Chapitre VII

Le lendemain, les rayons violets étaient reconquis et l’humanité recommençait son périple. Le feu reparut dans les foyers, dans les hauts-fourneaux, dans la brousse, sur la savane. Les bateaux électriques reprirent leur course sur la mer retentissante, les voitures encombrèrent les villes, les aéroplanes sillèrent dans l’étendue, le téléphone et le télégraphe, les ondes hertziennes rassurèrent les multitudes.

On commença d’évaluer l’étendue du désastre. Un tiers des hommes, un quart des animaux domestiques, dans les dernières forêts vierges, quelques myriades de bêtes carnassières et plantivores, avaient succombé.

Parmi les races blanches, l’Allemagne, les États-Unis, la Grande-Bretagne avaient subi les plus rudes pertes. La population germanique, de soixante-quinze millions d’âmes, était descendue à quarante-six ; il n’y avait plus que soixante-cinq millions d’hommes aux États-Unis ; trente-neuf en Angleterre. Moins éprouvée, l’Italie voyait sa population réduite à trente millions d’âmes, la Russie à quatre-vingt-dix millions, l’Espagne à quinze et la France à trente-quatre. Mais à Paris et le long du littoral méditerranéen, l’hécatombe se décelait exceptionnelle : sur quatre millions d’habitants, Paris en perdait quinze cent mille ; Marseille était diminuée de moitié Nice des deux tiers…

Pendant quelques jours, ces Pertes parurent irréparables. Mais quand les survivants commencèrent à se rassurer sur leur propre sort, elles causèrent plus de bien-être que de chagrins. Les mères seules, beaucoup de pères, telles créatures fidèles, subissaient des regrets profonds. Les autres connaissaient l’indifférence ou la joie sournoise qui suit la mort du prochain ; d’innombrables héritages firent du désastre une vaste fête pour des millions de légataires. Les villes ayant plus souffert que les campagnes, la question sociale se trouva temporairement résolue : il y eut du travail pour tous, et grassement rétribué ; il y eut des biens disponibles en abondance : le fisc s’enrichit au point qu’on put réduire les impôts, entreprendre d’énormes travaux publics et secourir grassement les miséreux.

La cause du cataclysme demeurait mystérieuse, encore que les conjectures pullulassent. La plupart des savants se ralliaient à l’hypothèse d’un immense flux d’énergie, venu des abîmes interstellaires, qui avait balayé notre planète, et peut-être aussi Mars, Vénus, Mercure, le Soleil même. La nature de cette énergie échappant à toute conception, l’hypothèse n’expliquait rien. Personne ne pouvait imaginer pourquoi son effet avait été de réduire ou d’annihiler la plupart des énergies connues. Aussi quelques penseurs proposaient-ils l’hypothèse contraire. Ce n’était pas selon eux, un flux énergétique qui avait passé, mais un torrent d’éther particulièrement avide d’énergie et qui, par suite, avait absorbé la lumière, le calorique, l’électricité, à doses massives. En somme, d’après les uns, il s’agissait de forces antagonistes, d’après les autres, d’une capture de force.

La théorie de ces derniers était contredite par la rapide reconstitution des énergies terrestres : une température estivale succédait au froid des jours néfastes, le magnétisme semblait accru, les actions chimiques se manifestaient avec un surcroît de vivacité qui, dans maints cas, causèrent des accidents et qui exigeaient, dans les usines et les laboratoires, un surcroît de précautions : tout se passait comme s’il y avait une épargne de force vive.

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