Le félin géant

À l’arrivée devant la caverne, Aoûn et les femmes avaient à peine deux mille coudées d’avance. Il grimpa le premier, avec Ouchr, jusqu’à la plateforme, pour organiser l’escalade, puis, successivement, les autres arrivèrent. On hissa d’abord les enfants ; les femmes suivirent ; les trois dernières étaient encore à mi-hauteur lorsque les Hommes-Dhôles lancèrent des pierres aiguës. Elles rebondissaient sur le roc ; Aoûn brandit sa dernière sagaie ; Ouchr et ses compagnes jetèrent des cailloux : trop peu nombreux encore pour tenter l’assaut, les Chelléens se retirèrent à l’abri des projectiles, et quand l’arrière-garde survint, les Louves occupaient la caverne.

Elle était inexpugnable. Un homme ou une femme à la fois pouvait atteindre la plate-forme ; il fallait ensuite grimper sur les épaules d’un compagnon. Un ou deux coups d’épieu défieraient chaque tentative. Les Chelléens le comprirent. Ils épiaient la chaîne basaltique dans l’espoir de trouver une voie parallèle : tout autour de la caverne, la muraille se décela infranchissable.

Peu importe aux Dhôles. Il suffira d’attendre. La faim, la soif livreront les assiégés. Là-bas, au défilé, ils ont pu fuir et traverser le fleuve. Ici, le jour de la sortie sera le jour de la mort. Que peuvent onze femmes et deux hommes contre vingt guerriers pleins de force ?

Lorsque les femmes sont sauves, Aoûn place deux guetteuses sur la plate-forme et défend qu’on le suive. Puis, ayant allumé un brandon, il descend vers la caverne profonde. L’inquiétude tenaille sa chair. Il croit impossible que le félin géant n’ait pas reconnu Zoûhr, et toutefois il doute.

À mi-chemin, un grondement hâte sa course. La fissure est là, où si souvent il est venu épier la Bête. Et soudain, sa poitrine s’élargit ; il a vu Zoûhr auprès du Carnivore, et deux yeux énormes phosphorent, tandis qu’un souffle haletant accueille l’Oulhamr.

« Le lion des Rocs est toujours l’allié du fils de la Terre et du fils de l’Urus ! » dit le Wah.

C’est un moment de joie sourde et de vaste espérance.

« Les Hommes-Dhôles n’ont pas suivi la piste de Zoûhr ?

– Ils ne l’ont pas vu se séparer des autres : Zoûhr s’était caché parmi les blocs. »

Après avoir longuement flairé Aoûn, le félin géant s’était recouché et commençait à se rendormir. Aoûn reprit :

« Zoûhr ne sortira que la nuit, avec le tigre des Kzamms… il ne fera rien contre les Hommes-Dhôles avant qu’Aoûn soit redevenu fort.

– Pendant le jour, Zoûhr ne s’éloignera de la caverne que jusqu’à la mare… la mare est proche. Aoûn et les femmes auront besoin d’eau. »

Aoûn soupira. Il vit la mare, le fleuve, les sources. La soif le harcelait, exaltée par sa blessure. Il ne put s’empêcher de dire :

« La soif brûle Aoûn… mais il attendra jusqu’au soir.

– La mare est proche ! répéta Zoûhr. Pour qu’Aoûn guérisse et puisse combattre, il doit boire. J’irai jusqu’à la mare. »

Il se dirigea vers l’entrée du repaire. Le félin entrouvrit les yeux, mais à peine, car il ne flairait rien d’insolite. Zoûhr se glissa jusqu’à la mare. La configuration du site le rendait invisible à distance. Il but d’abord, puis il plongea dans l’eau une outre rudimentaire, faite avec la peau d’un axis et fixée, dans sa partie supérieure, avec des épines. Elle contenait assez de liquide pour étancher la soif de plusieurs hommes. Zoûhr la remplit et regagna la tanière. Aoûn but à longs traits l’eau vivante, qui ramenait l’énergie, la fraîcheur et la confiance.

« Ouchr aussi est blessée ! dit-il. Les autres boiront cette nuit. »

Il emporta l’outre dans la caverne haute, mais quand Ouchr eut bu, il donna aussi de l’eau à Djêha.

Il dormit jusqu’au soir et, dans ce sommeil, sa force et sa jeunesse travaillèrent. La fièvre décrut ; les chairs, qui n’attendaient que le repos, se ressoudèrent aux bords de la plaie. Quand le crépuscule fut mort sur les jungles, il se leva pour épier les Chelléens. Ils avaient allumé un grand feu ; les visages épais se tournaient vers la chaîne de basalte ; on y devinait la volonté opiniâtre de vaincre et de détruire.

Une grande angoisse étreignait les femmes. Harassées par la longue poursuite, elles aussi avaient dormi. Bien plus que la faim, la soif les éveillait. Toutes tournaient vers l’Oulhamr des yeux de détresse, et songeaient à l’eau qu’il avait apportée dans la peau de cerf, mais dont seules Ouchr et Djêha avaient eu leur part. La confiance des faibles dans le fort alternait avec la crainte.

Ouchr demanda :

« Où est allé Zoûhr ? »

Le fils de l’Urus répondit :

« Zhoûr nous donnera de la chair et de l’eau avant la nuit.

– Pourquoi n’est-il pas avec nous ?

– Ouchr le saura plus tard ! »

Il ajouta, voyant que la femme-chef se tournait vers les ténèbres :

« Aoûn seul descendra au fond de la caverne !… Sinon, nous aurons faim et soif. »

Le mystère excita les mentalités obscures, puis elles se résignèrent : il suffisait qu’Aoûn eût donné de l’espoir. Toutes les louves, connaissant les temps de disette et d’aridité, toutes, et les enfants mêmes, avaient enduré les longues privations et les attentes farouches.

Les astres tournèrent dans l’éternité ; les Hommes-Dhôles dormaient. La plupart des femmes aussi s’étaient rendormies ; Aoûn même reposait.

Vers le milieu de la nuit, un appel monta de l’abîme et réveilla l’Oulhamr. Il alluma un brandon et descendit. Le félin géant et le Wah avaient terminé la chasse ; la carcasse d’un énorme rucervus gisait dans le repaire. Déjà l’Homme-sans-Épaules avait détaché une cuisse, qu’il glissa par la fissure, puis il alla puiser une première outre d’eau.

Lorsque Aoûn reparut avec la chair et l’outre, il y eut un frémissement parmi les femmes et un confus éveil de fétichisme. La caverne contenait encore quelques branches abandonnées par les deux compagnons avant leur exode. Aoûn, après être redescendu pour chercher de l’eau, alluma le foyer et fit cuire la chair du cervidé. C’était un défi et une imprudence. Les veilleurs chelléens avertirent le chef qui se dressa, stupéfait. L’événement était trop complexe : le chef devina qu’il y avait du bois dans la caverne, mais il crut que la chair venait d’une bête tuée pendant la poursuite. S’il y avait une seconde issue, les fugitifs s’en seraient servis pour fuir. Néanmoins, il envoya des guerriers de l’autre côté de la chaîne basaltique.

Ils contournèrent l’éperon méridional et, à la clarté de la lune, s’efforcèrent de discerner les crevasses et les cavernes. Rien que des fissures étroites, des replis et quelques abris sous des roches surplombantes. La coulée par où Zoûhr avait échappé au lion les arrêta quelque temps, quand ils l’eurent dépassée, ils distinguèrent un antre ténébreux. Une odeur forte flottait dans la nuit : les guerriers connurent qu’un fauve était proche et firent halte. Leurs propres émanations se répandirent jusqu’au repaire. Une forme massive s’avança, un rugissement ébranla l’atmosphère et les nomades, épouvantés, s’enfuirent éperdument, ayant reconnu le plus redoutable des carnivores.

Le chef demeura persuadé qu’aucune autre issue n’était ouverte aux assiégés que celle que surveillaient ses guerriers. S’il avait pu avoir un doute, il se dissipa les jours suivants, car Aoûn et les femmes se montraient régulièrement sur la plate-forme : donc la fuite était impossible. Il suffirait d’attendre et de veiller. Il attendait l’heure du massacre.

La guérison de l’Oulhamr fut rapide ; son sang ardent réparait la blessure, la fièvre avait disparu et il apprenait aux femmes à mieux tailler les pierres qui leur servaient d’armes de jet. En bas, Zoûhr continuait à pourvoir les réfugiés de chair et d’eau. Il accoutumait le félin géant à le suivre : la bête, obscurément consciente des ruses salutaires de l’homme, consentait à être guidée. Zoûhr prévoyait ses impulsions et devinait ses actes selon les circonstances, il percevait les nuances de son humeur et s’y conformait avec tant de souplesse que le fauve s’attachait plus sûrement au Wah qu’il ne se fût attaché à un animal de sa propre espèce.

La huitième nuit, Aoûn étant descendu pour prendre la proie, dit :

« La blessure est refermée. Le fils de l’Urus peut maintenant combattre les Hommes-Dhôles. La nuit prochaine, Zoûhr amènera le tigre des Kzamms de l’autre côté des roches. »

Le Wah demeura quelque temps silencieux. Puis il répliqua :

« Voici !… Zoûhr a senti ce matin qu’une pierre de la fissure tremble. Si nous pouvions l’arracher, l’ouverture serait assez large pour laisser passer un homme et trop étroite pour le lion des Rocs. »

Il posait la main sur la saillie la plus basse et, la secouant, il lui imprimait une oscillation d’abord imperceptible, mais qui s’accusait à mesure. Aoûn, plein d’admiration, joignit son effort à celui du Wah : son bras musculeux fit basculer la pierre. Alors, il tira de toute sa force, tandis que Zoûhr poussait des deux mains. Un fragment se détacha, puis deux autres. L’Oulhamr les rejeta derrière lui et, s’aplatissant sur le sol, il pénétra dans le repaire.

Le félin géant, impatienté par cette agitation, avait cessé de dévorer la proie. Il bondit, presque menaçant ; tout de suite, une caresse de Zoûhr l’apaisa et il flaira Aoûn amicalement.

« Nous pourrons surprendre les Hommes-Dhôles ! » s’écria l’Oulhamr.

Le Wah montra, vers l’entrée de la caverne, une dizaine de sagaies qu’il avait taillées pendant les longs jours solitaires :

« Nous combattrons à distance ! »

Le jour suivant, Aoûn et Zoûhr taillèrent encore des sagaies, en sorte que le nombre total s’élevait à quatorze. Au crépuscule, l’Oulhamr avertit Ouchr et les compagnes :

« Aoûn et Zoûhr combattront cette nuit les Hommes-Dhôles ! Que les Femmes-Louves se tiennent prêtes. »

Ouchr écoutait avec étonnement :

« Comment Aoûn et Zoûhr se rejoindront-ils ? »

Il se mit à rire :

« Nous avons élargi le passage entre deux cavernes. Nous passerons de l’autre côté des rocs et nous attaquerons les Hommes-Dhôles avec notre allié.

– Aoûn et Zoûhr ont donc un allié ?

– Ils ont fait alliance avec le tigre des Kzamms ! »

Ouchr écoutait, stupéfaite. Parce que son âme était simple, elle ne chercha pas longtemps à comprendre. La confiance qu’elle avait dans le grand Oulhamr était plus forte que toute surprise.

Le guerrier reprit :

« Les femmes ne devront pas descendre dans la plaine avant l’appel d’Aoûn ! Le tigre des Kzamms les déchirerait. »

Djêha, plus émerveillée que les autres femmes, tournait vers Aoûn des yeux brillants de curiosité.

« Le tigre ne peut-il passer d’une caverne à l’autre ? demanda-t-elle.

– L’entrée est trop petite pour lui ! »

L’immense illusion commençait à pâlir dans les nuages ; on voyait palpiter une étoile claire. Aoûn redescendit vers la caverne inférieure.

Le feu des Chelléens ne répandait plus qu’une lueur imprécise. Trois hommes cependant veillaient encore. Les autres étaient couchés dans une enceinte rocheuse qui les mettait à l’abri des surprises. Deux des guetteurs somnolaient ; le troisième, selon les ordres du chef, rôdait autour du feu et levait souvent les yeux vers la caverne.

Le Chelléen venait de jeter quelques menues branches parmi les braises lorsque, se relevant, il aperçut une silhouette sur la plate-forme. C’était une femme. Elle se penchait au bord des roches, elle épiait. Le guerrier tendit vers elle sa main armée de l’épieu et ricana silencieusement. Mais le ricanement s’effaça tout de suite. Au bas de la chaîne basaltique, une autre forme venait de surgir, dont il était impossible de méconnaître la haute taille et la vaste poitrine. L’Homme-Dhôle la considéra quelque temps, interdit, et se demandant comment l’autre avait pu et osé descendre dans la plaine. Il appela les autres veilleurs, et tous trois, brandissant leurs armes, poussèrent le cri d’alarme.

Cependant, Aoûn se détachait des rocs. Il approcha hardiment du feu et, quand il fut à portée, il lança une pierre aiguë. Elle atteignit un des veilleurs à la tête et lui fit une blessure légère, car l’Oulhamr l’avait jetée trop loin. Une deuxième pierre écorcha l’épaule d’un autre guerrier. Des vociférations retentirent et, de toutes parts, des silhouettes surgissaient de l’enceinte rocheuse. Alors, développant sa puissante stature, Aoûn répondit par le cri de guerre.

Il y eut une courte pause, pendant laquelle les Chelléens considéraient alternativement l’Oulhamr et le site. Là-haut, deux autres femmes venaient de rejoindre la première ; dans la plaine, on n’apercevait qu’Aoûn sans autres armes que sa massue et quelques pierres. Effaré, le chef dhôle cherchait à comprendre ; d’obscures méfiances se mêlaient à la certitude que l’Oulhamr était seul. L’instinct de guerre l’emporta ; une voix gutturale donna l’ordre d’attaquer et ce fut la ruée. Vingt structures agiles convergèrent vers le fils de l’Urus.

Il jeta une dernière pierre et se mit à fuir. Sa vitesse semblait diminuée ; les plus véloces des chasseurs gagnaient du terrain et les autres, exaltés par l’imminence de la capture, suivaient à grande vitesse. Par instants on eût dit que l’Oulhamr trébuchait ; parfois aussi, il semblait faire un grand effort et reprenait une avance vite reperdue. Le chef n’était qu’à trente coudées du fugitif lorsqu’on approcha de l’éperon qui terminait la chaîne basaltique. Les Chelléens hurlèrent de triomphe.

Aoûn, avec une sorte de plainte, obliqua et se réfugia dans les roches. Elles formaient une série de couloirs qui, tous, se terminaient au midi, dans une passe plus large.

Le chef s’arrêta, jeta un coup d’œil rapide sur l’ambiance et commanda à plusieurs guerriers de barrer l’issue tandis qu’il lançait huit hommes à la poursuite directe.

Un rire farouche retentit, puis un rugissement et l’on vit un corps énorme retomber parmi les roches…

Déjà le félin géant était sur les Chelléens. Trois hommes roulèrent éventrés, un quatrième retomba, la gorge béante. Mais Aoûn et Zoûhr avaient gravi une roche plate ; les propulseurs tournoyèrent ; les sagaies s’enfonçaient dans les poitrines, perçaient les cuisses et les épaules, tandis que le carnivore, émergeant des défilés, broyait un fuyard et en déchirait un autre.

La panique emportait les Hommes-Dhôles. Dans leurs cervelles opaques, un mystère vertigineux se mêlait à l’horreur de la mort. Le chef même fuyait. Toute son agilité était revenue à l’Oulhamr. En bonds de léopard, il rejoignit l’arrière-garde et la massue sonna sur les crânes durs.

Quand les Chelléens rejoignirent leur enceinte de roches, ils n’étaient plus que huit : les autres gisaient dans l’herbe, morts ou incapables de participer à la lutte.

« Que Zoûhr arrête le tigre des Kzamms ! » s’écria Aoûn.

Abrités dans leur fort, les vaincus devenaient redoutables. Le désespoir était en eux ; leurs épieux, à travers les crénelures, auraient pu éventrer le fauve.

Celui-ci se laissa retenir sans peine. Il voyait partout les proies éparses. Tranquille, il saisit une carcasse dans ses mâchoires et prit la route du repaire.

L’incertitude immobilisa pendant quelque temps le fils de l’Urus. Puis il dit :

« Zhoûr accompagnera le tigre des Kzamms. Il reviendra par la caverne haute et dira aux femmes de se tenir prêtes ! »

Le Wah et le félin géant disparurent derrière les roches ; Aoûn se mit à ramasser les sagaies ou à les retirer des blessures, puis il revint lentement vers les Chelléens. Il les apercevait à travers les interstices de leur enceinte ; il aurait pu en atteindre plusieurs ; mais l’âme de Naoh était en lui, pleine de pitiés obscures :

« Pourquoi les Dhôles ont-ils attaqué les Hommes-Velus ?… Pourquoi ont-ils voulu tuer Aoûn et les Femmes-Louves ? »

Sa voix retentissante avait des inflexions tristes ; les Chelléens l’écoutaient en silence. Un moment, le chef à la poitrine profonde surgit entre deux blocs et fit un geste d’attaque. L’Oulhamr éleva son propulseur et reprit :

« Aoûn est plus fort et plus rapide que le chef dhôle ! Et il peut le tuer à distance. »

Là-haut, les femmes élevaient des clameurs triomphales. Elles avaient vu les péripéties de la lutte, l’apparition extraordinaire de la bête, et leurs âmes s’emplissaient d’une confiance mystique.

Djêha descendit la première, puis Ouchr, puis les autres, sauf une qui devait garder la caverne.

Elles s’assemblaient autour d’Aoûn ; elles épiaient l’enceinte avec une ardeur sombre, et, se souvenant de leurs souffrances, elles injuriaient les Chelléens. Eux gardaient le silence, mais rudes et résolus, ils tenaient prêts leurs longs épieux. La position était inexpugnable ; sans la présence d’Aoûn, ils eussent été les plus forts. Hors Ouchr, aucune des femmes n’aurait résisté au choc : elles le savaient ; malgré leur haine, elles rôdaient avec prudence.

Cependant, rapprochées du feu, elles prenaient plaisir à y jeter des branches, des broussailles et des herbes. Il se ranima, il bondit magnifiquement sur la savane. De toutes parts, les femmes apportaient du bois ; plusieurs criaient :

« Les Hommes-Dhôles n’osent pas combattre ! Ils mourront de faim et de soif ! »

À mesure que les constellations tournaient au septentrion ou se levaient à l’orient, l’inquiétude et l’impatience se mirent à croître. Les assiégés parurent plus formidables. On craignait leurs pièges ; aucune femme n’osait dormir… Aoûn et Zhoûr même concevaient la nécessité de combattre. Le Wah dit :

« Il faut forcer les Hommes-Dhôles à quitter leur refuge. »

À force d’y songer une idée lui était venue.

« Ils ne résisteront pas au feu… Aoûn, Zoûhr et les femmes leur lanceront des tisons enflammés ! » reprit-il.

L’Oulhamr poussa une exclamation d’enthousiasme. Tous deux se mirent à tailler des rameaux dont ils exposaient la pointe à la flamme. Ensuite, ils appelèrent les femmes, et le Wah, ayant expliqué son stratagème, toutes saisirent les tisons et se précipitèrent vers l’enceinte.

Une pluie de feu s’abattit sur les Chelléens. Ils résistèrent d’abord, mais la crainte et la fureur s’enflaient dans leurs poitrines. La fumée les suffoquait, les brûlures leur donnaient le vertige ; peu à peu, tout péril parut préférable à celui qui menaçait de les anéantir sans combattre.

La masse trapue du chef se dressa sur un bloc ; il poussa un hurlement rauque et, lorsqu’il se précipita, sept guerriers bondirent à sa suite. Sur un ordre d’Aoûn, les femmes battirent en retraite. Deux fois, les propulseurs tournoyèrent et deux Hommes-Dhôles s’abattirent. Des six qui restaient, cinq chargèrent le groupe des femmes et du Wah ; le sixième fonça sur Aoûn, qui se tenait à l’écart. Le fils de l’Urus lança une nouvelle sagaie, qui effleura une épaule, puis, déployant sa belle stature, il attendit. Il aurait pu fuir, lasser l’adversaire ; il préféra la lutte. Celui qui venait, c’était le chef aux grandes épaules, à la tête de granit. Il dardait l’épieu ainsi qu’une corne immense. L’arme rencontra la massue, fléchit et se déroba, revint en foudre. La poitrine d’Aoûn saigna, mais la massue, à son tour, fit craquer les os du chef. Il tomba sur les genoux, en lâchant l’épieu, dans la résignation des fauves vaincus, sachant que la fin était venue. Aoûn avait relevé la massue, et ne l’abaissa point. Un dégoût étrange contractait sa poitrine, cette pitié qui était sa faiblesse et la faiblesse de Naoh.

Là-bas, deux femmes gisaient sur l’herbe, mais les sagaies de Zoûhr et les épieux avaient fait leur œuvre : trois Chelléens hurlaient, que les Louves achevaient. Le quatrième, le plus jeune, fou d’épouvante, fuyait vers Aoûn. Quand il se vit devant la massue énorme, ses muscles défaillirent, il tomba prosterné. Les femmes accouraient pour l’immoler ; le fils de l’Urus, étendant le bras, clamait :

« Sa vie est aux mains d’Aoûn ! »

Elles s’arrêtèrent, la haine crispa leurs visages, puis entendant gémir les blessés de la première rencontre, elles allèrent leur porter les coups fatals. Sombre, Aoûn écoutait les cris d’agonie et il se réjouit obscurément de voir que Djêha ne suivait pas ses compagnes.

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