XLVI

Là-bas, aux Avelines, où Madeleine s’était envolée, on n’avait rien pu lui dire. Sinon le grand nombre de lettres que le jeune homme avait fait porter à la poste, ils n’avaient, dans leur apathie paysanne, fait aucune remarque particulière. Pour Madeleine, ce détail simple des lettres eut l’affreuse clarté de la foudre. Elle se tordait les mains à une pensée qui l’envahissait, qu’elle n’osait exprimer, qu’aucune puissance au monde ne lui aurait fait exprimer.

Elle était revenue vers les Corneilles, toute plaintive et douce, avec une imploration continuelle et ardente à la divinité. Mais, aux abords du château, elle s’arrêtait, réfléchissait que sa mère l’empêcherait de ressortir. Elle ne voulait plus être enfermée, elle voulait chercher Jacques, le retrouver. Un aboi grondait dans le jardin, l’aboi de Marcus, et elle se remémorait des histoires où des chiens retrouvent leur maître.

– Il faut que j’aie Marcus ! pensait elle.

Elle s’approcha, appela l’animal à voix de plus en plus haute. Il l’entendit, il vint ramper à ses pieds, la couvrir de caresses. Elle l’amena aux Avelines. Là, comme la fermière était seule, Madeleine eut l’audace de demander à voir la chambre de Jacques. La bonne femme, d’ailleurs tenue au courant par les caquets, ne fut pas surprise de cette requête, mais défiante et curieuse elle accompagna la jeune fille.

Elle avait, cette chambre, l’ordre instinctif de l’officier. La fenêtre était ouverte et Madeleine le vit penché dans l’embrasure à tous les soirs navrés de la séparation. Elle reconnut la forme de son corps dans la capote pendue à la muraille, la trace de sa main dans l’éparpillement de quelques livres sur la table. Jamais plus forte émotion et plus adorable ne fit frémir son cœur, que de se trouver dans cette chambre où il avait vécu, respiré et souffert pour elle. Et tant fut indomptable la secousse qu’elle s’abattit sur le lit, mit passionnément sa bouche de vierge au creux de l’oreiller, là où naguère reposait la tête blonde de l’amant, et longuement baisa cette place ; y sanglota.

La fermière pleurait silencieusement, et Marcus, induit par la tristesse ambiante, se prenait à hurler. Alors Madeleine se retourna et nulle honte ne la prit devant l’étrangère, comme si elle eût été l’épouse qui pouvait sans rougir aimer ainsi, toute préoccupation mondaine enfuie devant l’intensité de la minute présente. Elle prit sur la table une paire de gants, les présenta à Marcus. L’animal reconnut l’objet, le manifesta par des bonds joyeux.

– Si Monsieur Laforge rentrait, dit Madeleine à la paysanne, dites-lui de m’attendre, que je reviendrai tout à l’heure.

– Je n’y manquerai pas, mam’zelle.

Dehors, le chien, dans un inquiet furetage s’orientait. Madeleine lui présenta de nouveau le gant. Il eut un gémissement très doux et reprit sa quête.

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