XXV

Les trois jours s’écoulèrent et Jacques ne reçut pas de lettre. Il arriva aux Corneilles dans l’incertitude, la nervosité d’une espérance qui n’osait pas jaillir, qu’il essayait de refouler tout au fond de lui. Quand il fut dans le salon des Vacreuse où Jeanne n’était pas encore, tout soudain il désespéra. Non, c’était absurde, impossible ! Jamais on ne lui donnerait Madeleine. Et les tentures sobres, à grisailles, les sièges pesants, de forme massive, les portières rigides, les tapis presque noirs, tout cet ameublement sombre, sans fleurs, éclairé d’un jour immobile, dialysé au travers de verrières bleuâtres, écrasait, tuait son optimisme. Quand le pas frôlant de Jeanne s’entendit, l’officier se sentit sans courage, aphone, dans un vague abrutissement. Elle parut la bouche condensée, comme un barbare qui ne veut pas succomber à l’embûche des ennemis.

Elle avait eu le temps de réfléchir, était en deçà de ses premières impressions. La lutteuse, heure par heure, avait reparu avec sa volonté brutale, et si elle gardait quelque bienveillance, le désir du bonheur de Madeleine, ce n’était pas sans condition de guerre.

– Mon mari et moi nous avons réfléchi, dit-elle à Jacques.

Son mari ! Jacques songea que l’intervention de Vacreuse avait dû être singulièrement négligeable, pendant qu’elle continuait de l’air de traiter une chose de négoce :

– Nos conclusions vous sont favorables…

– Oh ! soupira Jacques tout pâle.

Et il faisait l’effort de balbutier son ravissement.

– Attendez ! dit Jeanne. Nous ne cédons pas sans exigence… Avez-vous déjà parlé à M. Laforge ?

– Non, dit Jacques.

– Son consentement est-il probable ?

– Il est certain.

– Bien. Sans doute, vous vaincrez. Mais monsieur votre père voudra-t-il venir, en personne, me demander Madeleine ? car c’est là notre condition !

Alors Jacques vit se lever la silhouette de son père, le masque bilieux, d’étroitesse butée, bouillant d’énergies tatillonnes, aux taches d’ictère, aux pupilles d’un coq de combat. Celui-là céderait-il ? Après le premier veto de son indignation, veto certain, combien de chances qu’il restât inaccessible ! Car Jacques n’ignorait pas, hélas ! les bornes peu étendues de cette pensée de lutteur, combien tout l’être était en lui déraisonnable, en proie aux impressions barbares. Ah ! l’œuvre était dure de vaincre sa rancune, de desserrer les crocs de sa volonté. Jacques pourtant l’espéra ; il osa compter sur l’instinct violent de race qui hante ces natures, sur les menaces qu’un fils peut faire à leur orgueil. Oui, à une demande suprême, le père pouvait céder. Et Jacques se tourna vers Mme Vacreuse :

– Je pars, Madame… Je vais combattre !

– Je vous souhaite la victoire ! fit-elle doucement.

C’était vrai. Tandis qu’il s’en allait, lentement, elle, appuyée sur son coude, se trouvait féroce, avait envie de le faire revenir. Mais, plus fort qu’elle, veillait le sombre pilote de sa volonté, plus fort que la maternité, que tout désir, que toute justice ! Et elle ne rappela pas le jeune homme.

Share on Twitter Share on Facebook