La mort fauche sans arrêt

Il grelotta. La servante tragique aussi grelottait ; un froid subit pénétrait au tréfonds des chairs. Ce froid fut suivi d’une période de surexcitation et de peur. Une détresse intolérable pesait sur les nuques. La femme de chambre Berthe rôdait le long des murs, avec des allures de bête qui cherche une issue :

– La mort ! La mort ! La mort ! rauqua-t-elle.

Elle tourna sur elle-même, comme si elle avait reçu une balle dans le crâne, leva les bras dans un geste de suprême angoisse et brusquement roula sur le plancher. Langre et Meyral la relevèrent. Elle frémissait, avec de courts tressauts, ses joues se creusaient entre les mâchoires ; ses yeux restés larges ouverts « perdaient » fantastiquement leur regard.

– Berthe !… Pauvre Berthe ! gémissait Sabine.

Elle aimait cette jeune femme, pour sa douceur et pour sa patience.

– Berthe est morte ! murmura l’agonisante.

Ses mains s’agitaient dans le vide, puis un sourire tragique crispa la bouche, et le regard continuait à s’éteindre.

– Un médecin ! commanda Langre.

La servante tragique se dirigeait vers la porte, en titubant, mais Meyral la devança… Quelques mots roulèrent encore confusément, sur les lèvres de la mourante, comme des cailloux dans une rivière ; elle poussa un gémissement, puis un râle, et s’ensevelit dans la nuit éternelle.

Le médecin que ramena Meyral était un homme trapu et bancal, dont la barbe grisonnait à gauche, tandis qu’à droite elle demeurait noire. Il considéra le cadavre avec indifférence et bégaya :

– Nous ne savons plus ! Ce mal n’a point de nom. Si ça continue… personne… personne !…

Il fit un geste de renoncement et considéra en silence les yeux ouverts de Berthe.

– Leur regard ! soupira-t-il…, jamais ce regard n’avait existé auparavant.

Il secoua la tête et boutonna machinalement sa redingote :

– Rien à faire ! Les excitants échouent. Notre présence est vaine… vaine !

Et passant la main sur le front, d’un geste d’immense lassitude :

– On m’attend ailleurs… on m’attend partout !

Il se glissa hors du laboratoire comme un spectre.

L’heure passa, écrasante et monotone. Ils étaient là, dans l’attente innommable, plus perdus au sein du mystère que des naufragés au sein des océans. Leur faiblesse seule les soulageait. Elle comportait de longues pauses d’engourdissement, pendant lesquelles pensées et sensations passaient au large de l’organisme, si lentes, si indécises, qu’elles diluaient la souffrance. Il y avait d’atroces réveils, des réveils grelottants, où l’âme s’emplissait de terreur, où l’angoisse serrait les gorges comme un nœud coulant. Réveils et torpeurs correspondaient à un rythme : ils se produisaient simultanément chez les adultes et chez les enfants.

Vers cinq heures, Langre et Meyral constatèrent que la température baissait plus vite :

– Et cette fois l’intensité des rayons rouges demeure stationnaire ! murmura le vieillard, d’une voix sinistre. La fin est proche…

Un coup à la porte d’entrée l’interrompit :

– Un visiteur ? grommela-t-il avec une faible ironie.

La servante tragique se traîna jusqu’à l’antichambre ; on entendit une exclamation et des chuchotements, puis une haute silhouette se dressa au seuil du laboratoire :

– Vérannes ! gronda le vieillard.

– Oui, Vérannes ! répondit le visiteur.

Il montrait un visage humble, creux et pitoyable ; sa forte stature semblait tassée, un grelottement continu agitait les mains musculeuses :

– Je suis venu, reprit-il du ton d’un suppliant, parce que tout va finir – et je voudrais finir auprès de mes enfants et de celle que j’aime.

– Vous ne le méritez pas ! s’écria Langre.

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