CHAPITRE III.

CEs bons Peres s'estant tous disposez par frequentes oraisons & bonnes oeuvres à une entreprise si pieuse & meritoire, se mirent en chemin pour commencer, leur glorieux voyage, à pied & sans argent à l'Apostolique selon la coustume des vrais freres Mineurs, & s'embarquerent à Honfleur l'an 1615 le 24 d'Avril environ les cinq heures du soir que le vent & la marée leur estoient favorables.

Dieu qui leur avoit donné ce bon sentiment & la volonté d'entreprendre ce penible voyage, leur fist aussi la grace de passer ce grand Ocean & d'arriver heureusement à la Rade de Tadoussac où ils prirent quelques heures de repos, & de là coulerent dans le port à la faveur de la marée où ils mouillerent l'anchre le 25 de May, jour de la translation de nostre Pere S. François qui fut pris à bonne augure.

Sitost que ces bons Peres furent à terre ils rendirent graces à Dieu de les avoir assisté & conduit si à propos au port de salut, & ayans donné un peu de respis à leur corps fatigué des tourmentes & vapeurs de la mer, ils considerent la contrée, laquelle ils trouverent d'abord fort sterile, seiche, deserte & pleine de montagnes & rochers avec une solitude si profonde qu'il leur sembloit estre au milieu des deserts de l'Arabie pierreuse, ils avoient desja veüs plus de cent cinquante lieuës de païs aussi miserable & affreux, & doutoient encore que le reste du Canada fut de mesme, neantmoins à tout evenement ils se resolurent d'y demeurer sous l'esperance que nostre Seigneur leur feroit descouvrir quelque lieu; propre pour si establir, comme il a faict avec le contentement & consolation interieure de tous ceux qui y ont faict quelque sejour.

Il me souvient que lors que j'estois en mer pour le mesme voyage, que plusieurs huguenots sembloient avoir pris à tasche de me descrier la laideur du païs, & disoient qu'à la première veuë j'en concevrois un desplaisir fort grand, à l'encontre de tous ceux qui m'avoient porté à un si laborieux voyage où rien n'estoit capable de pouvoir contenter en son object, les yeux n'y l'esprit de qui que ce fut; mais au contraire je m'y trouvay fort satisfait & prenois un singulier plaisir de voir ces sollitudes, comme j'eusse peu faire les aspres deserts de la Thebayde où residoient anciennement ces grands peres Hermites & Anacorettes.

Le R. Pere Dolbeau aprés avoir sejourné un jour ou deux à Tadoussac, partit pour Kebec dans la première barque qui se mit à voille, & les autres pères cinq ou six jours aprés dans d'autres vaisseaux pour le mesme lieu. Dés qu'ils arriverent au Cap de Tourmente & veu ces belles prairies esmaillées en Esté de quantité de petites fleurettes, les bonnes terres de Kebec, & l'agreable contrée où est à present basti nostre petit Convent, ils reprirent nouveau courage, jugerent la contrée bonne & capable d'y bastir, non seulement un Monastere de pauvres freres Mineurs, mais d'y establir des Colonies, voir de tres-bonnes villes & Villages s'il plaisoit au Roy d'y contribuer de ses liberalitez royales & aux Marchands une partie du profit qu'ils en retirent tous les ans, qui leur vaudroit au double à l'advenir.

La première chose que ce bon Pere fist estant arrivé à Kebec, fust de rendre graces à Dieu, disposer une Chapelle pour y celebrer la S. Messe, & des chambrettes pour se loger, mais comme en un païs tres-pauvre beaucoup de choses luy manquans, il avoit recours à la patience du pauvre Jesus dans la Creche de Bethleem. Il y dit la première Messe le 25e jour de Juin de la mesme année & nos autres Religieux en suitte, avec des contentemens d'esprit qui ne se peuvent expliquer, les larmes leur en decouloient des yeux de joye, il leur estoit advis d'avoir trouvé le Paradis dans ce païs sauvage où ils esperoient attirer les Anges à leur secours pour la conversion de ce pauvre peuple plus ignorant que meschant.

Mais comment & par qu'elle invention pourrons nous faire comprendre à une infinité de Prestres & Religieux, les mérites & les grâces qui accompagnent inseparablement ceste divine Mission, la pluspart craignent de patir & ne veulent mettre en compromis leur petite consolation. Toute la France bouillonne de Religieux, de Beneficiers & de Prestres seculiers, mais peu se peinent pour le salut des mescroyans. Il y en a une infinité qui demeurent icy oysifs mangeans le bien des pauvres & courans les benefices, que s'ils passoient aux Indes & dans les païs infidelles y pourroient profiter & pour eux & pour autruy, mais il y a tousjours ce mais, nous ne voulons rien endurer, fuyons le martyre & prenons des excuses qu'il y a assez à travailler icy où la vanité & le vice a pris tel pied qu'il semble incorrigible & se va dilatant comme une mauvaise racine. Il y resterait tousjours assez d'ouvriers neantmoins quand la moitié de tous les Religieux & des Prestres seculiers seroient envoiez prescher la foy aux Gentils, qui manquent de ce que nous avons trop icy, mais il faudroit que ceste eslection se fist des plus vertueux, pour qu'un aveugle conduit par un autre aveugle ne tombent tous deux dans la fosse.

Nos Religieux de Kebec, ayans tout leur petit faict disposé dans l'habitation, adviserent aux moyens de profiter non seulement aux François, ausquels ils servoient desja de Chappelains. Curez & Religieux leur conferans tous les Sacremens, mais principalement aux Sauvages, pour le salut & la conversion desquels ils s'estoient particulierement acheminez en leur païs.

Le P. Dolbeau tousjours plein de zele, prit le premier l'essor pour les Montagnais, car il ne pouvoit vivre sans exercer la charité laquelle Dieu avoit infuse dans son ame. Il partit le second jour de Décembre pour y cabaner, apprendre leur langue, les catechiser & courir les bois avec eux, mais ayans par la grace de Dieu surmonté toutes ses autres difficultez qui se rencontrent en semblables occasions, a fumée qui est en grande abondance dans leurs cabanes, notamment lors qu'il fait un temps nebuleux & de neige, luy pensa perdre la veuë qu'il n'avoit des-ja guere bonne, & fut plusieurs jours sans pouvoir ouvrir les yeux qui luy faisoient une douleur extreme, tellement que dans l'apprehension que ce mal augmentait il fut contraint de les quitter, après deux mois de temps & revenir à l'habitation vivre avec ses freres, car nostre Seigneur ne demandoit pas de luy la perte de sa veuë, ains qu'en le servant il mesnageat prudemment sa santé laquelle est necessaire dans un si grand travail.

Or quelqu'un me pourroit demander la raison pourquoy il avoit plustost choisi l'Hyver, temps fort incommode & fascheux pour aller avec eux, que la saison d'Esté plus gaye & supportable, à la piqueure des mousquites prés. La principale raison qu'on en peut donner est à mon advis, que les Montagnais n'ont pas de quoy vivre en Esté comme ils ont en Hyver, car l'Eslan qui est leur principale manne ne se prend que pendant les grandes neiges qui tombent en abondance dans les montagnes du Nord, où ils font leur chasse au poil, & à cause d'icelles montagnes les Sauvages qui les hantent sont appellez Montagnais.

Je ne sçay si je me trompe, mais il me semble que ces pauvres gens vivent encore de la mesme sorte de nos premiers parens après le peché. Ils n'ont ny maison ny buron & ne s'arrestent en aucun lieu qu'où ils trouvent de quoy vivre, la viande faillie ils levent le camp qu'ils posent en autre endroit, où ils croyent trouver de la beste, ou du poisson & quelques racines, qui est ce de quoy ils vivent principalement.

Le Père Joseph le Caron touché du mesme zele du Pere Dolbeau, choisit pour son lot le païs des Hurons auquel il s'achemina avec quelqu'uns de la nation qui estoient descendus à la Traicte. De la façon qu'il fut traicté en son voyage & receu dans le païs je n'en sçay pas les particularitez pour ne m'y estre pas trouvé, mais il m'a asseuré qu'il souffrit en chemin, autant que son naturel pouvoit porter, car outre toutes les difficultés des autres, qu'il luy fallut devorer, il eut tousjours l'aviron en main & nageoit comme les Sauvages, à quoy je n'ay jamais esté obligé, autrement je fusse mort en chemin, j'appelle mort en chemin non la mort, mais une peine qui m'eust esté insupportable, puis que exempt de cest incommodité arrivant au port il ne me restoit plus que la peau & les os, dont je m'estonne de la nature mesme, laquelle à son dire est toujours sur le point de mourir & peut mourir tant elle se flatte elle mesme. O mon Dieu que nous faisons souvent gaigner le Medecin sans cause vraye que de la seule imagination, qui nous persuade souvent des grands maux où il n'y en a que de bien petits.

Ce bon Pere fut grandement bien receu des Hurons à leur mode, & luy tesmoignerent l'ayse & le contentement qu'ils avoient de sa venue. Ils pensoient le loger dans leurs cabanes pour pouvoir joüir plus commodement de sa presence & de ses divines instructions, mais comme cela repugnoit à fa modestie religieuse aprés les en avoir humblement remercié, & remonstré que les choses qu'il avoit à traicter avec Dieu pour leur salut, devoient estre negotiées en lieu de repos & hors le bruit des enfans, ils luy en accommodèrent une à part à la portée de la flèche hors de leur village, où les Sauvages l'alloient journellement visiter & luy de mesme leur rendoit leur visite dans leurs cabanes & par les bourgades où il se trouvoit souvent avec eux.

Il se transporta jusques à la nation des petuneux où il eut plus de peine que de consolation en la conversation de ses barbares, qui ne luy firent aucun bon accueil ny demonstration que son voyage leur aggreat, peut estre par l'induction de leurs Medecins ou Magiciens, qui ne veulent point estre contrariez ny condamnez en leurs sottises. De maniere qu'après quelque peu de sejour ce bon Père fut contraint de s'en retourner à ses Hurons, où il sejourna jusque au temps qu'ils descendirent à la Traicte. Tellement que tout ce qu'il pû faire en ce premier voyage, fust seulement de cognoistre les façons de faire de ce peuple, d'apprendre passablement leur langue & les disposer à une vie plus honneste & civile, qui n'estoit pas peu travaillé en ce premier essay, car il ne faut pas tousjours reprendre & arguer au commencement, mais bien édifier & doucement captiver en attendant le temps propre à la moisson, qui doit estre arrousée des benedictions du Ciel & fomentée d'une saincte & aggreable conversation.

Comme le Pere Joseph revint en France, & de son retour en Canada avec le P. Paul Huet. Des dangers qu'ils coururent en chemin, & de la saincte Messe qu'ils celebrerent pour la première fois à Tadoussac.

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