VI

La chute du Maréchal, survenue vers l’époque où Jacques entrait dans le génie militaire, en qualité de sous-lieutenant, vint raviver toutes les colères de Jeanne. Le même coup qui replongeait Vacreuse dans une obscurité profonde, exhaussait légèrement Pierre, lui donnait une notoriété fugitive. La haine de Madame Vacreuse fut alors aussi violente que celles qui faisaient assassiner les familles aux siècles passés. Et Madeleine refléta ces grandes passions de sa mère, palpita frénétiquement en maudissant les Laforge, lança des imprécations de ses belles lèvres rouges.

Jacques était bien loin de pareils sentiments. Il ne songeait qu’à son devoir, se montrait un grave, un austère serviteur de la Patrie. Son père lui allouait une pension royale et le jeune homme se sentait une honte de cette fortune imméritée, ne voulait pas la dépenser en plaisirs. Sans avoir encore toute la lucidité du juste, il en avait les principes au fond de sa haute nature. Il employa l’énorme revenu à faire du bien dans sa compagnie, augmentait le confort des soldats, procurait des professeurs et des livres aux studieux, des plaisirs sains à tous, offrait des primes à ceux qui trouvaient quelque menue amélioration dans l’exécution des travaux, enfin dépensait beaucoup d’argent en expériences mécaniques, chimiques, balistiques dans le but d’ajouter quelque engin perfectionné à la richesse défensive de la France.

Il fut de l’expédition tunisienne. C’est là surtout, aux bivouacs, aux travaux difficiles, qu’il se montra admirable comme officier et comme homme, plein de pertinacité, d’ingéniosité et de cœur, donnant son intelligence, ses bras et sa bourse à la patrie et aux soldats.

Et c’était au retour de Tunisie que le hasard amenait Jacques à la fête de l’Américain O’Sullivan, et le mettait en face de sa jeune ennemie.

Quinze jours plus tard, les Vacreuse partaient pour leur château des Corneilles.

Share on Twitter Share on Facebook