CHAPITRE II,

LA divine providence a disposé ainsi des choses, que tous ceux qu'il a envoyé à la conqueste des ames fidelles, ont esté Apostres ou gens Apostoliques. La doctrine & saincteté desquels il a pleu à Dieu de confirmer par miracles authentiques & irréprochables & depuis l'an 600, à peine se trouvera il aucune conversion de peuples infidelles, à qui n'ait esté entreprise par des Religieux, faisans profession d'obeissance, pauvreté & chasteté, & si vous prenez la peine de lire les historiens vous verrez qu'il n'y a coin où l'Evangile ait esté presché depuis quatre cens ans, que ce n'ait esté des Religieux de sainct François, qui en ayent faict l'ouverture aux despens de leur propre vie.

Les Religieux ont donc cet advantage, & prerogative, par dessus tous les Ecclesiastiques seculiers, qu'ils ont par tout esté les premiers à passer les mers, s'exposer aux perils & porter l'Evangile de nostre Seigneur en toutes les Nations de la terre habitable, où ils ont exercé indifféremment toutes les fonctions de Curé ou de Pasteur, administrans tous les Sacremens, comme il estoit bien necessaire; puis qu'eux seuls s'estoient employez & s'employent à la conversion des infidelles barbares, de sorte que l'on peut dire que sans les Religieux, les deux Indes, & le reste des peuples barbares convertis, seroient encores à convertir, & que les Eveschés qui y sont à present, y ont esté establies de l'authorité des Papes par les Religieux qui y ont esté les premiers Evesques, comme ils y avoient esté les premiers Prédicateurs aprés les Apostres, & où les Apostres mesmes n'avoient point penetré.

A la vérité le temps qui devoit nous avoir rendu sages, n'a pu qu'après de longues années faire cognoistre à nos Marchands François, qui avoient la traicte & le gouvernement du grand fleuve de Canada (descouvert depuis l'an 1535 par Jacques Cartier) l'ayde de quelque colonies de bons & vertueux Catholiques, ils n'y pouvoient rien advancer. La seule avarice leur faisoit passer la mer pour en rapporter des pelleteries, & les huguenots & heretiques participoient egallement du profit avec les Catholiques; si les Catholiques avoient un Prestre, les huguenots avoient un Ministre, & pendant qu'ils s'amusoient à leur dispute, les Sauvages restoient confirmez dans leur irreligion pour voir se scandalizer des disputes de religion, car ils ne sont pas bestes jusques là, qu'ils ne voyent bien nos differents, & ceux qui font, le signe de la S. Croix ou non, comme ils m'ont eu dit quelquefois.

En ces commencemens que les François furent vers l'Acadie; il arriva qu'un Prestre & un Ministre moururent presque en mesme temps, les mattelots qui les enterrerent, les mirent tous deux dans une mesme fosse, pour veoir si morts, ils demeureroient en paix, puis que vivants ils ne s'estoient pû accorder, toutes choses se tournoient en risée, les Catholiques sans devotion s'accommodoient aysement à l'humeur des huguenots, & ces heretiques malicieux se maintenoient dans leur vie libertine, point d'obstacle ny d'empeschement à leur tirannie qui forçoit mesme les Catholiques d'assister à leurs prieres & chants de Maror, autrement ils n'estoient point admis dans leurs vaisseaux ny employez en leurs manifactures de quoy je me suis souvente fois plaint, mais en vain car Dieu n'est pas respecté jusques là, que son Eglise ait par tout le dessus.

C'estoit une chose digne de compassion de veoir tant de desordres, la terre ne se cultivoit point, le païs ne s'habituoit pas, & point du tout de conversion ny d'envie de convertir, & neantmoins à ouyr les Marchands vous eussiez dit qu'ils n'aspiroient rien tant que la gloire de Dieu, la conversion des Sauvages & le bien du païs, je veux bien croire qu'ils eussent quelque bonne volonté & eussent esté bien ayse d'y veoir de l'advancement, mais toujours sans effect, à cause de leur interest temporel auquel ils estoient attachez principalement.

Ces belles apparences firent resoudre le sieur Houel Secretaire du Roy, personnage tres-affectionné au service de nostre Seigneur d'estre de la partie, & s'associer avec eux, mais comme il estoit homme judicieux & dans le dessein d'une personne qui ne respiroit rien moins que ses propres interests, il recognut aussi-tost les deffauts de la Compagnie, à laquelle il proposa que sans Religieux rien ne se pouvoit advancer ny esperer, & que leur intention principale devoit estre la gloire de Dieu & la conversion des Sauvages, autrement Dieu ne beniroit point leur labeur, car il faut premièrement chercher le Royaume de Dieu & sa justice, & puis toutes choses nous seront administrées.

Ces Messieurs trouverent ces propositions bonnes, advouerent leur manquement, & le prierent de faire choix avec eux, des Religieux les plus utils & de moindre charge à la compagnie pour cette Mission. La memoire encore toute récente des grands fruicts que les Recollects avoient opéré dans l'Amerique Orientale & au Royaume du Toxu que d'autres disent Voxu, qu'ils, avoient depuis n'agueres converty à la foy, leur fist jetter l'oeil sur eux & s'adresser au R.P. Chapoin Provincial Recollects de la Province de S. Denis, pour obtenir de luy quelque Religieux pour une si necessaire & glorieuse Mission.

S'addressant à un Pere si zelé, ils n'en pouvoient esperer que tout contentement, aussi en receurent ils les fruicts qu'ils esperoient, j'avois l'honneur pour lors d'estre son compagnon & d'avoir part à ses soins, aussi me fist-il la faveur de m'en communiquer ses sentimens, & la bonne volonté qu'il avoit pour le service de nostre Seigneur en ceste affaire, j'eusse bien desiré deslors d'estre de la partie, si ma bonne volonté & mon insuffisance eussent mérité cette grâce, mais il en falloit de meilleurs que moy & capables d'un plus grand service, & par ainsi il me fallut avoir patience jusqu'en un autre temps, que Dieu couvrit d'un voile mes imperfections, & furent nommez pour la Mission le R. Pere Denis Jamet, pour Commissaire le P. Jean Dolbeau, pour successeur, en cas de mort, le P. Joseph le Caron, & le P. F. Pacifique du Plessis, qui furent les quatre premiers Religieux qui passerent la mer pour la conversion des peuples du Canada.

Mais pour ce que la chose estoit d'importance & qu'elle ne pouvoit estre bien faicte que par les voyes ordinaires & bien seantes aux Religieux de S. François. Nous eusmes recours à sa Sainteté pour en avoir les permissions necessaires, lequel agréant nostre zele en escrivit à son Nonce residant en Cour de France, duquel nosdits Religieux destinez pour la Mission receurent avec sa benediction, une permission verbale d'aller dans les terres infidelles & Canadiennes pour travailler à leur conversion, en attendant le Bref que par négligence on ne receut que deux ou trois ans aprés nostre entrée au Canada, comme il se verra cy-apres.

CUYDO BENTIVOLE, Par la grace de Dieu & du S. Siege Apostolique Archevesque de Rhodes, de la part de nostre S. Pere le Pape Paul cinquiesme au Tres-Chrestien Roy de France & de Navarre Louys treiziesme, Nonce Apostolique, &c. & specialement choisi, commis & deputé de par nostre S. Pere Paul cinq, pour juge ou Commissaire en ces quartiers. A N. bien aimé le Venerable Pere Joseph le Caron prestre, Religieux profez Recollect de l'Ordre de S. François, Province de Paris, ou S. Denis, & à tous autres Peres & Freres Recollects profez dudit Ordre de S. François & constituez en l'ordre sacré de Prestrise & Confesseurs approuvez par l'ordinaire, lesquels sont sur le point de recevoir Mission & obedience de leur Pere Provincial, pour s'acheminer avec vous en quelques contrées des Payens & infidelles pour moienner leur conversion à la vraye-foy & Religion Catholique, où que vous pouvez prendre avec la permission & licence du susdit Père Provincial, salut & sincère dilection en nostre Seigneur. Vous pourrez sçavoir qu'autrefois le Reverendissime Archevesque comte de Lyon, Ambassadeur de sa Majesté Tres-Chrestienne vers Nostre S. Pere, ayant requis le S. Siege Apostolique & supplié sa Saincteté, que sous le bon plaisir de sadite Saincteté, & avec les conditions cy-dessous escrites, il fut loisible au Reverent Pere Provincial des Religieux Recollects du susdit Ordre S. François, d'envoyer quelques Religieux du mesme Ordre & de sa Province de S. Denis en France, lesquels fussent suffisans & idoines pour prescher & estendre la foy Catholique dans les terres & regions infidelles & dautant que cest oeuvre estoit de soy meritoire, & qu'il avoit pleu à sadite Saincteté de nous donner plein pouvoir de conceder les moyens competens & necessaires pour l'execution de tout ce que dessus par les causes et raisons sus alleguées, par authorité & commission Apostolique, nous avons donné & accordé, donnons & accordons à vostre R. P. Provincial, & à vous qui avez esté nommez, choisis & deputez par luy, les facultez & privileges suivants, desquels vous pourrez vous servir & prevaloir au cas que dans ces lieux, il ne se trouve personne qui en aye de semblables & dont le temps ne soit encore expiré, pour le temps seulement que vous, frère Joseph Caron & vos associez demeurerez dans ces pays de payens & infidelles, & sont les susdit Privileges de la teneur vertu & pouvoir qui s'enfuit, sçavoir est, de recevoir tous les enfans nais de parens fidelles & infidelles & tous autres de quelque condition qui soyent, lesquels aprés avoir promis de garder, & observer tout ce qui doit estre gardé & observé par les fidelles, voudront embrasser la verité de la foy Chrestienne & Catholique de baptizer mesmes hors les Eglises en cas de necessité, d'entendre les confessions des penitens, & icelles diligemment entenduës, aprés leur avoir imposé une pénitence salutaire selon leurs fautes, & enjoint ce qui doit estre enjoint en conscience, les deslier & absoudre de toutes sentences d'excommunication & autres censures & peines Ecclesiastiques, comme aussi de toutes sortes de crimes, excez, & delicts, mesmes des reservez au Siege Apostolique, & de ceux qui sont contenus dans les lettres lesquelles ont accoustumé d'estre leües le jour du Jeudi sainct, d'administrer les Sacremens d'Eucharistie, Mariage & extrême Onction, de bénir toutes sortes de paremens, vases & ornemens où l'onction sacrée n'est pas necessaire, de dispenser gratuitement les nouveaux convertis qui auroient contracté ou voudroient contracter Mariage en quelque degré de consanguinité & affinité que ce soit, sauf au premier & second, ou entre ascendans & descendans, pourveu que les femmes n'ayent point esté ravies, que les deux parties qui auroient contracté ou voudroient, contracter soient Catholiques & qu'il y ait juste cause tant pour les mariages desja contractez, que pour ceux que l'on desire contracter, declarer & prononcer les enfans nais & issus de tels Mariages legitimes. D'avoir un Autel que vous puissiez porter avec bienseance, & sur iceluy celebrer és lieux decens & honestes où la commodité des Eglises vous manquera.

En foy & tesmoignage de tout ce que dessus, nous avons commandé les presentes lettres soubscrittes & soubsignées de nostre main, estre faites signées & seellées de nostre sceau par nos aimez Louys Savanutius, nostre Auditeur & Docteur en l'un & l'autre droict, & Messire Thomas Gallot Clerc à Paris licencié és droits canon & civil Notaire public & juré tant de l'authorité Apostolique que de la venerable Cour Episcopale de Paris, & suivant l'Edit du Roy de sorte & comme articulé és registres de l'Evesché & cour de Parlement de Paris, demeurant ausdit Paris rue-neuve Nostre-Dame & Notaire en ce quartier. Donné à Paris l'an de Nostre Seigneur, mille six cens dix-huict le vingtiesme du mois Mars. Ainsi signé & Archevesque de Rhodes Nonce Apostolique, & plus bas par commandement du susdit illustrissime & Reverendissime Seigneur, Nonce Apostolique & Commissaire delegué, Th. Gallot Notaire public comme dessus & Louis Savamitotius Auditeur.

En suitte de la permission de sa Saincteté donnée à nos Peres, j'ay trouvé coppie d'une lettre patente du Roy, par laquelle sa Majesté donne la mesme permission à nostre R. P. Provincial de la Province de S. Denis, privativement à tous autres, de pouvoir envoier des Religieux Mineurs Recollects dans les terres du Canada pour la conversion des Sauvages, & qu'aucun autre du mesme ordre n'y puisse aller qu'avec sa permission & sous son obédience, pour eviter aux desordres & confusions que la diversité des commissions & superiorité pourroit apporter, dont voicy la teneur de la patente.

LOUIS.--PAR LA GRACE DE DIEU Roy de France et de Navarre. A tous ceux qui ces presentes lettres verront, salut. Les feux Roys nos predecesseurs se sont acquis le tiltre & qualité de Tres-Chrestien en procurant l'exaltation de la saincte foy Catholique, Apostolique & Romaine, & en la deffendant de toutes oppressions, maintenant les Ecclesiastiques en leurs droits, & recevans en leur Royaume tous les Ordres de Religieux, qui avec une pureté de vie se mettoient à enseigner les peuples & les endoctriner tant de vive voix que par exemple. Et soit ainsi que nous soyons remplis d'un extreme desir de nous maintenir & conserver ledit tiltre de Tres-Chrestien, comme le plus riche fleuron de nostre couronne, & avec lequel nous esperons que toutes nos actions prospereront, voulans non seulement imiter en tout ce qui nous sera possible nosdits predecesseurs, mais mesmes les surpasser en desir d'establir ladite foy Catholique, & icelle faire anoncer és terres loingtaines, barbares & estrangeres où le S. Nom de Dieu n'est point invoqué. Nostre cher & devot Orateur, le Pere Provincial de la Province de S. Denis en France, des Religieux de S. François de l'estroicte observance vulgairement appellez Recollects, se soit cy-devant, & en secondant nos desirs, offert d'envoyer és païs de Canada, des Religieux dudit Ordre, pour y prescher le sainct Evangile & amener à la saincte foy, les ames des habitans dudit pays, qui sont errantes & vagabondes dans leurs fantasies, n'ayans aucune cognoissance de vray Dieu, & à cest effect y en ayant envoyé nombre leur labeur (par la grace de Dieu) n'auroit point esté inutil, au contraire quelqu'uns desdits habitans de Canada recognoissans leur vieil erreur ont embrassé avec ardeur la saincte foy, & y ont receu le sainct Baptesme, nouvelle qui nous a esté aussi aggreable qu'aucune qui nous peust arriver, & ne reste à present qu'à affermir ce qui a esté commencé par lesdits Religieux, ce qui ne peut mieux estre qu'en permettant ausdits Religieux de continuer, ensemble de s'habituer audit pays & y bastir autant de Convents qu'ils jugeront estre necessaires selon les temps & lieux, tous lesquels Convents, Monasteres & Religieux seront soubs l'obedience dudit Pere Provincial de la Province de sainct Denis en France & non d'autre, & ce pour empescher toute confusion qui pourroit survenir si chaque Religieux à son premier mouvement se portoit de passer audit pays de Canada, à quoy desirans remedier pour l'advenir nous avons dit & declaré, disons & déclarons par ces presentes signées de nostre main, nostre intention & volonté estre que le Père Provincial de ladite Province de sainct Denis en France seul, puisse & luy soit loisible d'envoyer audit pays de Canada, autant de ses Religieux Recollects qu'il jugera estre necessaire, & quand bon luy semblera ausquels Religieux Recollects nous avons permis & permettons par cesdites presentes de soy habituer audit, pays de Canada, & y faire construire, & bastir, un ou plusieurs Convents & Monasteres, selon, & ainsi qu'ils jugeront estre à faire, & auquel pays de Canada aucuns autres Religieux Recollects ne pourront aller, si ce n'est par l'obédience qui leur sera donnée par ledit Provincial de laditte Province de sainct Denis en France, & ce afin d'eviter toute dissention qui pourroit survenir faisant deffence à tous les Maistres des ports & havres de permettre qu'aucuns Religieux de l'Ordre de S. François s'embarquent pour passer & aller audit pays de Canada sinon soubs l'obedience audit Provincial & de celuy qu'il commettra pour superieur. Et en tesmoignant plus particulièrement nostre affection envers lesdits Religieux, nous avons iceux, ensemble leurs Convents & Monasteres pris en nostre protection & sauvegarde. SI DONNONS en mandement à nostre très-cher & aymé cousin le sieur de Montmorency Admiral de France ou ses Lieutenants sur tous les ports & havres de cestuy nostre Royaume, & à tous nos autres justiciers & officiers qu'il appartiendra, que le contenu cy-dessus ils ayent à faire garder & observer de point en point selon sa forme & teneur, & faire publier ces presentes par tous, les ports & havres, & lieux, de leurs jurisdictions, sans permettre qu'il y soit contrevenu. Mandons en outre à nostre Viceroy de Canada, les Lieutenans ou autres nos Officiers des lieux, qu'ils ayent à maintenir lesdits Religieux Recollects de ladite Province de sainct Denis en France audit pays sans qu'ils y en puissent recevoir aucuns qui n'ayent l'obédience du dit Provincial de la Province de France, tenant au surplus la main à l'exécution de ceste nostre volonté, nonobstant quelconque lettres à ce contraires, ausquelles nous avons desrogé & desrogeons par cesdites presentes. Car tel est nostre plaisir. En tesmoing dequoy nous avons faict mettre nostre seel à cesdites presentes. DONNE.

Voilà toutes les pieces principales & necessaires, que l'on pouvoit desirer des puissances souveraines jointes à l'authorité de nostre R. P. Provincial, pour pouvoir affermir & rendre asseurée une si glorieuse & meritoire Mission, de laquelle le S. Esprit avoit esté le premier autheur & inspirateur comme d'une oeuvre qui estoit toute de luy & non des hommes, car qui peut aller à JESUS si Dieu ne l'attire.

De l'embarquement des quatre premiers Recollects, qui annoncerent la parolle de Dieu en Canada. La maniere de cabaner des Montagnais, où le P. Dolbeau hyverna & le P. Joseph aux Hurons.

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