XLI

D’abord retrempé par sa courte entrevue avec la vierge, se répétant perpétuellement ses paroles, sa promesse si formelle, Jacques était vite ressaisi par la souffrance, l’âpre doute, la vision d’une séparation éternelle.

À peine s’il dormait. Derrière ses côtes maigries, il entendait, indomptables, les oscillations du veilleur. Elles étaient rapides, bourdonnantes, presque métalliques. Son cou, ses tempes battaient aussi. Il avait grand froid aux pieds. Il lui devenait souvent impossible de garder closes les prunelles. Il les levait, et les Formes des ténèbres entraient en lui. Des choses ondulaient aux murailles, du blanc renvoyait de la clarté, la fenêtre était une aube, une chaise semblait un squelette accroupi. Après longtemps, un bruit de flots, incessant, écartait, submergeait la pensée. Il s’endormait. Mais jamais ce n’était l’immense apaisement, la bonne chimie réparatrice. Des choses dures butaient dans son crâne, y avivaient le chaos de l’angoisse. Un à un se levaient les songes, et tous farouches, horriblement fatigants. Oh, ces nuits !

Souvent, sorti du cauchemar, l’étroitesse de la chambre l’étouffait d’une impression d’ensevelissement. Il se levait, sortait, allait au fond de l’enclos des Avelines. Une maisonnette y vieillissait, tout humble, à deux chambres, et la campagne d’octobre, dans sa nudité, ses grêles éteules, quelques pâtures, était visible lointainement. Sur le toit fauve, aux vitres, au seuil, une opulence fraîche émanait de la chaste luminosité lunaire, un petit cytise roulait ses ramilles dans la cendre et l’argent, une cloche de verre luisait cristallinement. Des fermes blanchâtres bosselaient la campagne, un chien lançait quelques abois de mélancolie, des peupliers se posaient noirement au pied d’un monticule, et le firmament pâle reposait sur les bords de l’horizon, avec sa mince poussière sidérale, dans une beauté qui faisait trembler la chair de l’homme.

– Je t’aime ! Je t’aime ! criait-il dans l’espace, tourné dans la direction des Corneilles.

Il arrivait pourtant, par des nuits fraîches, que ses nerfs, son cerveau vibraient presque sainement, qu’une pause de paix survenait et que le sommeil lui dispensait quelque rêve exquis. Alors, sur des fonds de couleur douce, une orée sylvestre, un pacage discrètement vert, dans une lumière reposante, Madeleine apparaissait, confuse, grise, et seconde à seconde s’affermissait, se matérialisait, avançait vers Jacques, le frôlait. Il touchait la robe, les mains roses, posait la vierge sur son cœur, et calme, elle parlait d’avenir, de large et immuable avenir. Il écoutait, absorbait les joies de l’Espérance, la mélodie d’une voix de chanterelle, et ses doutes s’évanouissaient dans une sensation toujours croissante que le corps chéri était bien entre ses bras, bien abrité contre sa poitrine. Pourtant il objectait encore, timidement, avec un vide bizarre, une impression de néant entre les tempes. Elle se moquait, même contait que toute l’histoire de leur séparation était fausse, absolument fausse – un Rêve. – Lui, l’attirait toujours, la serrait contre lui avec la pensée de ne plus rouvrir les bras, et ses prunelles s’emparaient suavement des traits délicats, du contour des cheveux qui se détachaient noirs, presque violets sur les fonds de couleur douce. Elle continuait à le rassurer : aucun obstacle. Toutes les volontés unies pour leur bonheur… Sa mère… sa mère ! Ce mot en Jacques frappait le tocsin, des coupetées de bronze parcouraient son cerveau d’un rythme atroce, bourdonnant. L’autre mot s’y mêlait, le mot qui l’avait rassuré d’abord – un Rêve – et peu à peu, c’était la terreur insinuante, une aridité, un étouffement, la prescience du Réel, le soulèvement de la poitrine sous des paroles qui ne peuvent pas vibrer, meurent misérablement dans la gorge, et enfin le dernier cri jaillissant, l’éveil… Et tout autour du malheureux, les Ténèbres, la Solitude, la Vérité !… Hélas ! il enterrait sa face dans l’oreiller, et longtemps, longtemps, il restait à contempler la cime noire de son Golgotha !

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