XVI

Au bruit de la grande porte des Corneilles, assez brutalement close par de Semaise, Madeleine s’effarait. Quelle scène s’était déroulée par delà le monticule ? Et toutes sortes d’imaginations circulaient dans son cerveau, surtout la bouleversante pensée d’une provocation. Puis, ce fut un autre frisson : là, sur la déclivité, loin du massif, elle venait d’apercevoir Jacques, dressé en douce estompe dans l’argent nocturne. Il regardait fixement, opiniâtrement.

Alors, un effroi passa sur Madeleine. Elle imagina que c’était le dernier adieu du musicien, que jamais plus il ne reviendrait semer ses amoureuses tristesses. La lune roulait entre des langes fins, la lumière était moins vive, un navrement susurrait dans les arbres. Brusquement, Jacques mit la tête entre ses mains. À travers l’espace il parut à Madeleine entendre une vague rumeur de sanglots. Toute sa chair soulevée de tendresse, d’angoisse, en vain luttait-elle contre une inférieure voix interne. Je ne sais quoi la soulevait, l’entraînait hors de la chambre, et elle se trouva, comme hantée, à la grande porte, détachant la chaîne, tournant, emportant la clef.

La roseraie était là, ses suaves encensoirs, un tremble agitait ses ailettes de soie blanche, des ombres végétales ondulaient sur la cendre du sol. Elle eut peur, s’arrêta, apparition de déesse ineffable, un doigt sur la lèvre, hésitante. Elle s’élança de nouveau, froissait des herbes, des arbustes, et elle se sentait comme glissant sur une onde. Puis, elle alla sous l’ombre d’une ligne de chênes. Un petit ménage d’oiseaux s’éveilla, s’effara, et Madeleine, au cri de l’un d’eux, s’arrêta, prise de dyspnée, toute molle, contre un arbre. Le filagramme des ombres et des rayons évoluait sur sa figure ; une aile de papillon nocturne effleura ses joues. Le courage lui revint, elle se remit à marcher, et, au détour des chênes, elle aperçut Jacques.

Une petite porte, dans la clôture, était restée ouverte ; elle la franchit.

Il était toujours debout sur le monticule, la tête entre les mains, et des sanglots achevaient de mourir dans sa poitrine. Un désespoir intarissable pesait sur sa vie. Toutes ses belles futuritions d’optimiste, les claires architectures de la jeunesse, s’écroulaient comme un arbre dans le cyclone. Il revoyait monter, abondantes, de vive lumière, ses pensées de Tunisie, l’austérité charmante d’une existence toute construite, l’aspiration de sa nature vers le devoir et le sacrifice. Hélas ! un fantôme s’était interposé, et maintenant plus jamais son sang n’était tranquille, son âme était nue, frissonnante et faible. Dans ses jours de maladie, jamais il ne s’était senti vaincu comme maintenant, jamais si craintif, et une sentinelle de chagrin, vigilante, implacable, veillait aux profondeurs de son crâne. Et quel vain, ridicule amour ! Nul espoir de triomphe dans la lutte du fond de l’ombre, cette lutte du paria qui n’a sur lui que les regards de la haine. Non ! il était trop condamné ! Jamais, pour lui, des lèvres de l’aimée ne jaillirait le mot créateur. Et, alors, n’est-ce pas, qu’importe la beauté du firmament et celle du brin d’herbe ?

Levant péniblement ses deux bras, avec un large soupir d’angoisse, il allait partir à travers les campagnes. Son regard soudain s’abaissa, fixe. Puis, sous ses mains grelottantes pressant sa poitrine, tout pâle, en sursaut, il douta.

Mais à force de regarder la certitude lui vint.

Sous le grand bras feuillu du chêne aïeul, dans la blonde lueur mêlée à des pans de nuit, c’était bien Madeleine, debout sur les graminées basses. Les tigelles d’herbe, en fins glaives, environnaient ses petits pieds, ses chevilles emprisonnées de nacarat, et tous les yeux pâles des corolles étaient tournés attentivement vers la lune dichotome.

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