XII

Au retour de la promenade, Jeanne consultée répondit comme son mari. Semaise crut s’être trompé, mais continua d’être en éveil, et sa vigilance s’augmentait encore du frétillement d’une petite tendresse dans son cœur froid.

La campagne, sans doute, la monotonie des habitudes sous un ciel impeccable, dans une atmosphère balsamique, surtout la métamorphose de Madeleine, sa féminéité jaillissant de l’adolescence, pénétraient sous le cuir épais du scepticisme, remuaient des impressions jeunes, des souvenirs de printemps humain dans le fiancé.

En se levant au matin, en ouvrant la fenêtre où entrait un grand flot pur – la senteur de la roseraie des Corneilles, des vergers, des plantes rustiques – il restait surpris, sentait se dissoudre sa glace d’âme. Il humait, blême, avec une clarté montant à ses yeux, un peu de sang à ses tempes, vaguement sentait un renouveau, une naïveté agréable.

De vieilles peuplades de pensées, dans la fraîcheur ancienne, la largeur des vingt ans, le hantaient, tout ce qu’il avait oublié à la fadeur des nuits blanches, toutes les choses évanouies sur la route du passé. Il lui semblait qu’il avait été dix ans en geôle, dans l’ombre et la vétusté, à tourner autour de murailles nues, et respirant rapidement, les bras ouverts, un cri lui montait :

– Ah ! la jeunesse… la jeunesse !… Champagne du cœur !

L’idée lui venait d’être heureux, à la campagne, avec Madeleine, de prendre le baume de l’existence, sans s’inquiéter, dans la persistance de son égoïsme, s’il pourrait, faible, usé, suffire à la vierge épanouie. Mais, au déjeuner, une nébulosité revenait se poser devant ses rêves.

À l’attitude de Madeleine, il la percevait absente de lui, en course au pays d’Éden, tout au plus l’aimant en camarade. Ennuyé, jetant furtivement un regard sur sa tête demi-chauve, dans la glace, il se demandait comment faire ? Parfois il taquinait la jeune fille, essayait de capter son attention. Elle, avec un sourire, une minute faisait l’aumône de cette attention, puis, distraite, retombait au doux monde intérieur, restait vague, incohérente.

Accablé, ployant ses épaules comme sous un faix pesant, il achevait nerveusement une tasse de café, allait au dehors, murmurant :

– Oh ! Je découvrirai le gaillard qui a fraudé l’octroi !…

Embarrassé devant les parents à qui ses soupçons avaient dû paraître ridicules, il ne pouvait surveiller à sa guise Madeleine, le matin surtout où il subissait la promenade avec Vacreuse, et il tourmentait son cheval, déchirait ses cigares d’une mâchoire impatiente. L’après-midi, il avait plus de largeur d’allures, mais alors Madeleine sortait rarement, et toute sa tactique restait infructueuse. Souvent, las, il se disait :

– Bah ! il n’y a personne… Madeleine se paie une loge au théâtre bleu… et voilà tout !

Il n’en gardait pas moins sa défiance.

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