SCÈNE VII.

DORANTE, CARLIN.

DORANTE.

Où te tiens-tu donc, traître ?

Je te cherche partout.

CARLIN.

Moi, je vous cherche aussi :

Ne m’avez-vous pas dit de revenir ici ?

DORANTE.

Mais pourquoi si longtemps ?…

CARLIN.

Donnez-vous patience.

Si vous montrez en tout la même pétulance,

Nous allons voir beau jeu.

DORANTE.

Qu’est-ce que ce discours ?

CARLIN.

Ce n’est rien ; seulement à vos tendres amours

Il faudra dire adieu.

DORANTE.

Quelle sotte nouvelle

Viens-tu ?…

CARLIN.

Point de courroux. Je sais bien qu’Isabelle

Dans le fond de son cœur vous aime uniquement ;

Mais, pour nourrir toujours un si doux sentiment,

Voyez comme de vous elle parle à Valère.

DORANTE.

L’écriture, en effet, est de son caractère.

(Il lit la lettre.)

Que vois-je ? malheureux ! d’où te vient ce billet ?

CARLIN.

Allez-vous soupçonner que c’est moi qui l’ai fait ?

DORANTE.

D’où te vient-il ? te dis-je.

CARLIN.

À la chère suivante

Je l’ai surpris tantôt par ordre d’Éliante.

DORANTE.

D’Éliante ! Comment ?

CARLIN.

Elle avait découvert

Toute la trahison qu’arrangeaient de concert

Isabelle et Lisette, et pour vous en instruire,

Jusqu’en ce vestibule a couru me le dire.

La pauvre enfant pleurait.

DORANTE.

Ah ! je suis confondu !

Aveuglé que j’étais ! comment n’ai-je pas dû,

Dans leurs airs affectés, voir leur intelligence ?

On abuse aisément un cœur sans défiance.

Ils se riaient ainsi de ma simplicité !

CARLIN.

Pour moi, depuis longtemps je m’en étais douté.

Continuellement on les trouvait ensemble.

DORANTE.

Ils se voyaient fort peu devant moi, ce me semble.

CARLIN.

Oui, c’était justement pour mieux cacher leur jeu.

Mais leurs regards…

DORANTE.

Non pas ; ils se regardaient peu,

Par affectation.

CARLIN.

Parbleu ! voilà l’affaire.

DORANTE.

Chez moi-même à l’instant ayant trouvé Valère,

J’aurais dû voir, au ton dont parlant de leurs nœuds

D’Éliante avec art il faisait l’amoureux,

Que l’ingrat ne cherchait qu’à me donner le change.

CARLIN.

Jamais crédulité fut-elle plus étrange ?

Mais que sert le regret ? et qu’y faire après tout ?

DORANTE.

Rien ; je veux seulement savoir si jusqu’au bout

Ils oseront porter leur lâche stratagème.

CARLIN.

Quoi ! vous prétendez donc être témoin vous-même ?

DORANTE.

Je veux voir Isabelle, et, feignant d’ignorer

Le prix qu’à ma tendresse elle a su préparer,

Pour la mieux détester je prétends me contraindre,

Et sur son propre exemple apprendre l’art de feindre.

Toi, va tout préparer pour partir dès ce soir.

CARLIN, va et revient.

Peut-être…

DORANTE.

Quoi ?

CARLIN.

J’y cours.

DORANTE.

Je suis au désespoir.

Elle vient. À ses yeux déguisons ma colère.

Qu’elle est charmante ! Hélas ! comment se peut-il faire

Qu’un esprit aussi noir anime tant d’attraits ?

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