d’André Clavière.

Mme Joubert devint très pâle.

– Elle et lui, poursuivit le journaliste, nés dans la même petite ville bourguignonne, à Longereau, si je ne me trompe pas, étaient amis d’enfance, mieux que cela encore, presque frère et sœur de lait, la mère de Marie ayant été la nourrice d’André. Celui-ci, pauvre garçon ! est venu à Paris pour y trouver la mort. Il avait voulu se rapprocher de Marie ; il l’aimait.

– Et elle ne l’aimait pas, elle.

– Elle ne l’aimait pas… Et cependant, – ô mystère du cœur de la femme, – quand elle le vit blessé, mourant, elle se jeta sur lui, en s’écriant :

« – André, ne meurs pas, je veux que tu vives, ne meurs pas André et je t’aimerai, je t’adorerai ! »

– Elle était pauvre, n’était-ce point là une comédie pour se faire épouser ?

– Oh ! madame !… Non, il n’y avait pas là un jeu de comédie ; elle ne voulait pas ce mariage et il a fallu les instances et toute l’autorité du notaire d’André Clavière et de M. le docteur Abel Chevriot pour l’y faire consentir.

– Ainsi, ce fut uniquement pour la faire son héritière que M. Clavière l’a épousée.

– Mon Dieu, oui, madame.

– Ce notaire, dont vous venez de parler, ne se nomme-t-il pas M. Mabillon ?

– Oui, madame.

– Lui et le docteur Chevriot étaient des amis de M. Clavière ?

– Assurément. C’est le docteur Abel, sans doute appelé par André Clavière, qui a soigné Marie Sorel.

– Soigné, dites-vous ?

– Ah ! vous ne savez pas cela. Eh bien, l’avant-veille du duel, Marie Sorel a voulu se suicider par le charbon.

– Que me dites-vous là !

– Couchée sur son lit, ne donnant plus signe de vie, elle allait mourir, elle mourait quand, heureusement, André Clavière et quelques autres personnes pénétrèrent dans le logement en enfonçant les portes. Aussitôt appelé, comme je vous l’ai dit, le docteur Abel acheva, grâce à sa science et à ses soins, ce que l’air pur envahissant la chambre avait commencé.

– Mon Dieu, mais tout cela est effrayant.

– Ce sont les drames de la vie, madame.

– Pourquoi cette malheureuse voulait-elle mourir ?

– Une grande douleur, le désespoir ; l’homme qu’elle aimait, à qui elle s’était donnée, venait de l’abandonner.

– Sans doute M. Clavière n’ignorait pas qu’elle eût un amant.

– Il le savait.

– Oh ! Et mourant pour elle il l’a épousée !

– Une éclatante preuve d’amour donnée à une femme, un de ces dévouements rares qui, en relevant la femme tombée, anoblissent l’homme.

– Soit ; mais vous direz tout ce que vous voudrez, monsieur, il est difficile de comprendre, s’il n’y avait pas là un calcul, que Mlle Sorel ait pu consentir à accepter le nom de celui qui allait mourir de la main de l’homme qu’elle aimait.

– Pardon, madame, mais nous ne nous entendons pas du tout.

– En ce cas, expliquons-nous : l’adversaire de M. Clavière, dans ce duel funeste, était le baron de Simiane, un assez triste personnage.

– Un viveur qui a toutes les qualités, tous les défauts, tous les vices des coureurs d’aventures parmi lesquels il s’est lancé.

– Eh bien, M. de Simiane n’était-il pas l’amant de Mlle Sorel ?

– Mais non, madame.

– Mais, alors, quelle a donc été la cause du duel ?

– On a parlé d’une querelle qui s’était élevée entre les deux hommes, mais la véritable cause du duel est restée ignorée, le baron et les témoins ayant tenu la chose secrète ; du reste, les témoins eux-mêmes ne savaient peut-être pas exactement ce qui s’était passé.

Cependant, aujourd’hui, la cause du duel m’est connue.

– Ah !

– Je tiens la chose du baron de Simiane lui-même.

L’année dernière, un jour que j’entretenais le baron à ce sujet, il me répondit :

« Étant l’ami intime de son amant, je connaissais Marie Sorel ; elle me plaisait, excitait mes désirs et, secrètement, j’enviais le bonheur de mon ami. Quand il y eut rupture entre eux, – cette rupture était forcée, – je crus pouvoir m’emparer, sans coup férir, de la place abandonnée. Je croyais que Marie Sorel était pétrie de la même pâte que tant d’autres belles de nuit, je me trompais.

« Je me présentai audacieusement chez Mlle Sorel, qui était encore sous le coup de sa douleur, et lui demandai de me donner la succession de mon ami… Je fus repoussé avec perte et me retirai tout déconfit, honteux comme un renard à qui l’on vient de couper la queue.

« Au bas de l’escalier, je me croisai avec un jeune homme très bien mis, de belle tournure, joli garçon ; c’était André Clavière. Il venait voir Mlle Sorel. J’ai su depuis que c’était la première visite qu’il faisait à la jeune fille.

« Elle lui raconta ce qui s’était passé entre elle et moi ; ce fut un malheur, car l’amoureux provincial s’indigna et concentra en lui une fureur qui ne devait pas tarder à faire explosion.

« Vous allez voir ce que c’est que la fatalité.

« Mon ami, que Mlle Sorel connaissait sous le nom de Lucien Gervois, un nom qu’il avait cru devoir se donner afin d’arriver plus facilement à séduire la jolie demoiselle de magasin, mon ami, dis-je, avant de quitter Mlle Sorel pour toujours, et craignant qu’elle ne se trouvât dans la gêne, voulut lui donner une certaine somme qu’elle refusa fièrement. Malgré cela, avant de se retirer, il eut la malencontreuse idée de laisser un billet de mille francs sur la cheminée.

« Dans la soirée ou le lendemain, Mlle Sorel trouva le billet de banque.

Aussitôt, elle écrivit quelque chose comme ceci :

« Monsieur, vous avez perdu chez moi un billet de banque de mille francs, je m’empresse de vous le rendre. »

Elle agissait très bien, c’était de la dignité, dit Mme Joubert, qui écoutait avec un vif intérêt.

– Seulement, reprit Coffard, poursuivant le récit de son interview, quand Mlle Sorel eut mis le tout dans une enveloppe sur laquelle elle écrivit : « À monsieur Lucien Gervois, » elle se trouva fort embarrassée, celui-ci, et pour cause, ne lui ayant jamais donné son adresse.

« Mais André Clavière connaissait l’adresse et savait le véritable nom de l’homme qui se faisait appeler Lucien Gervois ; il se chargea de remettre le pli à qui de droit.

« J’étais avec mon ami et nous parlions précisément de Marie Sorel quand M. André Clavière, dont le nom nous était inconnu, se fit annoncer.

Il fut reçu, et pendant qu’il échangeait quelques paroles avec mon ami, je me tenais à l’ écart. Bien que je ne l’eusse vu qu’une fois, le matin, je l’avais facilement reconnu.

« Ayant rempli sa mission, sans avoir adressé un reproche au séducteur de Marie Sorel, de son amie d’enfance, de celle qu’il aimait enfin, il allait se retirer, lorsque je commis la maladresse de m’avancer. Alors, à son tour, il me reconnut, et ce fut à moi qu’il s’en prit : j’eus le tort, je le reconnais, de lancer quelques mots railleurs qui le surexcitèrent au plus haut point. Il ne se connaissait plus et, se posant en défenseur de Mlle Sorel, il me jeta à la face des paroles qu’un homme de cœur ne saurait entendre sans exiger une réparation. Vous savez le reste. »

– Hélas ! fit Mme Joubert, le dévouement de ce brave garçon devait lui coûter la vie, M. André Clavière était une riche nature.

– Il l’a trop bien prouvé.

Après un bout de silence :

– Monsieur, reprit Mme Joubert, est-ce que le nom de l’amant de Mlle Sorel n’a pas été mêlé à ce drame ?

– Il n’a pas été question de lui.

– C’est assez singulier.

– Autre sentiment délicat des journalistes, madame.

– Cependant il méritait…

– Peut-être, madame. Il rompait avec Mlle Sorel contraint et forcé.

– Ah ! Et pourquoi ?

– Il se mariait ; il épousait une jeune fille du monde et d’un grand nom. On ne pouvait pas un jour de noces porter au cœur de la jeune épouse un coup terrible, peut-être mortel.

– C’est vrai.

– À cette occasion, j’eus l’honneur d’avoir la visite du père de la jeune femme ; il venait me prier de ne rien dire au nom de la tranquillité, du bonheur de son enfant. J’ai su qu’il avait vu aussi ou écrit à mes confrères.

– Oh ! allez, je comprends bien tout ce qu’on peut faire en vue du bonheur de son enfant.

– Mais ce monsieur, qui se faisait appeler Lucien Gervois, Mlle Sorel a-t-elle su son véritable nom ?

– Assurément, M. Clavière n’ayant aucune raison de le lui cacher après la rupture.

– Et ce nom, monsieur, est-ce qu’il vous est défendu de me le faire connaitre ?

– Nullement, madame. Il y a trois ans j’aurais pu hésiter, mais aujourd’hui… Celui qui se faisait appeler Lucien Gervois est le comte Maxime de Rosamont, actuellement premier secrétaire d’ambassade en Autriche.

– N’est-ce pas ce comte de Rosamont qui a épousé une des filles du marquis de Noyons ?

– Louise de Noyons, oui, madame.

Mme Joubert resta un instant songeuse.

Le journaliste ignorait ou paraissait ignorer que Marie Sorel était enceinte de trois ou quatre mois lors de son mariage. Sans aucun doute légitimé par le mariage de sa mère, le petit André Clavière était le fils du comte de Rosamont. Devait-elle parler de cet enfant à M. Coffard ? Non, c’était inutile. D’ailleurs, dans le cas où le célèbre reporter ignorerait que Mme Clavière eût un fils, il ne lui appartenait pas de faire cette révélation, qui pouvait être une indiscrétion dangereuse.

– Enfin, monsieur, reprit-elle en relevant la tête, cette pauvre Marie Sorel a été indignement trompée.

– C’est l’histoire de beaucoup de jeunes filles qui, pour vivre, sont obligées de s’éloigner du foyer de la famille. Presque toujours la beauté est pour elles un don fatal. Sans le vouloir et sans le savoir souvent, elles excitent la convoitise et deviennent la proie d’un séducteur quelconque. Heureuse encore est celle qui ne tombe pas entre les bras de quelque goujat ou d’un bellâtre de bas étage.

– Oui, monsieur ; mais, dans la vie, que de choses tristes et douloureuses !

– Que voulez-vous, madame, elle est faite ainsi, la vie, il faut l’accepter telle qu’elle est, avec ses joies passagères, ses désillusions, ses laideurs, ses écœurements.

Rien n’est changé depuis des siècles, c’est toujours la même chose : ce qui était, beau est resté beau, le laid est toujours le laid et, quoi qu’on ait fait, les hommes ne sont pas devenus meilleurs. On ne fera jamais rentrer dans la boîte de Pandore toutes les horreurs qui en sont sorties.

Coffard et Mme Joubert n’avaient plus rien à se dire.

Celle-ci prit congé du reporter après l’avoir remercié du gracieux accueil qu’il lui avait fait.

Cette fois, Mme Joubert était suffisamment édifiée.

Elle le connaissait enfin ce passé de Mme Clavière, que sa perspicacité maternelle avait en quelque sorte deviné. Certes, il n’y avait rien de bien noir dans ce passé ; la jeune femme, une victime plutôt qu’une coupable, était plus à plaindre qu’à blâmer.

Mme Joubert comprenait maintenant tout l’intérêt que la jeune veuve avait à vivre seule, à n’aller chez personne, à ne pas laisser regarder dans son existence.

Comme femme, Mme Joubert se sentait toute disposée à l’indulgence, mais comme mère, étant donnée la rigidité de ses principes, Mme Clavière ne pouvait pas trouver grâce devant elle. Il y avait une faute et cette faute était aggravée par l’existence de l’enfant à qui un homme qui n’était pas son père avait donné son nom.

Selon la mère d’Edmond, il y avait là, dans la situation de l’enfant, une tromperie dont elle et son fils ne pouvaient partager la responsabilité.

Edmond ne pouvait pas épouser Mme Clavière : c’était impossible. Elle allait briser le cœur de son fils, mais dût-il en souffrir longtemps, il fallait qu’il renonçât à ses projets. Il y avait là une question d’honnêteté, une question d’honneur.

Mme Joubert avait appris ce qu’elle avait voulu savoir ; cependant il y avait encore une chose, une seule, qu’elle était contrariée de ne pas connaître : le comte de Rosamont savait-il que Marie Sorel était enceinte lorsqu’il l’avait abandonnée, savait-il qu’il était le père d’un enfant qu’un autre avait légitimé ?

Mais, après tout, que lui importait cela ? Elle n’avait pas à s’en préoccuper du moment que les projets de son fils étaient devenus irréalisables.

Elle revint à Vaucresson fort soucieuse.

En partant elle avait dit à son fils qu’elle aurait le jour même les renseignements les plus complets sur leur voisine.

Le jeune homme l’attendait avec une anxiété facile à comprendre. Il vit tout de suite à sa figure grave et quelque peu altérée que les renseignements recueillis n’étaient pas tels qu’il les désirait.

– Qu’as-tu appris ? lui demanda-t-il d’une voix tremblante.

– Des choses excessivement graves.

Il pâlit affreusement.

– Des calomnies, fit-il, la méchanceté s’attaque à tout.

– Il n’y a pas de calomnies, répliqua-t-elle, mais l’exacte vérité.

– Eh bien ?

– Tu ne dois plus penser à Mme Clavière ; l’épouser est impossible.

Le jeune homme tressauta et regarda sa mère comme hébétée.

– Pourquoi ? balbutia-t-il.

– Je vais te le dire, prête-moi toute ton attention.

Mme Joubert commença par instruire son fils des choses que lui avait fait connaître le notaire de Garches.

En écoutant, Edmond avait eu le temps de se remettre de la pénible impression qu’il avait éprouvée ; il se sentait rassuré.

– Et voilà pourquoi, répondit-il, je ne dois plus penser à Mme Clavière ?

– En vérité, ma mère, la raison n’est nullement suffisante et tes scrupules exagérés ne me paraissent pas sérieux. La tache n’existe pas, il n’y a là rien qui touche à l’honneur, et si tu veux absolument qu’il y ait eu une faute, le mariage la couvre, l’a effacée.

– Mon cher enfant, répliqua la mère, s’il n’y avait que cela, malgré tout le bruit qui s’est fait autour du nom de Clavière, je fermerais les yeux.

– Qu’y a-t-il donc encore ? Que peut-il y avoir ?

– Je n’ai pas trouvé suffisants les renseignements que m’avait donnés Me Gaudry…

– Pourtant, ma mère…

– La lumière n’était pas faite comme je le désirais ; je résolus de continuer mon enquête et de compléter les renseignements que j’avais déjà obtenus. Ce matin je me rendis chez M. Coffard, que je connais depuis plusieurs années et qui m’a très gracieusement accueillie.

– Oh ! un journaliste ! fit le jeune homme un peu dédaigneux.

– Un journaliste, mon ami, qui est en même temps un homme de bonne compagnie et qui sait bien des choses, ce qui était encore mieux pour moi.

– Enfin, que t’a-t-il dit, ce monsieur ?

– Je vais te le répéter.

Et Mme Joubert rapporta à son fils, aussi exactement que possible, la conversation qu’elle avait eue avec le reporter.

Le jeune homme avait de nouveau pâli, puis avait laissé tomber sa tête dans ses mains. Il était atterré.

Mme Joubert avait cessé de parler et il restait dans la même position, immobile, comme écrasé.

Au bout de quelques instants, la mère le força à relever la tête et, lui mettant un baiser sur le front :

– Mon cher enfant, dit-elle, il y a toujours un remède pour les plus grandes douleurs.

Il eut un regard désolé et un sanglot s’échappa de sa poitrine. Puis, secouant la tête, il murmura :

– Ma vie est brisée !

– Non, non, s’écria Mme Joubert en entourant son fils de ses bras, l’homme courageux et fort ne se laisse pas abattre ainsi ! Ta mère t’aidera à oublier cette femme !

Il secoua douloureusement la tête.

– Je ne pourrai pas, je ne pourrai jamais, dit-il.

– Si, si ! avec de l’énergie et de la volonté, tu parviendras à arracher de ton cœur ce fatal amour.

– Je l’aime trop !

– Tu en aimeras une autre.

– Il n’y en a pas une autre.

– Edmond, veux-tu que nous partions ? Nous irons où tu voudras ; tiens, je serais charmée de revoir l’Amérique.

– Non, répondit-il, avec un mouvement d’impatience, je t’en prie, ne me parle pas de voyager.

– Eh bien, rentrons à Paris où tu reprendras plus que jamais la vie active.

– Ma mère, je vais à Paris trois fois la semaine, c’est assez ; je me plais ici, je veux y rester.

– Malheureux enfant, mais tu ne veux donc rien faire pour te guérir ?

– Je ne veux pas guérir ! Je souffre, oh ! oui, je souffre ; mais je veux garder ma douleur, c’est elle qui me fera vivre.

Des larmes jaillirent des yeux de Mme Joubert.

Le jeune homme l’embrassa fiévreusement, et, sans ajouter une parole, alla s’enfermer dans sa chambre, où il éclata en sanglots.

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