La vie s’emplit de grâces nouvelles

Un matin, Langre et Meyral firent coup sur coup deux découvertes excitantes. Le vieillard constata que la bande violette du spectre solaire s’était sensiblement élargie, tandis que Meyral remarquait qu’un détecteur d’ondes hertziennes, qu’il avait inventé, montrait une sensibilité inattendue.

– Cela correspond bien à notre hyperesthésie et à l’exagération des croissances végétales ! dit Georges.

– Mais pourquoi ne l’avons-nous pas constaté auparavant ?

Des essais minutieux montrèrent quelques autres anomalies, mais très faibles. Ainsi, la conductibilité électrique des métaux se trouvait amoindrie, mais ce phénomène était masqué, en pratique, parce que les divers appareils, piles, dynamos, machines statiques, avaient un rendement supérieur à la normale.

– Tout cela, remarquait Gérard, nous laisse en pleine ignorance. Parmi les observations que nous avons faites pendant et après le désastre, je n’en vois en somme qu’une qui ait un caractère spécifique.

– Évidemment ! acheva Georges. C’est que, seuls, les rayons jaunes, orangés et rouges ont résisté : ils ont reçu un accroissement d’éclat.

– Les rayons infrarouges aussi.

– Du moins les plus voisins du spectre visible ! Car, pour les autres, ils ont subi le sort commun – tout comme les ondes hertziennes.

– Je trouve pourtant quelque chose de bien caractéristique dans le dégagement actuel d’énergie. En effet, le « mal de la lumière » faisait préjuger que les forces ennemies dévoraient les forces terrestres et solaires. Le résultat montre clairement que l’antagonisme a formé des énergies potentielles.

– Eh ! justement, cria le vieillard avec dépit. C’est le dégagement de ces formes virtuelles qui devrait nous fournir la clef du mystère. Or, il ne nous donne que des anomalies curieuses, mais banales. Nous n’avons même plus la singulière réfraction qui a marqué le début de l’attaque. C’est exaspérant ! Et c’est ridicule !

– Nous ne pouvons pas monter sur nos propres épaules ! conclut philosophiquement Meyral.

Les jours suivants furent sans doute les plus beaux qu’ait connus l’espèce humaine. La vie, la vie la plus simple, s’emplit de grâces indicibles. Une immense floraison couvrit la terre jusqu’aux pôles : partout les plantes revivaient un nouveau printemps. L’air était lourd de baumes, une tendresse inlassable flottait dans les crépuscules, et semblait couler des étoiles, la nature redevenait vierge : chaque prairie évoquait les savanes, un bois devenait une forêt, la folle croissance faisait renaître tous les mystères des genèses.

Il y eut un soir plus beau que tous les autres.

C’était vers le milieu de la canicule. Après le dîner, la famille s’était réunie sur la terrasse. D’incommensurables sites se creusaient dans les profondeurs de l’Occident. Les contrées chancelantes du Nuage simulaient les splendeurs des terres, des eaux, des forêts, des montagnes et jusqu’aux œuvres de l’homme. Il n’y eut pas seulement des lacs et des marécages, des cavernes et des cimes, des fleuves d’améthyste et des golfes de vif-argent, des savanes et des brousses, il y eut aussi des cathédrales, des pyramides, des hauts-fourneaux et une nef colossale, un tabernacle nué de soufre, de perle et d’hyacinthe, un amoncellement de chasubles…

L’âne et la chèvre rôdaient sur la petite pelouse ; le jardinier s’apercevait à l’ombre d’un cytise, vieux profil gothique, aux joues creuses et à la barbe cornue ; son petit-fils rampait vers la fontaine et le chien se levait par intervalles en flairant l’étendue, les yeux ardents comme s’il apercevait des choses invisibles aux hommes ; les passereaux ivres enflaient leurs petites cornemuses et chantaient éperdument.

Georges se tenait auprès de Sabine. Vêtue de blanc, sa chevelure ramassée en buisson, elle condensait les symboles brillants qui donnent au bonheur la figure de la femme. Chaque lueur de la prunelle, chaque frisson de la nuque argentine, la nacre des dents apparue entre les lèvres écarlates, la caresse de la lumière sur les joues fines ajoutaient des nuances vives à la beauté du soir.

En même temps, il sentait ce lien bizarre qui l’unissait à tout le groupe.

– Je n’avais jamais été heureux ! murmura Langre.

– Et qui l’avait été, chuchota Georges, sauf en ces minutes qui passent comme une aile devant une vitre et qui s’évanouissent en ombres ? Qui donc avait connu l’hôte mystérieux que les hommes attendent depuis qu’ils ont de l’imagination ?

De larges papillons crépusculaires passaient sur leurs ailes cotonneuses, deux chauves-souris multipliaient leurs méandres devant les vitraux du couchant et Meyral ne cessait de contempler Sabine. Il semblait qu’il fît en quelque manière partie d’elle ; lorsqu’elle se déplaçait, il y avait dans toutes les fibres du jeune homme un passage de courants rapides et délicieux.

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