XLIV

En Jacques, depuis huit jours, c’était une réaction de vivacité, la robuste régénération de son sang, de ses nerfs, de toute sa personnalité d’optimisme. Après tant d’heures noires, l’instinct, les nécessités secrètes de l’électrolyse organique, lui défendaient la désespérance, et il avait mis toute sa foi dans le projet de Madeleine. Il se préparait, il écrivait à Paris, se plaisait à prévoir les nécessités d’une longue absence.

C’est dans cette disposition de lutte, cette expansion de reverdis, qu’il reçut la missive dictée par Madame Vacreuse. Il eut dès l’abord la terreur de l’événement, une panique nerveuse qui le faisait scruter la nourrice, poser trois ou quatre questions, et à mesure, son inquiétude fut atroce, lui tenailla l’aorte. Puis brusque, il arracha le cachet, lut :

– Ah !… fit-il.

Némésis revenait, le sombre écroulement des misères sur l’homme, et Jacques douta de l’amour de Madeleine. Puis, avec un désir immense d’ensevelissement, avec à l’âme l’amertume d’une trahison ; il balbutia :

– Dites que j’irai… C’est tout !

Et la nourrice, peureuse devant sa face livide, s’en allait à pas rapides, se figurait avoir vu un mort. Quand il fut seul, il resta pendant des heures immobile, assis dans une encoignure de la chambre, avec des tortures telles que, par instants, il n’avait plus son sens intime, sa pensée s’anéantissait. Et sa fatigue devint si lourde, qu’il s’abattit, qu’il s’endormit. Il s’éveilla vers le soir, dans une fatigue énorme, se leva, sortit. Après une marche très longue, il s’arrêta, il contempla les choses devant lui, vaguement.

C’étaient d’abord trois arbres inégaux. Le plus petit élevait un cône, l’autre se détachait en haillons, traînait des fourrures chaudes à côté de grêles nudités, et le troisième, tout fin, grandissait en flèche, par chaque rameau escaladait indomptablement le firmament. Il partait un chemin blanc, qui se perdait, s’évanouissait dans une étendue grise, confusément montante vers la côte lointaine dessinée noirement dans une vapeur de chaux. La Lune était enfumée ; un Calvaire triste, déchiré, montrait un baliveau pareil à une Croix. Et la lumière sur le chemin, sur la côte, sur le Calvaire, surtout entre les arbres compagnons, était tellement fine, tellement belle, qu’après le premier cri du ravissement, Jacques se sentait de l’épouvante, l’épouvante du temps qui passe, de la nébulosité où se heurte l’idée devant la sensation du Beau.

Vacillant, il recommençait sa marche, il s’en allait contempler les épaisseurs des Corneilles, et longtemps il y attendit quelque chose, un imprévu de féerie, l’arrivée de Madeleine entre les hauts troncs des arbres. Mais tout se taisait, les escadrilles nuageuses continuaient à siller sous la Lune, le silence dormait sur les emblaves, dans les soieries, les mousselines du clair-obscur, et Jacques démarrait, retournait aux Avelines faisait atteler la carriole pour se rendre à la ville prochaine et prendre le premier train pour Paris.

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