XLII

À travers cette sombre histoire de son être, de nouveau il vint une espérance à Jacques. Ce fut le jour où, pour la première fois, il vit Mme Vacreuse, convalescente, sortir des Corneilles.

C’était le matin. Un soleil de douceur émergeait entre des cumulus, tendrement chauffait la terre. Jacques se tenait sur un tertre, près de la grille du château, abrité derrière par un massif. Le trouble des beaux matins d’automne passait dans sa chair. Des fleurs tardives se tissaient de lumière. Un beau corbeau glorieusement se promenait sur les gazons, dévorait les limaces innombrables. Un étalon enflammé hennissait, levait son chanfrein frémissant. Au loin, des paysannes arrachaient des navets et des carottes de la terre grasse. Un semeur jetait largement le froment, suivi d’une nuée d’oisillons ; un jardinier tondait les charmilles du château ; l’église était rajeunie, prenait un bain d’or ; deux chiens, fous, tournaient vertigineusement autour d’une cabane ; et sur une déclivité, Henri IV, radieux, élaguait des arbres, chantait largement, sa riche nature toute retentissante de la vibration solaire.

Mais sur la terrasse des Corneilles, des domestiques apportèrent une chaise longue, sous l’ombre argentée du tilleul de Hongrie. Jacques, pour mieux voir, s’avança derrière un buisson. Bientôt, bien pâle, enveloppée de sombres étoffes, Jeanne parut, appuyée sur le bras de Vacreuse. Elle s’abandonna lentement sur la chaise, avec un petit sourire devant la fête rustique, la belle mer lumineuse dévalant les collines.

Vacreuse rentra, Jeanne resta seule, et une espérance grandissante troublait le cœur de Jacques : s’il pouvait arriver jusqu’à la malade, l’implorer ! Si douce était la nature, si remplie de vague miséricorde ! Et, irrésolu encore, il tournait le monticule. Une petite porte, ouverte derrière les chênes, renforça ses tentations. Il s’y arrêta, les artères tumultueuses, et soudain se décida, marcha furtivement sous les ramures, atteignit le rebord de la terrasse. Jeanne lui tournait le dos ; une véritable épouvante saisit le jeune homme, il n’osa pas tenter le destin, il s’en alla à pas étouffés. Mais il revint le lendemain, le surlendemain, vit Madeleine assise auprès de sa mère, et, caché, il étendait les bras, il soupirait misérablement. Puis, un peu plus tard, il assistait aux courtes promenades de la mère et de la fille, il se prenait à songer que la guérison approchait, que Madeleine avait promis de le suivre, et il mettait toute la puissance de son être dans une foi voulue au bonheur…

Et, effectivement, ses songes parurent vouloir se réaliser, la fortune s’adoucit.

Une après-midi qu’il rentrait aux Avelines, un petit paysan l’aborda :

– C’est bien vous, monsieur Laforge ?

Et sur l’affirmative de Jacques il tendait une lettre. Jacques regarda la suscription, respira plus vite, et dit au petit de revenir dans quelques minutes. Il restait à grelotter :

– Oui… d’elle !

Il déchira le pli, se mit à lire, et un délice, une ivresse pure grandissait dans sa chair maigrie. La lettre était longue et très nette. Elle disait le déclin du mal de Mme Vacreuse, la miséricorde maternelle sourde, les irrésolutions de Madeleine balayées par l’injustice. Et Jacques sentait dans la clarté concise du style l’éveil d’une volonté forte à l’égal des contingences, l’opiniâtreté de la mère revenait dans la fille, et, stupéfait, ébloui, lisait un plan d’évasion simple sinon sans obstacles. Lui partirait le 7 novembre pour Douvres, préparerait tout pour un mariage, Madeleine et la nourrice fuiraient le 10, dans la soirée, monteraient dans la carriole d’un fermier des environs. Le fermier, neveu de la nourrice, incapable de soupçonner sa tante de rien d’irrégulier, les mènerait au passage d’un train pour Paris. De là, elles s’embarqueraient pour Douvres, et, afin de dépister les recherches, Madeleine disait avoir modifié, pour toutes deux, des costumes hors d’usage.

Jacques, après la lecture, eut un moment d’incertitude, la frayeur que le projet ne fût puéril, précipité, inexécutable. Mais son cœur protestait contre le doute ; il se sentait envahi de toute espèce de certitudes très douces ; il crut à la volonté, à la persévérance, à l’adresse de Madeleine, et, appuyé contre un pommier, les prunelles immobiles, heureuses, le cerveau dénué d’analyse, il prit son notier, il écrivit le « oui » demandé par Madeleine.

Et tandis que le petit messager disparaissait au loin, vers les Corneilles, il restait à poursuivre l’Oiseau bleu, à laisser revenir en lui les jeunesses d’âme toutes ensemble.

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