SCÈNE X.

MACKER, FREDERICH, GOTERNITZ, DORANTE, SOPHIE.

MACKER.

Oh ! oh ! notre future, tubleu ! comme vous y allez ! C’est donc avec monsieur que vous vous accordez pour la noce ! je lui suis obligé, ma foi. Eh bien ! beau-père, que dites-vous de votre progéniture ? Oh ! je voudrais, parbleu ! que nous en eussions vu quatre fois davantage, seulement pour lui apprendre à n’être pas si confiant.

GOTERNITZ.

Sophie, pourriez-vous m’expliquer ce que veulent dire ces étranges façons ?

DORANTE.

L’explication est toute simple ; je viens de recevoir avis que je suis échangé, et là-dessus je prenais congé de mademoiselle, qui, aussi bien que vous, monsieur, a eu pendant mon séjour ici beaucoup de bontés pour moi.

MACKER.

Oui, des bontés ! oh ! cela s’entend.

GOTERNITZ.

Ma foi, seigneur Macker, je ne vois pas qu’il y ait tant à se récrier pour une simple cérémonie de compliment.

MACKER.

Je n’aime point tous ces compliments à la française.

FRÉDÉRICH.

Soit : mais comme ma sœur n’est point encore votre femme, il me semble que les vôtres ne sont guère propres à lui donner envie de la devenir.

MACKER.

Eh ! corbleu ! monsieur, si votre séjour de France vous a appris à applaudir à toutes les sottises des femmes, apprenez que les flatteries de Jean-Mathias Macker ne nourriront jamais leur orgueil.

FRÉDÉRICH.

Pour cela, je le crois.

DORANTE.

Je vous avouerai, monsieur, qu’également épris des charmes et du mérite de votre adorable fille, j’aurais fait ma félicité suprême d’unir mon sort au sien, si les cruels préjugés qui vous ont été inspirés contre ma nation n’eussent mis un obstacle invincible au bonheur de ma vie.

FRÉDÉRICH.

Mon père, c’est là sans doute un de vos prisonniers ?

GOTERNITZ.

C’est cet officier pour lequel vous avez été échangé.

FRÉDÉRICH.

Quoi ! Dorante ?

GOTERNITZ.

Lui-même.

FRÉDÉRICH.

Ah ! quelle joie pour moi de pouvoir embrasser le fils de mon bienfaiteur !

SOPHIE, joyeuse.

C’était mon frère, et je l’ai deviné.

FRÉDÉRICH.

Oui, monsieur, redevable de la vie à monsieur votre père, qu’il me serait doux de vous marquer ma reconnaissance et mon attachement par quelque preuve digne des services que j’ai reçus de lui !

DORANTE.

Si mon père a été assez heureux pour s’acquitter envers un cavalier de votre mérite des devoirs de l’humanité, il doit plus s’en féliciter que vous-même. Cependant, monsieur, vous connaissez mes sentiments pour mademoiselle votre sœur ; si vous daignez protéger mes feux, vous acquitterez au-delà vos obligations : rendre un honnête homme heureux, c’est plus que de lui sauver la vie.

FRÉDÉRICH.

Mon père partage mes obligations, et j’espère bien que, partageant aussi ma reconnaissance, il ne sera pas moins ardent que moi à vous la témoigner.

MACKER.

Mais il me semble que je joue ici un assez joli personnage.

GOTERNITZ.

J’avoue, mon fils, que j’avais cru voir en monsieur quelque inclination pour votre sœur ; mais, pour prévenir la déclaration qu’il m’en aurait pu faire, j’ai si bien manifesté en toute occasion l’antipathie et l’éloignement qui séparait notre nation de la sienne, qu’il s’était épargné jusqu’ici des démarches inutiles de la part d’un ennemi avec qui, quelque obligation que je lui aie d’ailleurs, je ne puis ni ne dois établir aucune liaison.

MACKER.

Sans doute, et c’est un crime de lèse-majesté à mademoiselle de vouloir aussi s’approprier ainsi les prisonniers de la reine.

GOTERNITZ.

Enfin je tiens que c’est une nation avec laquelle il est mieux de toute façon de n’avoir aucun commerce ; trop orgueilleux amis, trop redoutables ennemis ; heureux qui n’a rien à démêler avec eux !

FRÉDÉRICH.

Ah ! quittez, mon père, ces injustes préjugés. Que n’avez-vous connu cet aimable peuple que vous haïssez, et qui n’aurait peut-être aucun défaut s’il avait moins de vertus ! Je l’ai vue de près, cette heureuse et brillante nation, je l’ai vue paisible au milieu de la guerre, cultivant les sciences et les beaux-arts, et livrée à cette charmante douceur de caractère qui en tout temps lui fait recevoir également bien tous les peuples du monde, et rend la France en quelque manière la patrie commune du genre humain. Tous les hommes sont les frères des Français. La guerre anime leur valeur sans exciter leur colère. Une brutale fureur ne leur fait point haïr leurs ennemis ; un sot orgueil ne les leur fait point mépriser. Ils les combattent noblement, sans calomnier leur conduite, sans outrager leur gloire ; et tandis que nous leur faisons la guerre en furieux, ils se contentent de nous la faire en héros.

GOTERNITZ.

Pour cela, on ne saurait nier qu’ils ne se montrent plus humains et plus généreux que nous.

FRÉDÉRICH.

Eh ! comment ne le seraient-ils pas sous un maître dont la bonté égale le courage ! Si ses triomphes le font craindre, ses vertus doivent-elles moins le faire admirer ? conquérant redoutable, il semble à la tête de ses armées un père tendre au milieu de sa famille, et, forcé de dompter l’orgueil de ses ennemis, il ne les soumet que pour augmenter le nombre de ses enfants.

GOTERNITZ.

Oui, mais avec toute sa bravoure, non content de subjuguer ses ennemis par la force, ce prince croit-il qu’il soit bien beau d’employer encore l’artifice, et de séduire, comme il fait, les cœurs des étrangers et de ses prisonniers de guerre ?

MACKER.

Fi ! que cela est laid de débaucher ainsi les sujets d’autrui ! Oh bien ! puisqu’il s’y prend comme cela, je suis d’avis qu’on punisse sévèrement tous ceux des nôtres qui s’avisent d’en dire du bien.

FRÉDÉRICH.

Il faudra donc châtier tous vos guerriers qui tomberont dans ses fers, et je prévois que ce ne sera pas une petite tâche.

DORANTE.

Oh ! mon prince, qu’il m’est doux d’entendre les louanges que ta vertu arrache de la bouche de tes ennemis ! voilà les seuls éloges dignes de toi.

GOTERNITZ.

Non, le titre d’ennemis ne doit point nous empêcher de rendre justice au mérite. J’avoue même que le commerce de nos prisonniers m’a bien fait changer d’opinion sur le compte de leur nation : mais considérez, mon fils, que ma parole est engagée, que je me ferais une méchante affaire de consentir à une alliance contraire à nos usages et à nos préjugés ; et que, pour tout dire enfin, une femme n’est jamais assez en droit de compter sur le cœur d’un Français pour que nous puissions nous assurer du bonheur de votre sœur en l’unissant à Dorante.

DORANTE.

Je crois, monsieur, que vous voulez bien que je triomphe, puisque vous m’attaquez par le côté le plus fort. Ce n’est point en moi-même que j’ai besoin de chercher des motifs pour rassurer l’aimable Sophie sur mon inconstance, ce sont ses charmes et son mérite qui seuls me les fournissent ; qu’importe en quels climats elle vive ? son règne sera toujours partout où l’on a des yeux et des cœurs.

FRÉDÉRICH.

Entends-tu, ma sœur ? cela veut dire que si jamais il devient infidèle tu trouveras dans son pays tout ce qu’il faut pour t’en dédommager.

SOPHIE.

Votre temps sera mieux employé à plaider sa cause auprès de mon père qu’à m’interpréter ses sentiments.

GOTERNITZ.

Vous voyez, seigneur Macker, qu’ils sont tous réunis contre nous ; nous aurons affaire à trop forte partie : ne ferions-nous pas mieux de céder de bonne grâce ?

MACKER.

Qu’est-ce que cela veut dire ? manque-t-on ainsi de parole à un homme comme moi ?

FRÉDÉRICH.

Oui, cela se peut faire par préférence.

GOTERNITZ.

Obtenez le consentement de ma fille, je ne rétracte point le mien ; mais je ne vous ai pas promis de la contraindre. D’ailleurs, à vous parler vrai, je ne vois plus pour vous ni pour elle les mêmes agréments dans ce mariage : vous avez conçu sur le compte de Dorante des ombrages qui pourraient devenir entre elle et vous une source d’aigreurs réciproques. Il est trop difficile de vivre paisiblement avec une femme dont on soupçonne le cœur d’être engagé ailleurs.

MACKER.

Ouais, vous le prenez sur ce ton ? Oh ! têtebleu, je vous ferai voir qu’on ne se moque pas ainsi des gens. Je m’en vais tout à l’heure porter ma plainte contre lui et contre vous : nous apprendrons un peu à ces beaux messieurs à venir nous enlever nos maîtresses dans notre propre pays ; et, si je ne puis me venger autrement, j’aurai du moins le plaisir dédire partout pis que pendre de vous et des Français.

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