SCÈNE VIII.

ISABELLE, DORANTE.

ISABELLE.

Dorante, il n’est plus temps d’affecter désormais

Sur mes vrais sentiments un secret inutile.

Quand la chose nous touche ; on voit la moins habile

À l’erreur qu’elle feint se livrer rarement.

Je prétends avec vous agir plus franchement.

Je vous aime, Dorante ; et ma flamme sincère,

Quittant ces vains dehors d’une sagesse austère

Dont le faste sert mal à déguiser le cœur,

Veut bien à vos regards dévoiler son ardeur.

Après avoir longtemps vanté l’indifférence,

Après avoir souffert un an de violence,

Vous ne sentez que trop qu’il n’en coûte pas peu

Quand on se voit réduite à faire un tel aveu.

DORANTE.

Il faut en convenir ; je n’avais pas l’audace

De m’attendre, madame, à cet excès de grâce.

Cet aveu me confond, et je ne puis douter

Combien, en le faisant, il a dû vous coûter.

ISABELLE.

Votre discrétion, vos feux, votre constance,

Ne méritaient pas moins que cette récompense ;

C’est au plus tendre amour, à l’amour éprouvé,

Qu’il faut rendre l’espoir dont je l’avais privé.

Plus vous auriez d’ardeur, plus, craignant ma colère,

Vous vous attacheriez à ne pas me déplaire ;

Et mon exemple seul a pu vous dispenser

De me cacher un feu qui devait m’offenser.

Mais quand à vos regards toute ma flamme éclate,

Sur vos vrais sentiments peut-être je me flatte,

Et je ne les vois point ici se déclarer

Tels qu’après cet aveu j’aurais pu l’espérer.

DORANTE.

Madame, pardonnez au trouble qui me gêne,

Mon bonheur est trop grand pour le croire sans peine.

Quand je songe quel prix vous m’avez destiné,

De vos rares bontés je me sens étonné.

Mais moins à ces bontés j’avais droit de prétendre,

Plus au retour trop dû vous devez vous attendre.

Croyez, sous ces dehors de la tranquillité,

Que le fond de mon cœur n’est pas moins agité.

ISABELLE.

Non, je ne trouve point que votre air soit tranquille ;

Mais il semble annoncer plus de torrents de bile

Que de transports d’amour : je ne crois pas pourtant

Que mon discours, pour vous, ait eu rien d’insultant,

Et sans trop me flatter, d’autres à votre place

L’auraient pu recevoir d’un peu meilleure grâce.

DORANTE.

À d’autres, en effet, il eût convenu mieux.

Avec autant de goût on a de meilleurs yeux,

Et je ne trouve point, sans doute, en mon mérite,

De quoi justifier ici votre conduite :

Mais je vois qu’avec moi vous voulez plaisanter ;

C’est à moi de savoir, madame, m’y prêter.

ISABELLE.

Dorante, c’est pousser bien loin la modestie :

Ceci n’a point trop l’air d’une plaisanterie :

Il nous en coûte assez en déclarant nos feux,

Pour ne pas faire un jeu de semblables aveux.

Mais je crois pénétrer le secret de votre âme ;

Vous craignez que, cherchant à tromper votre flamme,

Je ne veuille abuser du défi de tantôt

Pour tâcher aujourd’hui de vous prendre en défaut.

Je ne vous cache point qu’il me paraît étrange

Qu’avec autant d’esprit on prenne ainsi le change :

Pensez-vous que des feux qu’allument nos attraits

Nous redoutions si fort les transports indiscrets,

Et qu’un amour ardent jusqu’à l’extravagance

Ne nous flatte pas mieux qu’un excès de prudence ?

Croyez, si votre sort dépendait du pari,

Que c’est de le gagner que vous seriez puni.

DORANTE.

Madame, vous jouez fort bien la comédie ;

Votre talent m’étonne, il me fait même envie ;

Et, pour savoir répondre à des discours si doux,

Je voudrais en cet art exceller comme vous :

Mais, pour vouloir trop loin pousser le badinage,

Je pourrais à la fin manquer mon personnage,

Et reprenant peut-être un ton trop sérieux…

ISABELLE.

À la plaisanterie il n’en ferait que mieux.

Tout de bon, je ne sais où de cette boutade

Votre esprit a péché la grotesque incartade.

Je m’en amuserais beaucoup en d’autres temps.

Je ne veux point ici vous gêner plus longtemps.

Si vous prenez ce ton par pure gentillesse,

Vous pourriez l’assortir avec la politesse ;

Si vos mépris par moi veulent se signaler,

Il faudra bien chercher de quoi m’en consoler.

DORANTE, en fureur.

Ah ! per…

ISABELLE, l’interrompant vivement.

Quoi !

DORANTE, faisant effort pour se calmer.

Je me tais

ISABELLE, à part.

De peur d’étourderie,

Allons faire en secret veiller sur sa furie.

Dans ses emportements je vois tout son amour…

Je crains bien à la fin de l’aimer à mon tour.

(Elle sort en faisant d’un air poli, mais railleur, une révérence à Dorante.)

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