XXIV

Madeleine arrivait craintive, toute pâle, ayant surpris la sortie de Jacques des Corneilles. Jeanne tendait son visage, essayait le froncement des jours d’orage. Mais un irrésistible sourire, comme une vibration du soleil de l’âme, flottait autour de ses paupières.

– Suivez-moi au jardin. Je suis lasse d’être emprisonnée ici.

Et sur le perron, la voix grondeuse :

– J’ai à vous parler sérieusement !

Madeleine courba la tête, et elles circulèrent quelques minutes en silence. Un ruisseau les arrêta, tout grêle, avec un pan de lumière orange étalé sur ses rides. En amont, des ronces et du chèvrefeuille élevaient un palais de scarabées ; une branche pendante, fleurie au bout, semblait tremper un petit pied blanc dans l’onde. Un saule ragot se tenait tristement près d’un petit havre minuscule, un lézard s’obstinait sur un fragment de schiste, et une pauvre statuette ébréchée, toute rose dans la décadence diurne, ouvrait ses yeux de plâtre que les rayons chatouillaient. Au loin s’allongeait la lumière, presque horizontale, et on la voyait mourir, comme un grand psaume de mélancolie, croître en analytique splendeur à mesure que croulait l’astre.

– Madeleine, dit Jeanne, je suis profondément triste de votre conduite. Vous vous êtes cachée de moi, vous avez eu le courage de me sourire pendant qu’un secret blâmable existait en vous.

La jeune fille détourna la tête, et sa mère l’effrayait, lui semblait importante et formidable.

– Écoutez, continua Jeanne, en la prenant au bras. Tout ce qui s’est passé, et ce qui va se passer, est grave. Je remettrai les reproches à plus tard. Dites-vous seulement que tout manque de sincérité serait dangereux, que votre meilleure ressource est de tout me dire. Ne cachez rien, soyez franche : je vous écouterai sans colère et je jugerai.

Et ayant sommairement dit la visite de Jacques :

– Parlez, et quelque sujet de rancune que j’aie contre vous, je suis pourtant votre mère, partiale en votre faveur.

– Maman ! dit Madeleine.

Et tapie contre Mme Vacreuse, câline, frémissante, un court sanglot la parcourait. La mère, avec douceur, regardait les collines lentement montantes, la mort successive des rayons sur les fermes et les cabanes… Et d’une voix assourdie, comme tantôt Jacques, Madeleine disait la simple histoire de son cœur, le grandissement de l’Inconnu pendant les nuits de juin, et la confidence avait exactement le charme ralenti de l’heure où l’on était. Jeanne y retrouvait la pureté, l’idéalité chaude du récit de Jacques, quelque chose des rares contes blancs de la littérature humaine où la beauté ne glace pas la palpitation de la vie. Elle accompagnait Madeleine aux paysages vagues sous la lune croissante et décroissante, frémissait à la musique délicate, aux vols de petites fées sonores, aux départs tout craintifs, tout furtifs de Roméo. De l’aride de son cœur, durci aux cratères de l’ambition, elle sentait jaillir un filet de source, regrettait de n’avoir pas eu, elle aussi, son printemps, son oasis de jeunesse, et déjà l’océan blond des emblaves lointaines devenait rose, qu’elle écoutait toujours, dans l’effort, la demi-rigidité de l’attention.

Elle se sentait bien mère à cette heure, elle percevait intensément où se trouvait le bonheur de Madeleine, avait honte d’avoir voulu la condamner à ce chauve, cet usé de Semaise, et elle se contenait pour éviter la tentation de mettre un grand baiser sur la jeune tête amoureuse, de dire trop vite une parole tendre. Puis, le souvenir de Jacques lui revenait, elle réécoutait ses paroles de paix, revoyait la solennité noire de son départ. En vain, cherchait-elle une fureur contre lui. Son cœur était mou, sa pensée plus encore ; et le récit finissait, une minute de taciturnité, de palpitation y succédait, tandis que la cloche du château finissait de sonner pour le repas du soir, dans le blêmissement, dans la monotonie de la clarté couchante.

– Madeleine, dit Jeanne, je voulais te gronder bien fort.

Elle attira la jeune fille, la mit sur son cœur tout chaud de maternité :

– Et je n’en ai pas le courage, chère enfant.

– Mère ! fit Madeleine.

Abritée au tiède nid d’enfance, ses larmes ruisselaient, une rosée de bonheur. Était-ce vrai ?… son conte de fées réalisé… une tendre hospitalité où elle avait craint le péril et l’ombre !

Et elle chuchotait son ravissement, l’immensité de sa reconnaissance :

– Oh ! Je t’adore… si bonne… si bonne !

– Je suis ta mère, Madeleine !

Elles s’en revinrent, et Madeleine songeait, devant l’étoile Cappella, intime, apparue dans un triangle bleu du septentrion, entre trois branches de frêne, que jamais un astre plus doux n’avait dû briller au fond d’un firmament d’été, comme une veilleuse de bonheur, un clignement exorable de l’infini.

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