Retour à la caverne

Le radeau dériva. Les remous du fleuve le faisaient tournoyer, ou bien le courant l’emportait avec une vitesse inquiétante. Plusieurs fois les Louves s’étaient jetées à l’eau pour alléger l’embarcation qui, hâtivement construite, menaçait de se disloquer. À cause des crocodiles, il avait fallu abandonner cette manœuvre.

Cependant, on approcha de la rive. Là-bas, très loin, on apercevait les silhouettes des Chelléens. Pour reprendre la poursuite, il leur fallait passer le fleuve, et ils ne pouvaient le faire d’autre manière que les fugitifs.

Aoûn dit à Zoûhr :

« Il faut marcher jusqu’au soir. Avant quatre jours, nous aurons atteint la caverne. »

Ils se regardèrent ; une même pensée germait dans leurs crânes.

« Aoûn et Ouchr sont blessés ! » remarqua tristement le Wah.

L’Oulhamr répondit :

« Si nous ne prenons pas l’avance, les Hommes-Dhôles nous extermineront ! »

Ouchr leva dédaigneusement les épaules ; sa blessure était peu profonde. Elle cueillit quelques herbes qu’elle appliqua sur la plaie, tandis que Zoûhr pansait son compagnon. Puis, la bande s’orienta. La route fut rude à travers les terres marécageuses, mais, vers le soir, Aoûn et Zoûhr commencèrent à s’y reconnaître. Le lendemain, le surlendemain s’écoulèrent sans alerte : on était à deux journées de la chaîne basaltique ; Zoûhr multipliait les ruses pour dérober les traces.

Le cinquième matin, la chaîne basaltique apparut. Du haut d’une colline, près d’un détour du fleuve, on discernait la longue arête de ses crénelures. Aoûn, qui grelottait, fixa ses yeux ardents sur la masse sombre et saisit l’épaule du Wah, en murmurant :

« Nous allons revoir le tigre des Kzamms ! »

Un rire bas distendit ses lèvres. Le refuge où ils avaient vécu des jours pleins de sécurité, la bête immense qui était leur amie, les matins clairs et les soirs où le feu rougeoyait sur la plate-forme, reparaissaient en images incohérentes et heureuses… Et le grand Oulhamr, tournant vers Djêha son visage amaigri par la perte du sang, reprit :

« Dans la caverne, nous pourrons braver cent Hommes-Dhôles ! »

Ouchr fit entendre une exclamation étouffée. Sa main se tendit vers l’aval du fleuve : tous virent distinctement les Chelléens, à sept ou huit mille coudées. La fuite reprit, aussi rapide que le permettaient les blessures de l’Oulhamr et de la femme-chef. Si l’on n’atteignait pas avant l’ennemi la chaîne basaltique, le sauvetage devenait impossible. Or, il fallait franchir au moins vingt mille coudées.

La moitié de la distance fut parcourue, mais les Chelléens regagnaient quatre mille coudées. On les voyait accourir comme des chacals. Celui qu’ils redoutaient plus que tous les autres ensemble était affaibli par sa blessure : ils le voyaient boiter à l’arrière de la petite horde et, avec une allégresse triomphale, ils proféraient leur cri de guerre.

Il y eut une courte halte. Aoûn fixait sur Zoûhr des yeux où la fièvre du sang se mêlait à une fièvre inquiète. Dans ce moment terrible l’Oulhamr retint le Wah par l’épaule. Mais on entendit plus proche les hurlées ; Aoûn regarda Djêha, baissa la tête vers sa hanche sanglante, mesura la distance qui le séparait des Hommes-Dhôles.

Avec un grand soupir, il lâcha Zoûhr qui s’enfuit vers le repaire du félin géant, tandis qu’Aoûn conduisait les femmes et les enfants à la caverne.

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